Les Garneau
Peuple «sans histoire» ?
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Modeste greffier à la ville de Québec, l’historien François-Xavier Garneau (1809-1866) est l’auteur d’un grand classique de notre littérature nationale. Son Histoire du Canada a montré de manière magistrale que notre peuple avait un passé riche et fascinant qui méritait d’être raconté.
Comme tous les Garneau du Québec, notre premier historien national est le descendant de Louis Garneau – ou Guérineau, selon les documents. Né autour de 1634, originaire de La Grimaudière, un village français situé à mi-chemin entre La Rochelle et Blois, ce pionnier – qui a été inhumé à L’Ange-Gardien en 1712 – est arrivé le 27 novembre 1656 en tant qu’engagé. Sept ans plus tard, il prend pour épouse Marie Mazoué.
LE VERDICT DE LORD DURHAM
Le 27 mai 1838, un personnage britannique de premier plan fait son arrivée à Québec. John George Lambton, ou «lord» Durham, est l’homme choisi par le gouvernement de Sa Majesté pour enquêter sur les rebellions qui avaient secoué le Haut et le Bas-Canada en 1837 et pour proposer des solutions durables pour l’avenir.
Lord Durham était alors considéré comme un esprit libéral, nous dirions aujourd’hui un «progressiste». En 1832, il avait soutenu une réforme électorale qui accordait le droit de vote à de nouvelles couches de la population.
Lors de son bref passage, il rencontre beaucoup de gens, mais bien peu de Canadiens français. Si l’on en croit son secrétaire personnel, Charles Buller, ses idées sur ce peuple français d’Amérique étaient bien arrêtées. «Dès le départ, rapportera Buller plus tard, Durham prit le parti de n’accorder aucun crédit à leurs absurdes prétentions raciales. Son unique objectif était de rendre le Canada véritablement britannique.»
Lord Durham était en effet convaincu que le meilleur service à rendre aux francophones de cette colonie était de les assimiler à la langue et à la culture anglaise, et d’ainsi les «élever» au rang de sujets britanniques. Résidu d’une colonisation française ratée, ce «peuple sans histoire et sans littérature» n’avait aucun avenir. C’est du moins ce qu’il expliquait dans son rapport rendu public en février 1839.
JE ME SOUVIENS
Aux yeux de François-Xavier Garneau, un tel verdict était évidemment inacceptable. Les Canadiens français n’avaient peut-être pas beaucoup de lettres, mais ils avaient à coup sûr une histoire! Pour le démontrer, il fallait cependant qu’une personne patiente et déterminée recueille la documentation nécessaire et s’emploie à raconter ses hauts faits. C’est précisément ce que fit Garneau pendant la seconde partie de sa vie.
Notaire de formation, poète à ses heures, Garneau n’avait reçu aucune formation d’historien malgré des séjours à Londres et à Paris au début des années 1830. Sans université pour le soutenir ni fonds de recherche ou assistants, il se lance seul dans une immense recherche qui mobilisera tous ses temps libres.
En 1845, il publie le premier tome qui s’ouvre par un impressionnant «Discours préliminaire». «Nous croyons à l’existence future de ce peuple, écrit-il, dont on regarde l’anéantissement, dans un avenir plus ou moins éloigné, comme un sort fatal, inévitable.»
L’œuvre de Garneau remonte au tout début de la colonisation française et se rend jusqu’à l’Acte d’union de 1840. Elle se fonde sur des archives de première main, regorge d’analyses sociales, politiques et même économiques, propose un récit vivant des événements et une série de portraits des grands personnages. Le ton est très libre, trop selon certains membres du clergé qui auraient souhaité que Garneau insiste davantage sur le rôle de l’Église.
De son vivant, son Histoire du Canada sera éditée à trois reprises, traduite en anglais et résumée dans un manuel scolaire très largement diffusé dans les écoles primaires.
Cette œuvre colossale d’un seul homme devrait absolument être rééditée dans son intégralité...
(François-Xavier Garneau, Histoire du Canada de sa découverte jusqu’à nos jours, BQ, 2008. Cette édition ne comprend que les deux premières parties de l’œuvre.)
