Une traque de tous les instants
La spectaculaire évasion en hélicoptère de trois prisonniers du Centre de détention d’Orsainville a donné lieu à une traque de tous les instants par des centaines d’enquêteurs. Après plusieurs semaines de recherche auprès de sources des milieux policier, judiciaire et carcéral, Le Journal vous révèle les dessous de cette chasse à l’homme jusqu’ici gardée jalousement secrète par les autorités.
Ce samedi soir de juin ne s’est pas déroulé paisiblement comme l’auraient voulu de nombreux enquêteurs de la Sûreté du Québec, alors en congé.
Appelés au boulot d’urgence, des dizaines de détectives se sont soudainement vus confier une vaste enquête qui n’allait prendre fin que lorsque les fugitifs seraient de retour sous les verrous.
Il fallait rapidement lancer la traque, seul espoir de coincer ces accusés qui venaient de prendre le large de façon spectaculaire en hélicoptère.
Qu’importe l’heure, les enquêteurs veulent aussitôt interroger le plus de détenus possible. Savoir ce qui s’est passé, la description du pilote, de l’hélicoptère, la direction empruntée, etc.
Certains détenus s’en plaignaient. La tension est montée. «C’est pas parce qu’eux autres se sont évadés que je vais être obligé de passer la nuit debout pour répondre à vos questions!» argumentaient des détenus.
Les autorités carcérales ont dû demander aux policiers de battre en retraite et de revenir le lendemain, a-t-on appris.
Des bidons d’essence à Saint-Basile
Dans l’intervalle, la SQ demandait l’aide du public pour retracer les fugitifs.
La manœuvre fonctionne et génère un grand nombre d’appels. Nos sources parlent de 300 à 400 appels.
Sauf que les policiers doivent traiter les informations reçues, les analyser, évaluer leur pertinence. Plusieurs concernaient l’hélicoptère, que des citoyens disaient avoir vu voler à basse altitude... aux quatre coins de la province.
Mais une information provenant d’un résident de Saint-Basile, dans la grande région de Québec, s’est avérée fondée: l’homme disait avoir entendu un hélicoptère atterrir et des hommes parler à haute voix.
Sur place, des recherches ont effectivement permis de retrouver des bidons d’essence. Jusqu’ici, l’appareil utilisé lors de l’évasion n’a pas été retrouvé.
Filature, écoute et mandats
Outre les renseignements venus du public, les limiers lancent leurs filets de tous les côtés. Filatures, écoutes téléphoniques et mandats de perquisition, rien n’est laissé au hasard.
Ce volet «enquête» de la traque a pris une importance capitale. On a d’ailleurs aménagé un poste de commandement au quartier général de la SQ, à Québec. C’est là que toutes les informations convergeaient, étaient analysées, que les décisions étaient prises.
Il est connu que la plupart des évadés, tôt ou tard, vont entrer en contact avec des proches ou des connaissances.
C’est sur ces proches que les policiers mettent alors leur attention, lors de telles enquêtes. Famille, amis, complices, relations d’affaires: les rencontres se multiplient. Certains collaborent, d’autres non.
Les policiers ont tout de même eu suffisamment de motifs pour convaincre des juges de leur accorder des mandats d’écoute électronique sur des dizaines de personnes.
Plusieurs opérations de filature et de surveillance ont aussi été mises en place sur des gens d’intérêt. Tout ça a généré une quantité phénoménale d’informations à compiler, analyser. Il faut faire des liens, tirer des conclusions, émettre des hypothèses.
Qui appelle qui?
Pourquoi?
Pourquoi untel va à cet endroit?
Épier n’est pas chose facile. Plusieurs connaissent le tabac, savent comment la police fonctionne et prennent des mesures pour éviter de tomber dans le piège. D’ailleurs, jamais, au cours de la délicate enquête, les fugitifs n’ont été entendus lors d’écoutes électroniques.
Partout dans la province
Dirigées de Québec, plusieurs actions étaient menées dans plusieurs régions. Voilà d’ailleurs un des grands défis posés par cette enquête tentaculaire.
Pomerleau et Lefebvre étaient de l’Abitibi. Yves Denis, de Lanaudière.
«Une info obtenue en Abitibi pouvait engendrer une action en Montérégie», illustre l’une de nos sources.
Les enquêteurs ayant pris part au projet d’enquête Écrevisse, qui a initialement mené les évadés devant les tribunaux pour trafic de drogue, ont été mis dans le coup. Personne mieux qu’eux ne connaissait leur entourage. Des indics de police ont aussi été réactivés.
Des gens à rassurer
Parallèlement à l’enquête, les policiers ont également dû poser d’autres gestes. Il a ainsi fallu rassurer des gens. Les trois accusés au large pourraient-ils s’en prendre à eux pour les faire taire?
Durant les deux semaines de la cavale, le père d’un des évadés, détenu en Abitibi pour une autre affaire, devait comparaître en Cour. Question d’éviter un coup d’éclat, la sécurité a dû être renforcée autour de lui.
Du coup, durant des jours, des policiers ont travaillé de longues journées, jusqu’à 20 heures sur 24, raconte-t-on.
Heureusement, les opérations et actions menées aux quatre coins du Québec et analysées au poste de commandement ont mené à d’intéressantes pistes.
À quelques reprises, les détectives ont bien cru qu’ils touchaient au but. Par exemple, quand ils ont reçu une information crédible voulant qu’Yves Denis avait été aperçu dans un secteur où il possède des chalets. Mais la piste s’est avérée non fondée.
Enfin une bonne piste !
Une autre information un peu vague a finalement mené les policiers à s’intéresser à un secteur du Vieux-Montréal. Là aussi, une opération de surveillance discrète a été mise en place.
À un moment, les agents de surveillance ont aperçu une femme de l’entourage d’un des évadés entrer dans le luxueux immeuble à condos de la rue Saint-André. Mais que faisait-elle là?
Les policiers ont cru avoir là une piste chaude et intéressante. Rapidement, on a mis le pied sur l’accélérateur. On a voulu savoir si l’un des condos de cet immeuble avait pu être loué par un proche des fugitifs.
Diverses démarches ont été effectuées à l’intérieur de la bâtisse, en prenant soin de ne pas éveiller les soupçons des évadés ou d’éventuels complices.
On a rapidement déterminé qu’un des condos, le #1007, avait été loué par un homme dont le nom a sonné une cloche aux enquêteurs. Une location d’un mois à 2000 $, renouvelée pour un autre mois.
Complice et copain de cellule
Le complice était bien connu d’un des fugitifs. Au même moment, d’autres policiers enquêtaient les véhicules autour de l’immeuble. Celle du complice était garée à proximité.
Une contravention émise quelques jours auparavant donnait à penser que la voiture avait été laissée sur place plusieurs jours auparavant. Était-elle mise à la disposition des fugitifs?
Même sans pouvoir répondre à cette question, les policiers sont dès lors convaincus qu’au moins un des évadés se trouvait ou s’était trouvé dans le condo #1007.
On parvient ensuite à convaincre un juge de signer une autorisation pour pénétrer de force dans ce condo, de nuit, et pour procéder à des arrestations.
L’enquête est alors passée à la vitesse Grand V. Il ne fallait pas les échapper.
Endormis et surpris
L’équipe du Groupe tactique d’intervention (GTI) a été mise dans le coup. Ces policiers entraînés à mener des arrestations à haut risque ne frappent toutefois pas à l’aveuglette.
Des enquêteurs ont réussi à obtenir le plan du condo #1007. Ainsi, le GTI connaissait exactement la disposition des lieux avant de s’amener. On connaissait même le type de verrou sur la porte.
La suite appartient à l’histoire: les trois fugitifs ont été coffrés sans résistance, surpris dans leur sommeil, le 22 juin. Ils n’étaient pas que surpris de voir la police surgir, mais aussi découragés de voir leurs plans de liberté réduits à néant, ont-ils manifesté.
Du condo luxueux rempli de fruits de mer, ils ont été ramenés derrière les barreaux et subissent désormais leur procès pour trafic de stupéfiants à Québec.