«Les firmes de génie ont perverti mon engagement politique»
L’ancienne ministre des Affaires municipales se défend devant la commission
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Nathalie Normandeau a jeté le blâme sur les firmes de génie-conseil qui ont «perverti son engagement politique sincère et senti» en financement illégalement son parti, a-t-elle affirmé ce matin.
L'ancienne ministre libérale des Affaires municipales (2005-2009) livre un témoignage clair, précis et parfaitement structuré devant la commission Charbonneau depuis ce matin, au cours duquel elle justifie avec acharnement chacune de ses actions et se défend vigoureusement d'avoir fait de la politique partisane.
Se disant «révoltée» par tout ce qu'elle a pu apprendre devant la commission, Mme Normandeau a déploré le fait que plusieurs firmes de génie étaient «venues magouiller à l'insu du Ministère et de la ministre qu'elle était», en utilisant des prête-noms pour financer abondamment les partis et quêtant en échange des retours d'ascenseurs (octroi de contrats ou de subventions).
Difficile à croire cependant, pour la juge Charbonneau, que la témoin n'ait jamais entendu parler du système de prête-noms. «Je savais qu'on faisait du financement sectoriel, a alors répondu l'ancienne ministre, mais je ne connaissais pas les stratagèmes mis en place» par les entreprises pour contribuer aux partis, a-t-elle ajouté.
Des doutes sur Lortie
Mme Normandeau a assuré qu'elle érigeait un mur entre son rôle de ministre et son rôle de partisane. «Je m'attendais à ce que cette même rigueur s'applique au personnel de mon cabinet», a-t-elle dit.
Questionnée alors sur le fait que son ancien chef de cabinet Bruno Lortie aurait pu favoriser Roche par l'entremise de son grand ami Marc-Yvan Côté, consultant pour la firme de génie, Mme Normandeau s'est montrée scandalisée.
«Si M. Lortie a donné de l'information privilégiée à Roche, c'est condamnable, inexcusable, ça ne peut pas se faire. Je n'aurai jamais cautionné une telle situation, a-t-elle assuré. Si tous ces faits sont avérés… J'espère qu'il n'a pas trahi ma confiance.»
Plusieurs témoignages entendus au cours des derniers jours ont permis de mettre en évidence le lien tissé serré qui unissait Bruno Lortie et l'ancien ministre libéral Marc-Yvan Côté, à l’emploi de Roche à l'époque.
Selon deux anciens attachés politiques du ministère des Affaires municipales (MAMROT), Roche avait ainsi «ses entrées» au Ministère par l'entremise de M. Lortie. Il pouvait obtenir de «l'information privilégiée» concernant l'état d'avancement de demandes de subventions, qui profitaient en fin de compte à la firme de génie.
En parallèle, Marc-Yvan Côté aidait Bruno Lortie à organiser des activités de financement pour Nathalie Normandeau en trouvant des donateurs.
La Gaspésie, la cause de sa vie
«La Gaspésie a été la cause de ma vie […]. Une firme de génie est venue pervertir mon engagement politique qui est sincère, qui est senti», a alors déclaré Mme Normandeau.
L'ancienne ministre a assuré qu'elle ne connaissait pas le degré d'amitié si fort qui liait messieurs Lortie et Côté, et mentionné qu'elle avait à l'époque «une confiance totale» en Bruno Lortie.
«Un chef de cabinet est à un ministre ce qu'un contremaître est à un entrepreneur sur un chantier de construction», a-t-elle imagé. «M. Lortie a des qualités. On a décrit son caractère bouillant, mais il est rigoureux, compétent et travaillant. Il connaît ses dossiers», a-t-elle insisté.
Normandeau n'a pas «abusé» de son pouvoir
Plus tôt dans la matinée, l'ancienne ministre des Affaires municipales a justifié l'utilisation de son pouvoir discrétionnaire, qui lui permettait de majorer des subventions, en évoquant «les réalités du terrain» et «l'impact fiscal» sur la population.
Lorsqu'elle était en poste, elle avait le pouvoir d'octroyer et de hausser des aides gouvernementales destinées aux municipalités pour des projets d'infrastructures liés au réseau d'eau (usine de traitement, égouts, aqueducs).
Elle a expliqué avoir utilisé ce pouvoir discrétionnaire à 32 reprises pendant son mandat, sur les 708 dossiers de demandes de subventions qu'elle a pu signer. «Je ne pense pas que c'est abuser […]. Je ne le faisais pas de façon cavalière, je respectais les règles et les normes», a-t-elle mentionné.
Au début de son témoignage, elle a d'ailleurs fait l'éloge de ce pouvoir discrétionnaire et justifié son importance: «le pouvoir discrétionnaire, on ne doit pas le confondre avec le pouvoir arbitraire. Il permet de faire contrepoids au pouvoir des fonctionnaires […]. Il y a une façon de l'utiliser et de ne pas en abuser. J'ai cru comprendre qu'on tentait de faire le procès du pouvoir discrétionnaire ici à la commission, mais pour moi il est essentiel», a-t-elle déclaré.
Pas de «pression» sur les fonctionnaires
Nathalie Normandeau a enfin expliqué dans quelles circonstances elle jugeait essentiel de majorer des subventions, alors même que les fonctionnaires du Ministère – chargés d'étudier les demandes et de lui faire des recommandations – étaient d'avis contraire.
«Je suis parfois arrivée à la conclusion que le taux recommandé par les fonctionnaires du MAMROT n'était pas suffisant pour réaliser un projet […]. Mon premier critère était de regarder l'impact sur le compte de taxes pour les contribuables», a-t-elle indiqué, ajoutant que «dans certaines municipalités, c'était le tiers monde en matière d'infrastructures».
«Mon rôle, c'est de tenir compte des réalités du terrain. Dans ces conditions, je fais preuve de gros bon sens. Parfois, il faut refaire un tour de piste, faire les choses autrement», a-t-elle également souligné.
Questionnée par la procureure en chef de la commission, Me Sonia LeBel, sur la pression que les fonctionnaires du MAMROT pouvaient alors subir lorsqu'elle imposait ses décisions, elle a rétorqué: «Je n'appelle pas ça mettre de la pression, j'appelle ça faire mon travail de ministre […] Peut-être que les fonctionnaires l'ont ressenti comme de la pression, mais je fais mon travail de ministre».
«Relax»
Avant que Nathalie Normandeau n'amorce son témoignage devant la commission ce matin, la juge Charbonneau s'est adressée à elle en lui disant d'être «relax» et de ne pas «se sentir trop sous pression». Une situation inédite depuis le début des audiences.