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Le vieux monsieur Minh



Il y a quelques années, lors d’un voyage au Vietnam, j’avais engagé un vieux guide pour une visite en moto des hautes terres. Minh fut l’une des plus belles rencontres que j’aie faites au cours de mes voyages. Il reste, pour moi, l’exemple parfait de ce peuple balayé par les guerres, massacré par les idéaux, affamé et abandonné, toujours.

À 20 ans, médecin, il était aussi lieutenant, menant une section d’infanterie dans la guerre contre les communistes du Nord armés par la Chine. Comme beaucoup, par choix ou par hasard, il avait embrassé le camp du capitalisme et, il ne le savait pas encore, celui des perdants.

On connaît tant d’histoires de l’après-guerre, celles rappelées dans les procès de ces derniers mois au Cambodge, où les généraux de Pol Pot, leurs officiers, bouchers des camps, nous racontent que l’homme n’a pas tant d’importance que la Cause. Alors, on les rééduque...

Un sous-homme

Le vieux Minh avait bien sûr perdu tous ses droits en quittant l’uniforme. Après deux ans, il était devenu un sous-homme, une machine pour travailler, que des muscles, des bras et des jambes, mais surtout pas de cerveau ni d’estomac ni de cœur. Pourtant, il ne parlait pas ce qu’il a vécu dans les camps, de ceux qu’il avait perdus, de ceux qu’il pouvait encore rencontrer et qui l’avaient torturé.

Il n’était jamais question de pauvreté, celle, incompréhensible pour nous, de la difficulté de vivre au Vietnam avec un dollar par jour. Il préférait simplement vous dire qu’il avait eu la chance de rencontrer sa femme, vous présenter sa famille avec fierté, tous rassemblés dans sa petite maison. Je fus présentée à la dame, aux deux fils d’une trentaine d’années, aux petits-enfants, une foule riante et joyeuse.

— Tout le monde vit avec vous? m’étonnais-je.

— Pourquoi, ce n’est pas comme ça chez vous? Mais qui s'occupe de vos parents quand ils sont vieux ou bien malades? »

Je ne voulais qu’essayer de lui répondre que nos aînés en perte d’autonomie étaient envoyés dans des résidences pour personnes âgées sans aucune chance de revenir un jour dans leur maison.

— Ce sont donc des étrangers qui s'occupent d'eux? Si je comprends bien, vos parents sont là pour vous quand vous êtes jeunes, vous éduquent, vous soignent, payent pour vous et vous ne leur rendez pas la pareille? Mais les grands-parents sont là pour éduquer, transmettre leurs valeurs à leurs petits-enfants!

Une leçon

J’avais reçu une belle leçon de cet héritage que notre société a gâché, mais qui fait la richesse de la vieillesse de Minh. Bien sûr, le gouvernement a sa part de responsabilité. Il pourrait y avoir plus d’infirmières dans les CHSLD, plus d’inspecteurs pour s’assurer que tout soit conforme.

Mais, ouvrons les yeux, nous avons aussi à nous rappeler nos devoirs oubliés. Est-il normal que nos aînés soient condamnés à finir leur vie à quémander pour une douche, une couche propre ou, pour un instant, un semblant de dignité? Est-il normal de préférer mourir que de vivre dans ces établissements?

Là, pensant à cette rencontre magique, je me demande si « vieillir au Québec » ne devient pas dans notre culture si pressée le simple concept du « mourir seul ».

Je n’oserais pas présenter les mouroirs solitaires de nos CHSLD au si pauvre M. Minh!







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