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Souvenir d’été: l’enfant des eaux

Je ne l’avais pas vu encore mais, pour la première fois, j’aimais quelqu’un de plus fragile que moi

Souvenir d’été: l’enfant des eaux
Illustration Benoit Tardif, colagene.com

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Je ne me souviens pas beaucoup du 14 juillet 1987, le jour du déluge de Montréal, mais c’est une journée facile à reconstruire. J’avais presque 8 huit ans et ce matin-là je me suis réveillée dans l’appartement de mon père, sur le Plateau Mont-Royal. De ce lieu et de cette époque, j’ai surtout souvenir de la disposition tout en long du logement, des escaliers vers le troisième étage, du parc en biais, du dépanneur en face, des œufs à la coque et de quelques étonnants moments, amis, cadeaux de cette première partie de ma vie.

Je ne me souviens pas beaucoup du 14 juillet 1987, le jour du déluge de Montréal, mais c’est une journée facile à reconstruire. J’avais presque 8 huit ans et ce matin-là je me suis réveillée dans l’appartement de mon père, sur le Plateau Mont-Royal. De ce lieu et de cette époque, j’ai surtout souvenir de la disposition tout en long du logement, des escaliers vers le troisième étage, du parc en biais, du dépanneur en face, des œufs à la coque et de quelques étonnants moments, amis, cadeaux de cette première partie de ma vie.

Je me souviens aussi que je haïssais déjà l’humidité. On peut donc imaginer que ce matin-là je me suis levée du mauvais pied, un peu brumeuse, comme le cœur gros de moiteur et l’impression que le sommeil ne durerait jamais assez longtemps. La ville vivait depuis plusieurs jours déjà dans la canicule... Mais ce jour-là, il s’est mis à pleuvoir. Pleuvoir comme si le ciel perdait toutes ses eaux pour la suite du monde.

La perte des eaux

C’est peut-être l’image qui est venue à mon père: la perte des eaux. Ou alors c’est sa blonde, enceinte et mûre, qui lui a dit que ça ne tarderait pas. Toujours est-il que mon père a décidé qu’il devait me ramener chez ma mère ce jour-là.

Ce n’était pas une super idée, pour tout dire. Mais à 8 ans on n’a pas une connaissance pratique suffisante de la vie pour s’obstiner sur des questions de logistique. La seule chose dont je me souviens précisément c’est de m’être endormie dans la voiture – épuisée sans doute de chaleur et d’émotions -, et après ce qui m’a semblé une très longue sieste, m’être réveillée sans que nous ayons encore quitté l’île de Montréal. Je me souviens aussi, mais de façon plus ténue, de l’atmosphère à couper au couteau dans cette voiture. Un mélange de colère (je ne sais plus combien d’heures on a pris pour sortir de là), d’angoisse et d’excitation.

Je nous revois, roulant dans des quantités d’eau qui dépassaient l’entendement, traversant des bouchons très denses. Je ne sais pas non plus comment mon père a fait pour rentrer à Montréal après m’avoir reconduite, ni combien d’heures ça lui a pris. Je ne sais plus si mon père a réussi à rentrer à temps ou si sa blonde a eu ses premières contractions seule dans l’appartement. Je ne pense pas qu’on m’ait jamais raconté ça ou alors je n’ai pas entendu.

Devenir grande

Finalement, je me rappelle bien peu du 14 juillet 1987. Mais je n’ai rien oublié du lendemain. Le 15 juillet 1987, j’étais dans ma maison maternelle des Laurentides. Je me souviens du téléphone, de maman qui me passe le combiné avec un sourire un peu mouillé. Je me rappelle, solennelle, m’être assise sur le fauteuil en cuir parce que je savais qu’il valait mieux être assise pour entendre ça. Mon père, au bout du fil, voulait m’annoncer que j’avais un petit frère. Un bébé qui était arrivé avec les eaux.

J’ai beaucoup pleuré en raccrochant. Je ne l’avais pas vu encore mais, pour la première fois, j’aimais quelqu’un de plus fragile que moi. C’est finalement le souvenir qui compte vraiment de cet été-là: le vertige de grandir.

 

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