La force de l’art
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Au premier coup d'œil, l'image semble banale: une douillette et des oreillers invitants, un cadre de lit qui semble couvert d'un matelas blanc. Mais quelque chose cloche. Comme s’il y avait une fausse note. Une impression de plastique.
Un regard plus attentif vous permet de comprendre que le matelas est en fait une série de bouteilles de médicaments...
Art et maladie
L’image provient d’une installation de l’artiste Geneviève Mongrain intitulée Sommeil trouble. Une fois qu'on a découvert la clé, l'image prend un tout autre sens. La grosse douillette ressemble à un mensonge, la tête de lit en bois foncé nous écrase et l'installation nous renvoie directement à l'inconfort d'un corps qui perd ses repères.
Allez savoir pourquoi, bien avant d’avoir appris l’histoire de cette œuvre, il m'est apparu évident que les bouteilles de médicaments représentaient des antidépresseurs. Elles auraient pourtant pu représenter tant d'autres choses, renvoyer à d'autres grandes maladies qui nous préoccupent: la trithérapie du VIH, la chimiothérapie du cancer, ou quoi encore...
Mais c'est une des magies de l'art: le spectateur fait dire à l'œuvre ce qu'il en comprend. C'est dans le dialogue que l'œuvre devient une œuvre. Et c'est parce qu'elle fait résonner en vous quelque chose d'unique qu'il arrive qu'elle vous habite longtemps. Il faut parfois arrêter de chercher midi à quatorze heures pour trouver ce que ça peut bien vouloir dire et simplement se demander si nous ça nous dit quelque chose.
Tous les repos ne sont pas reposants
Chaque fois que j'entends que quelqu'un traverse une phase d'épuisement professionnel ou une dépression, je repense à ce lit inconfortable. Cette tension entre le lieu du repos tout en douceur de coton et le fait que ce repos devient impossible par ce plastique qui envahit l'espace.
Parce que le problème reste réel: on soupçonne encore beaucoup les gens qui font face à des enjeux de cette nature d'être des paresseux. Ne dit-on pas couramment qu'ils ont été mis «au repos»? Qui ne rêve pas de pouvoir se reposer, n'est-ce pas? Il m'arrive plusieurs fois par semaine de me dire que j'aurais bien besoin de repos.
Mais le repos des gens malades n'a rien à voir avec le repos tel que je le connais. Ce repos que je trouve, par exemple, quand les vacances arrivent enfin et que je peux flâner le matin en lisant ce qui me tente, en me perdant dans mes pensées, en me baladant sans but dans les villes. Le repos des gens malades est plein d'aspérité. Un repos qui a le sentiment qu'il ne trouvera plus jamais la force d'être autre chose. Plus jamais l'énergie d'être autre chose.
Je sais maintenant que cette artiste, Geneviève Mongrain, cherchait effectivement à traiter de santé mentale. On peut dire qu’avec moi elle aura réussi. L’image de son œuvre m’habite. Et j'y repense chaque fois que j'ai le sentiment de pousser les machines un peu trop fort et de jouer avec le feu. De jouer avec mon feu intérieur.
Alors je me dis: méfie-toi, la grande! Il y a des lieux de repos qui sont moins reposants que d’autres.