Les médecins prescrivent beaucoup plus de pilules
Le nombre d’ordonnances par assuré du régime public a triplé depuis 15 ans
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Les médecins prescrivent-ils trop de médicaments ou les Québécois sont-ils de plus en plus malades? La question se pose si on se fie au nombre d’ordonnances par personne assurée du régime public, qui a presque triplé en 15 ans, passant de 19 à 55 par année.
«Le vieillissement de la population a un impact, c’est certain, mais je dirais que ça explique environ la moitié de la hausse», dit l’économiste Yanick Labrie, qui a calculé l’augmentation dans le cadre de ses travaux pour le livre blanc soumis à l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires.
Selon les plus récentes données qu’il a obtenues de la RAMQ, c’est pas moins de 1,9 million d’ordonnances qui ont été remplies en 2015, comparativement à 619 000 en 2000. En plus du vieillissement, plusieurs autres raisons expliquent cette hausse.
Un rendez-vous = une ordonnance
- Chaque patient qui se présente chez le médecin s’attend à recevoir le fameux petit papier contenant le nom et la posologie d’un médicament. «C’est presque culturel de terminer une rencontre avec un patient en lui donnant une prescription. Il y a une attente de la part du patient», dit Yanick Labrie, qui a interrogé une soixantaine d’acteurs du milieu de la santé.
- Pour le médecin de famille Martin Moisan, c’est la surprescription d’antidépresseurs et de médicaments contre l’anxiété qui est inquiétante. «On prescrit à trop de gens qui ont des symptômes modérés», dit-il. Selon lui, dans ces cas, on peut opter pour d’autres approches comme l’acupuncture, la psychothérapie ou même le yoga. «Il y a encore une forte résistance du corps médical face à ce type d’approche», déplore-t-il, en disant s’inquiéter de l’accoutumance que peuvent créer ces médicaments.
- Pour le chercheur en politiques publiques, Marc-André Gagnon, il y a eu une médicalisation systématique dans les dernières années. «On a réduit les standards avant de commencer certaines médications. On en a pour des préconditions pour le diabète ou le cholestérol. Au plan préventif, il y a eu une explosion», dit-il. Ce dernier s’interroge aussi sur tout le marketing pharmaceutique autour des médecins.
- Une partie de cette hausse est aussi attribuable à l’augmentation du nombre de piluliers. Ces derniers sont renouvelables toutes les semaines plutôt que tous les mois.
Gaspillage
À l’inverse, Yanick Labrie indique aussi qu’il y a une sous-utilisation dans certains cas. «Il y a aussi des problèmes d’adhérence. Si un médicament prescrit n’est pas pris, c’est du gaspillage. Malheureusement, ce sont des données qu’on possède mal», conclut-il.
Un peu plus de 40 % des Québécois sont assurés par le régime public.
Ordonnances annuelles
- 2015 : 55
- 2014 : 53,7
- 2012 : 49,8
- 2010 : 45,5
- 2008 : 41,3
- 2006 : 34
- 2004 : 29
- 2002 : 24,4
- 2000 : 19,7
Des ordonnances renouvelées plus souvent au Québec
Le nombre d’ordonnances au Québec est plus important que la moyenne canadienne, entre autres parce que les renouvellements se font tous les mois. Ailleurs au pays, il n’est pas rare que l’on prescrive des médicaments pour deux ou trois mois.
Cette tradition bien québécoise est due notamment à la façon dont le régime d’assurance médicaments a été organisé. Le régime public prévoit que les patients doivent payer une franchise et une coassurance mensuelle.
Les clients doivent donc se présenter chaque mois pour recevoir leurs médicaments à la pharmacie.
Il est possible d’obtenir ses médicaments pour plus d’un mois dans certains cas, mais c’est loin d’être la norme.
Plus généreux
Le Québec offre aussi une couverture de médicaments plus importante que les autres provinces.
Ici, tous les patients doivent être couverts, soit par une assurance privée soit par le régime public d’assurance médicaments.
Selon Marc-André Gagnon, le Québec est le champion du médicament au Canada. Dans le monde, seuls les États-Unis devancent la Belle Province. L’an dernier, le Commissaire à la santé et au bien-être avait indiqué que la consommation de médicaments au Québec était 35 % plus élevée.
Finalement, les Québécois sont légèrement plus vieux que la moyenne canadienne, ce qui a aussi un impact sur la consommation plus grande de médicaments.
Ce qu’ils ont dit
«Il faut changer la manière de faire les prescriptions. Dans certains pays, il y a des agences nationales qui scrutent ce qui est prescrit et qui, lorsqu’elles voient une dérive, peuvent informer les médecins. Au Québec, c’est épouvantable qu’on n’ait pas plus d’accès aux données de base sur ce qui est prescrit.»
– Marc-André Gagnon, chercheur en politiques publiques, Université Carleton
«Le modèle au Québec est différent des autres provinces parce qu’il y a plus de médecins qui font de la clinique sans rendez-vous. Ces derniers vont avoir tendance à moins se restreindre sur la prescription puisqu’il n’y a pas de suivi.»
– Yanick Labrie, économiste, auteur du livre blanc sur la pharmacie communautaire
«Ça fait partie des enjeux de discussion. On souhaite une utilisation judicieuse pour que ce soit le bon médicament, pour la bonne personne au bon moment. On fait un travail plus ciblé sur certains médicaments comme les psychostimulants utilisés pour le TDAH ou les opioïdes.»
– Dr Charles Bernard, président du Collège des médecins
«Quand on parle de médicaments pour les maladies cardiaques, le diabète ou l’hypertension, les médecins font du bon travail. Par contre, quand on touche l’anxiété ou la dépression, je trouve que les médecins prescrivent trop de pilules.»
– Dr Martin Moisan, médecin omnipraticien et auteur