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Crimes et châtiments

ART-CLAUDE JUTRA
Photo d'archives Nous ne verrons plus jamais Claude Jutra de la même manière.

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Fedor Mikhaïlovitch Dostoïevski, tout le monde s’entend là-dessus, est un immense écrivain russe, dont les œuvres bouleversent encore près de 150 ans après leur parution. J’en parle parce que les éditions Actes Sud, en France, viennent de finir la réédition, dans sa collection Thésaurus, de l’ensemble de l’œuvre de Dostoïevski, traduite par André Markowicz. Vingt-neuf volumes réunis. Une somme.

C’est par les traductions de Markowicz que j’ai redécouvert Dostoïevki. Quand j’ai lu son Crime et châtiment, je suis tombé sur le derrière. Ça devenait une sorte de comédie dramatique noire, très noire, rythmée et furieuse. Ce que le traducteur nous fait découvrir, c’est l’oralité des textes de Fedor, et il a réussi à nous en rendre la contemporanéité. C’est vraiment à lire, je vous jure.

Et puis, tant qu’à parler de Dostoïevski, il n’est peut-être pas inutile de rappeler qu’il a été, de son vivant, jeté en prison et raillé par la bonne société pétersbourgeoise. Noble déchu devenu révolutionnaire, il a imploré qu’au bagne on lui épargne les fers, et on l’a ridiculisé pour ça. Beaucoup plus tard, criblé de dettes, il s’est enfui en Allemagne. De révolutionnaire de pacotille, il est devenu un fervent nationaliste, un peu chauvin, même. Mais c’était un très grand écrivain.

L’homme, l’œuvre

Je suis loin d’être sûr que j’aurais aimé passer du temps en sa compagnie. C’est vrai aussi de Louis-Ferdinand Céline, que j’abhorre personnellement, de Henry Miller, de Bukowski et, franchement, de la moitié des écrivains québécois contemporains.

Le problème avec les artistes, c’est qu’ils ne sont pas toujours doués pour la vie normale. On ne se lance pas dans les arts parce qu’on est parfaitement à son aise dans le monde. On ne passe pas des milliers d’heures seul, penché sur une page ou dans la solitude d’un atelier, parce qu’on se sent bien à sa place parmi la foule.

C’est exactement pour cette raison qu’il y a tant d’homosexuels dans les arts; ils se sentaient mal dans une société qui les broyait. Dans les arts, ils trouvaient une façon socialement acceptable d’exprimer ce qu’ils vivaient, ce qu’ils ressentaient. C’est vrai des homosexuels, des hypersensibles, des borderline... et des pédophiles.

Beaucoup d’artistes sont des ­artistes justement parce qu’ils ne vivent pas comme tous les autres, ne ressentent pas comme tous les autres. C’est la proximité de la folie, de la mort, de la déviance, de ­l’hypersensibilité qui donne à leurs œuvres cette lumière particulière, oblique, qui donne du relief aux choses. Les lecteurs, les spectateurs apprécient, parce qu’ils ont l’occasion de voir le monde différemment, avec une sensibilité ­renouvelée.

Je pense à Jutra. Ce qu’il a fait est impardonnable. Mais ses films auraient-ils seulement existé s’il n’avait pas été cet être que l’on condamne aujourd’hui avec raison?

Nous ne verrons plus jamais l’homme de la même manière. Mais ses films ont toujours été marqués par ce combat secret qu’il se livrait à lui-même, et qu’il a de toute évidence perdu.

Ses films n’ont pas changé. Nous, oui.

 

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