Punir les violeurs par le portefeuille
Les victimes s’attaquent de plus en plus à la bourse de leur agresseur sexuel en les poursuivant au civil
Des victimes de crimes sexuels ne se contentent plus d’envoyer leurs agresseurs en prison. Elles les poursuivent au civil pour les frapper au portefeuille.
Des agresseurs doivent se défendre contre des poursuites civiles où les victimes cherchent à obtenir de l’argent, selon des avocats spécialisés.
Pendant 20 ans, il y a eu un peu plus d’une poursuite par année, mais ce nombre a récemment augmenté, constate Alain Arsenault, avocat spécialisé.
Ce phénomène est encouragé par la médiatisation de cas célèbres comme celui de Nathalie Simard et le recours collectif contre les frères de Sainte-Croix.
«Ces nouvelles agissent comme une sorte de déclencheur sur les gens qui ont tenté d’enterrer leurs souvenirs toute leur vie», explique le psychologue Hubert Van Gijseghem, spécialiste des victimes d’agressions sexuelles.
Déterrer leurs souvenirs peut rapporter quelques dizaines de milliers de dollars aux victimes. Par exemple, une adolescente qui a reçu 140 000 $, huit ans après l’agression, ou cette dame qui a obtenu 150 000 $, cinq ans plus tard.
POURSUIVRE RAPIDEMENT
Plusieurs victimes attendaient des dizaines d’années pour dénoncer leur agression. Elles se butaient alors à une règle qui ne leur laissait que trois ans pour poursuivre civilement leur agresseur.
Dans ces circonstances, leur avocat devait prouver qu’elles étaient restées prises dans une sorte de prison psychologique qui les empêchait de lancer la poursuite.
Mais ce délai a changé en juin dernier. Le gouvernement du Québec a modifié le Code civil pour le faire passer à 30 ans.
«J’ai fait une étude qui démontre que le délai moyen avant qu’une victime porte plainte est de 47 ans et que seulement 10 % des victimes sont prêtes à porter plainte dans les 30 ans», estime Me Arsenault qui voudrait que ce délai de prescription soit encore repoussé. En attendant, il conseille à ses clients de commencer les démarches rapidement.
EXPÉRIENCE ÉPROUVANTE
Le psychologue Hubert Van Gijseghem met toutefois en garde les victimes. En entreprenant une poursuite, elles auront plus de contrôle que sur le procès pénal, mais l’expérience sera aussi beaucoup plus éprouvante.
«Les victimes vivent plus d’anxiété et beaucoup de souffrance pendant le procès. Il y a des gens qui le regrettent après», admet le spécialiste. Il conseille à ses patients d’attendre de se sentir vraiment prêts et de ne pas céder aux pressions des organismes d’aide aux victimes qui les incitent à poursuivre tout de suite et à tout prix.
En plus de la fillette, l’homme avait agressé deux autres nièces de 6 et 11 ans. Il se cachait pourtant à peine pour toucher les enfants. Il avait commis ces actes alors que d’autres personnes se trouvaient dans sa maison, et même à la vue des passants, sur le bord d’un lac.
Pour ses crimes, l’homme n’a purgé qu’une sentence de 18 mois. Sa victime a quant à elle eu plusieurs troubles de comportement et d’estime de soi. Les psychologues la décrivent comme une fille habillée en garçon qui ne sourit jamais, qui est déconnectée de ses émotions et qui semble triste en permanence.
La victime avait cinq ans lorsqu’elle a été abandonnée par ses parents et confiée à sa grand-mère et son grand-père alcoolique. Tous les dimanches, lorsque les femmes partaient pour la messe, son oncle, qui habitait aussi la maison, en profitait pour l’agresser. Dès l’âge de sept ans, il ne se contentait plus de la toucher, il la forçait à avoir des relations sexuelles avec pénétration. Pour obtenir son silence, le pédophile menaçait la fillette de l’envoyer à l’orphelinat. Sachant que la femme de son agresseur avait une santé mentale fragile et parce qu’elle était la seule personne à s’occuper vraiment d’elle, la jeune fille a attendu jusqu’en 2008, que sa tante soit à l’article de la mort, pour dénoncer son agresseur. Des spécialistes ont évalué que la dame d’une cinquantaine d’années qui demeure à Longueuil «est atteinte de carences affectives importantes résultant de deux sources: l'abandon par ses parents et les agressions sexuelles par l'oncle auquel elle était confiée.»
Chaque semaine pendant six ans, ils s’introduisaient à tour de rôle dans le corridor qui lui servait de chambre pour la violer. En 1958, l’adolescente de 17 ans avait accouché d’un bébé qui est mort deux jours plus tard. Les agressions avaient alors cessé sous la menace de leur père alcoolique et violent.
La victime qui habitait une ferme près de Trois-Rivières a ensuite eu des difficultés scolaires et est restée méfiante envers les hommes. Ce sont finalement les révélations de Nathalie Simard qui l’ont incitée à dénoncer ses agresseurs.
«Là, c'est assez mon gros tabarnak!» a crié l’adolescent pour mettre fin à ces viols répétitifs. Ce n’est que 20 ans plus tard que l’homme de Longueuil a trouvé la force de dénoncer son agresseur alors qu’il venait d’avoir son propre enfant. À la cour, la victime a expliqué que cette démarche marquerait un tournant dans sa vie.
Une cinquantaine d’années plus tard, la dame de Saint-Boniface en Mauricie avait compris la source de ses problèmes psychologiques en regardant une émission de télévision sur les victimes d’agressions sexuelles. Elle avait d’abord écrit à son frère pour lui demander dédommagement, mais puisqu’il ne répondait pas, elle l’avait finalement poursuivi.
Le soir de l’Halloween 1997, la victime était allée amasser des bonbons avec une amie chez qui elles étaient ensuite allées boire de la téquila ramenée d’un récent voyage au Mexique. Son agresseur avait alors profité de son ivresse avancée pour la violer en la filmant. Peu de temps après, elle a dénoncé l’homme qui a été condamné à purger 23 mois dans la collectivité. Sa victime quant à elle «a eu des problèmes d'anorexie et de boulimie, elle a pris des drogues dures» et elle s’est isolée socialement, peut-on lire dans le jugement.
Ce n’est qu’au terme d’une thérapie de trois ans qu’elle s’est finalement sentie capable de poursuivre son agresseur pour les dommages qu’il lui a causés.
En 1990, il avait 13 ans lorsqu’il a commencé à s’entraîner avec un ancien boxeur de 42 ans. L’homme lui inspirait de la crainte, mais la victime voulait continuer à le fréquenter pour poursuivre son rêve de devenir un vrai boxeur. Alors qu’il vivait une adolescence difficile, son agresseur lui avait ouvert la porte de sa maison, fournissant bières, cigarettes, films pornographiques et une voiture. Mais la vie de rêve du jeune homme s’était rapidement transformée en cauchezmar lorsque son généreux entraîneur avait commencé à le violer. La victime a alors sombré dans une vie de toxicomanie et de délinquance.
C’est en 1999, lors d’une thérapie en cure fermée, qu’il a trouvé le courage de dénoncer son agresseur. Il a finalement gagné la poursuite en 2007.
Une soirée d’été de 1985, l’adolescente et une amie ont demandé à l’homme de leur ouvrir les portes de l’école de Terrebonne pour aller aux toilettes. L’homme a touché le postérieur de sa victime alors qu’elles s’apprêtaient à sortir. Dans son jugement, la cour a estimé que l’intention de l’homme n’était pas malicieuse, mais que ce n’était pas suffisant pour le déresponsabiliser.