Survivre à la perte d’un fils
Deux ans après le tragique accident qui lui a volé son fils, impossible pour Manon Pagé de tourner la page
Manon Pagé a vécu le pire cauchemar d’un parent un soir d’été de 2013, alors qu’elle a croisé sur la route l’accident qui venait de coûter la vie à son fils. Mince consolation, sa mort a donné la vie à un jeune homme malade qui a reçu son cœur.
«Deux ans après, je suis toujours sous le choc. Jusqu’au printemps 2015, j’ai demandé tous les jours à mourir. Quand j’ai appris que j’avais le cancer, j’ai réalisé que je voulais vivre», raconte la femme de 44 ans.
Son fils Jean-François est décédé dans un accident lorsque sa voiture est entrée en collision avec un camion sur la route 364 à Saint-Sauveur. Mais Manon est résiliente. Tour à tour, la mort lui a enlevé son amour d’adolescence, son mari et père de ses enfants, puis son fils dans ce tragique accident.
Votre fils a été maintenu en vie pour un prélèvement d’organes. Comment avez-vous vécu ces jours d’attente ?
L’attente a prolongé notre calvaire. Pour le don d’organes, on l’a accroché à la vie. Son corps était en bon état. Nous avons été cinq jours à l’hôpital à attendre sa mort. Je n’ai pas dormi pendant ce temps. Je lui tenais la main, je suis restée à ses côtés. Je sortais seulement pour prendre mon souffle et une bouchée. Je lui parlais, je lui disais à quel point je l’aimais et que j’aurais dû être à sa place.
Vous partiez du même souper, mais vous avez emprunté un chemin différent ce soir-là, est-ce un mauvais tour du destin ?
Quand j’ai acheté notre maison, j’ai hésité. J’avais peur de cette route. Était-ce une prémonition ou les inquiétudes normales d’une mère? Jean-François n’aimait pas conduire et il ne conduisait pas bien. Il a probablement dévié de la route parce qu’il cherchait quelque chose dans le coffre à gants. Il aurait donné un coup de volant et un camion l’a ramassé.
Comment êtes-vous restée debout après la mort de votre fils ?
Il fallait que je sois forte pour Béatrice, ma fille. Je ne voulais pas faire la même erreur que quand leur père est mort. Jean-François était un garçon qui prenait beaucoup de place. À l’adolescence, il m’a fait vivre l’enfer. Il a pris de la drogue, il en vendait, il s’automutilait. Je me consacrais au plus urgent. Je ne pouvais pas laisser tomber ma fille deux fois.
Qu’est-il arrivé au père de vos enfants ?
Un suicide. Jean avait trop bu, il a pris une arme et s’est tiré. On s’était chicanés ce soir-là, parce qu’il avait trop bu. Le soir de nos fiançailles, il avait aussi pris une arme à feu et menacé de se suicider après avoir trop bu. Peut-être qu’il a voulu se venger parce que mon amour d’adolescence s’est suicidé aussi.
Lui en avez-vous voulu de vous avoir laissée seule à élever deux enfants ?
Non, il n’avait pas toute sa tête. La seule fois où je lui en ai voulu, c’est quand Jean-François est décédé. Je croyais qu’il protégeait ses enfants. J’ai toujours parlé avec lui après son décès. Mais quand Jean-François est mort, j’ai arrêté pendant au moins un an. Depuis nous avons fait la paix. On s’est parlé, il m’a écoutée. Il faut s’accrocher à certaines choses...
Comment avez-vous retrouvé le goût de vivre après toutes ces épreuves ?
Le chemin est long. Je n’avais d’autre choix que de retrouver du bonheur dans les petits gestes. Chaque jour, je vais marcher dans le bois jusqu’à un petit lac avec mon chien. Je vais puiser un peu d’énergie pour ma journée. On ne peut garder tout le mal en dedans. Il faut qu’il serve à du positif comme avec ce livre. S’il peut aider une ou deux personnes, ce sera déjà une belle réussite.
Trouvez-vous du réconfort dans le fait que le cœur de votre fils bat encore ?
Ça me console qu’un jeune du même âge ait eu son coeur. C’est un baume qu’il n’ait jamais arrêté de battre. Mon fils venait de décéder quand on lui a appris qu’il aurait un cœur. Son cas a été médiatisé, alors j’ai écrit à sa tante et depuis on échange. Mais je ne me sens pas prête à une rencontre. Peut-être un jour.