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L’été, les gens meurent aussi

L’été, les gens meurent aussi
Illustration Benoit Tardif, colagene.com

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Il y a 25 ans, au cœur de l’été, Gerry Boulet disparaissait. Je n’avais pas encore 11 ans et j’ai appris la nouvelle un matin de soleil, assise dans la voiture de ma mère, au milieu d’un stationnement de marché aux puces. Il y a des souvenirs comme ceux-là qui s’impriment en nous comme une scène de film. La chaleur montante, le décor déprimant du stationnement, la radio. Et ma mère qui pleure...

Est-ce que ma mère connaissait Gerry Boulet? Mes parents avaient toujours des anecdotes d’une vie longtemps avant moi où ils avaient côtoyé telle ou telle personnalité publique. Mais non, ma mère ne connaissait pas Gerry Boulet. Elle l’admirait. Elle le trouvait touchant, beau et libre. Et elle pleurait de l’absurdité de toute mort qui fauche ainsi le vivant.

Mourir l’été

Il faut dire que dans un pays où notre vie semble entretenir une tension phénoménale avec le temps qu’il fait, il y a quelque chose d’encore plus absurde à confronter la mort en plein soleil. Comme si le beau temps durait si peu longtemps qu’il devait nécessairement s’accompagner d’un écran protecteur. Mais non. L’été, les gens meurent aussi.

C’était une époque où ma mère gagnait une partie de sa vie en parcourant les marchés aux puces pour vendre des vêtements qu’elle produisait. Assise au fond du kiosque, je ne sais plus trop à quoi j’occupais mon temps. En 1990, aucun appareil portatif ne me permettait de passer mes journées à jouer à Candy Crush. Je lisais, sans doute. Mais surtout : j’observais.

Ce jour-là, j’ai observé que les conversations anodines entre inconnus sont parfois moins anodines qu’on le croit. En juillet 1990, entre les kiosques disparates et les bébelles au rabais, beaucoup de gens ont répété : «Ben oui, toé... Gerry... » Y’avait rien d’autre à dire. Il avait chanté Toujours vivant et il était mort, nous renvoyant tous un peu à nos peurs ultimes. Quelque chose dans cette mise en commun de la peine était assez neuf pour moi et m’atteignait droit au cœur.

Apprendre le deuil

Il faut dire que je ne connaissais rien à la mort. Mes quatre grands-parents étaient vivants et en santé et je n’avais jamais vraiment envisagé que quelqu’un que j’aime puisse mourir.

C’est quatre ans plus tard, au début de l’été 1994, que ma grand-mère maternelle est décédée subitement. Les larmes de ma mère ce matin-là n’avaient plus rien à voir avec l’été 1990. Elle rencontrait la perte vive.

Dans les semaines suivantes, j’ai passé pas mal de temps chez mon grand-père pour lui tenir compagnie. Une fois la stupéfaction passée, j’avais le sentiment d’avoir fait mon deuil rapidement. Assise près de la piscine, je m’ennuyais; ça laissait présager que l’été se déroulait à peu près normalement.

Jusqu’au jour où, au téléphone, un monsieur a demandé à parler à Marcelle Voyer. J’ai gelé. Comme si dire sa mort serait la tuer encore. Après quelques secondes j’ai répondu : « Elle n’est pas là. » On m’a promis qu’on allait rappeler. J’ai raccroché en me sentant lâche et j’ai plongé à l’eau pour mieux pleurer.

Cet été-là, j’ai appris que les deuils font souvent des détours et sont généralement plus lents qu’on ne le croit.

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