Les délais s’aggravent dramatiquement dans les tribunaux québécois, plusieurs années peuvent s’écouler avant d’avoir son procès au Québec
Les délais s’aggravent dramatiquement dans les tribunaux québécois, s’alarment plusieurs observateurs. Un accusé peut attendre son procès deux ans, parfois plus. Ce délai, pourtant considéré comme déraisonnable, est presque devenu la norme.
«On tire sur l’élastique, croit Me Joëlle Roy, présidente de l’Association québécoise des avocats et avocates de la défense. Deux ans, c’est maintenant accepté [...]. On tient pour acquis que c’est comme ça.»
Et ce, même si la Cour suprême a statué dans l’arrêt Morin qu’un délai raisonnable entre l’inculpation et le procès est de 14 à 18 mois. «La situation se détériore», confirme François Rolland, juge en chef de la Cour supérieure du Québec.
Ces procédures sont un calvaire pour les victimes et leur famille, mais aussi pour les accusés, qui vivent pendant des années avec le stress d’un dossier non réglé.
«C’est comme une blessure qu’on gratte tout le temps. Ça ne guérit jamais», dit Louise Roux, dont le fils a été tué par un chauffard coupable de conduite dangereuse ayant causé la mort.
Dans les cas d’abus sexuel, on peut attendre cinq ans jusqu’au procès, estime le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, dont la fille Julie a été assassinée en 2002.
«Le délai doit être beaucoup plus court. Il faut ramener ça à deux ou trois ans maximum», martèle-t-il.
Manque de ressources
Parmi les raisons à ces délais, on montre du doigt le manque de juges et de salles d’audience. Le ministère de la Justice québécois a récemment ajouté 20 nouveaux juges à la Cour du Québec, qui entend 97 % des causes criminelles de la province. Ces postes sont déjà comblés et six autres juges seront nommés dans les prochains mois (pour des remplacements après des départs à la retraite et autres).
«Il faudra attendre un peu avant d’en voir l’impact», prévient Élizabeth Corte, juge en chef de la Cour du Québec.
Des juges à la retraite sont également nommés comme suppléants et sont rémunérés à la journée.
«Nous avons réaménagé des salles à Laval et à Longueuil, et nous en avons créé plusieurs à Montréal», explique Me Joanne Marceau, porte-parole du ministère.
À la Cour supérieure, où se déroulent les procès devant jury, on attend l’aval du ministère de la Justice fédéral pour obtenir de nouveaux juges, ce à quoi n’est pas soumise la Cour du Québec. Le ministère fédéral s’est borné à répondre que «la demande est actuellement examinée».
L’accroissement du nombre de causes et leur complexification allongent aussi les délais.
«Les enquêtes policières se sont raffinées et il y en a davantage, estime Me René Verret, porte-parole du Directeur des poursuites criminelles et pénales. Dans un cas de malversation, la preuve, si elle avait été imprimée, aurait représenté 29 étages de documentation!»
Avec l’imposition récente de peines minimales, les gens risquent davantage la prison et intentent plus de recours en justice, croit Me Danièle Roy, porte-parole de l’Association des avocats de la défense de Montréal.
«Il y a une avalanche de contestations qu’on ne voyait pas avant», avance-t-elle.
– Avec la collaboration de Valérie Gonthier
► La Cour du Québec célèbre cette année ses 25 ans d’existence.
Les tribunaux
les plus lents*
1 - Salaberry-de-Valleyfield
583 jours
2 - Montréal
564,7 jours
3 - Saint-Jean-sur-Richelieu
471,3 jours
4 - Mont-Laurier
454,6 jours
5 - Saint-Hyacinthe
429,1 jours
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Les tribunaux
les plus rapides*
1 - New Carlisle
43,1 jours
2 - Chibougamau
71,1 jours
3 - La Malbaie
82,8 jours
4 - Ville-Marie
84,9 jours
5 - Havre-Aubert
99,3 jours
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Pierre Lévesque
Accusé du meurtre d’un couple de personnes âgées à Val-Bélair en 1994, Pierre Lévesque en est à son troisième procès.
«Il a eu un premier procès avec un coaccusé en 2004 et est allé en appel. À l’automne 2008, chacun d’eux a eu un deuxième procès séparément. Il est allé en appel, l’appel a été rejeté et ça a été jusqu’en Cour suprême, qui a ordonné un troisième procès», raconte le procureur de la Couronne, Me René Verret. |
Castor Holdings
Cette saga judiciaire, qui a donné lieu au plus long procès de l’histoire canadienne, a duré pas moins de 17 ans. La société immobilière Castor Holdings ayant fait faillite en 1992, ses vérificateurs comptables ont été poursuivis en 1994 par 200 investisseurs floués. Après un changement de juge en 2006 pour maladie et une demande de récusation de la nouvelle juge rejetée par la Cour d’appel en 2007, une condamnation a finalement été prononcée... en avril 2011.
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François Barbeau
François et Frédérick Barbeau, ainsi que Patrick Bélair sont accusés de culture et trafic de cannabis en 2001. Pendant deux ans, ils se présentent en cour 13 fois pour l’enquête préliminaire, à laquelle ils renoncent finalement, puis trois fois l’année suivante pour le procès, chaque fois reporté. En 2004, la juge ordonne aux avocats de procéder sur-le-champ, mais ils disent ne pas être prêts et être incapables de s’entendre. L’avocat de la Couronne décide alors de retirer les accusations, alors la juge n’a d’autre choix que d’arrêter les procédures. Cette décision a toutefois été contestée devant la Cour d’appel, qui a ordonné la tenue d’un nouveau procès devant un autre juge.
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Laurent Laroche
Le plus long procès jamais tenu devant la Cour supérieure au palais de justice de Québec est celui de Laurent Laroche, reconnu coupable en 2004 de 307 chefs d’accusation, notamment de vol et recel. Après un procès de plus de 115 jours d’audience, on l’avait inculpé pour avoir tenté de faire certifier des pièces d’automobile volées auprès de la SAAQ. La peine de six ans de prison à laquelle il a été condamné en 2005 a été réduite à trois ans et demi par la Cour d’appel en 2011.
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