Contrer la peur
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Depuis qu’a éclaté l’affaire Jian Ghomeshi, nous assistons à plusieurs prises de parole salutaires.
Toute la campagne #AgressionNonDénoncée qui a eu lieu sur les médias sociaux permet à des victimes qui n’ont jamais pris la parole de le faire enfin. Le site Je suis indestructible s’est donné la même mission depuis 2013. Il faut dire et redire jusqu’à quel point la dénonciation n’est ni facile, ni encouragée, souvent même carrément bafouée.
Bravo à celles qui mettent en place ces initiatives, bravo aux victimes qui osent faire parler les silences.
Jamais agressée
Je n’ai jamais été agressée et je l’écris avec un immense soulagement parce que chaque fois qu’on en parle ou que je consulte les statistiques (une femme sur trois selon le Ministère de la Santé et des Services Sociaux), je constate que ça arrive partout, dans tous les milieux, à toutes sortes de monde...
Par les temps qui courent, ne pas avoir été agressée vous donne un peu l’impression d’être cette maison que l’inondation a contournée. Pas parce qu’on agresse plus qu’avant, mais parce qu’on en parle! Alors je me prends à rêver que le flot ne s’arrête pas, que ce ne soit pas simplement l’effet d’une période de crise.
La parole doit persister parce qu’il faut que la honte présumée des victimes, cette honte qui les tiendrait au silence, ne soit plus une arme supplémentaire pour les agresseurs.
Mais je voudrais surtout dire que le fait que ma maison ait été contournée par l’inondation ne me pousse jamais à croire que j’ai mieux fait que les autres, qu’ils ont dû faire quelque chose de mal: acheter un terrain inondable, mal l’entretenir, mal prévenir le cours des saisons. Et peut-être que c’est justement là que ma comparaison banale s’arrête...
Faire mal
Parce qu’une agression est un phénomène profondément humain.
Je sais qu’on préfère imaginer que le mal est inhumain.... Il est multifactoriel, difficile à comprendre, encore plus difficile à prévoir, mais il est humain.
Dans son magnifique livre L’écriture ou la vie, Jorge Semprun développe cette idée que le mal est l’une des options qui s’offre à nous. Et il se trouve que dans une relation marquée par le pouvoir (pouvoir symbolique, supériorité de la force physique, pouvoir économique, hiérarchie, etc.) certains humains font le choix de faire du mal à leur vis-à-vis, de nier qui ils sont, de ne pas entendre leur voix.
Voilà qui change la perspective: l’agression n’est pas quelque chose qui nous tombe sur la tête (comme mon exemple de l’inondation), mais un choix qu’a fait un humain d’en agresser un autre.
C’est pour ça que l’histoire de Jian Ghomeshi m’a rendue si triste. Comme d’autres peuvent être sensibles au charme de personnalités publiques, je lui aurais décroché la lune. Mais tout indique que c’est quelqu’un qui a choisi de faire mal et je me sens bêtement trahie. Et ça nourrit ma peur.
C’est aussi ça ma réalité: je n’ai jamais été agressée, mais j’ai encore et toujours peur.
Je ne veux pas que les victimes se taisent parce que c’est aussi en rendant caduque l’option du silence que nous pourrons peut-être contrôler la peur. Et c’est un passage obligé si nous voulons un jour être vraiment libres.