Le Canada s’en va-t-il en guerre ?
Bouchard

L’annonce d’une participation canadienne à la coalition américaine contre l’État islamiste Irak-Syrie est une décision déjà annoncée. «Le Canada ne peut se cantonner dans le rôle de spectateur», déclarait le premier ministre Harper et il a tout à fait raison.
L’appartenance à la communauté internationale n’a pas que des implications économiques. La multiplication des conflits au Moyen-Orient et ailleurs et la nature de ces conflits font en sorte que même les missions de paix sont devenues périlleuses et leur immunité un mythe. Les règles ne tiennent plus et le champ de bataille est devenu global. Nous sommes donc concernés.
La nature de cette participation et l’issue finale sont d’autre part totalement imprévisibles. L’expérience des 25 dernières années nous a appris que les engagements ne tiennent plus à mesure que les conditions changent. Un général américain déclarait, cette semaine, devant un comité sénatorial que, «pour le moment», les Américains s’en tenaient à des attaques aériennes ciblées. Pour la suite, on verra. Si l’éradication de l’État islamiste est un objectif absolu, il faudra plus que des mois; il faudra des années.
Agir en premier ministre
Le Canada s’engage donc dans une guerre qui coûtera plus cher que prévu, avec des F18 qui sont prêts à rendre l’âme et des forces canadiennes qui ne se sont pas encore relevées de ces longues années en Afghanistan.
Mais Stephen Harper agit en premier ministre; comme l’ont fait ses prédécesseurs Jean Chrétien et Brian Mulroney. J’ai fait partie d’un comité ministériel restreint sur la première guerre du Golfe de 1990. Les choix à faire étaient basés sur des considérations nationales. Mais nos obligations internationales prenaient une grande importance dans les discussions. Quand nous acceptons que les règles soient internationales, nous devons nous y soumettre même si je suis bien conscient qu’à l’époque comme aujourd’hui le Canada ne pesait pas lourd devant les grandes puissances.
Mais une abstention serait un risque que le gouvernement ne peut pas prendre; d’autant plus que les relations canado-américaines ont déjà été meilleures.
En 1990, nous combattions un dictateur: Saddam Hussein. Aujourd’hui, l’ennemi est aussi brutal; les atrocités se multiplient. Mais il agit également sur les cerveaux vulnérables aux attraits du fanatisme et de l’intolérance. C’est pourquoi des pays comme la Belgique et la Norvège qui ne sont pas reconnus pour leur esprit guerrier ont annoncé leur participation. Ces pays sentent déjà, chez eux, les effets de l’idéologie islamiste. Les Canadiens, eux, ignorent ou semblent ignorer que des jeunes compatriotes combattent en Syrie et en Irak aux côtés de l’État islamiste. L’indifférence n’est donc pas une option.
Débat et vote
En même temps que le gouvernement s’apprête à annoncer sa décision, les partis de l’opposition exigent un débat et un vote sur les options possibles. Le premier ministre ira devant le Parlement non pas avant, mais après. En fait il n’a pas besoin de l’accord de la Chambre des députés. La constitution est très claire sur ce sujet. En même temps, il aurait été fort louable de consulter les députés et sénateurs sans que le gouvernement renonce à ses obligations internationales. Stephen Harper considère que c’est la responsabilité d’un chef de gouvernement d’assurer devant les partenaires internationaux une totale confidentialité sur les décisions qui impliquent une participation de plusieurs pays. C’est la responsabilité d’un premier ministre d’agir ainsi.
Mais, en même temps, il est très conscient qu’il devra en assumer les conséquences.