Un jeune dans l'enfer de la drogue
À peine entré au secondaire, Philippe Ménard fumait du pot, du hasch, et avalait de la morphine en comprimés.
«Il n’y avait rien que j’aimais, je me coupais complètement de mes émotions. Je m’automutilais. Le seul moment où j’étais bien, c’était quand je consommais. J’étais désespéré», laisse tomber le jeune homme de Sainte-Thérèse, en banlieue nord de Montréal.
Philippe, aujourd’hui âgé de 16 ans, représente un cas exceptionnel. «Le fait de vivre avec une problématique d’alcool dès un si jeune âge est rare, estime l’intervenante spécialisée en dépendance Annie Marcotte. Et ce l’est tout autant de vivre une souffrance, une détresse, depuis un âge si bas.»
Abus dangereux
La feuille de route d’abus de substances de Philippe est longue. Entre 12 et 15 ans, il consommait du pot et du hasch trois à quatre fois par semaine. Il a arrêté parce que ces drogues le rendaient anxieux.
À 13 ans, il a essayé des comprimés de morphine. Sa sœur venait de sortir de l’hôpital et on lui en avait prescrit pour soulager la douleur. Philippe n’a pas tardé à mettre la main sur cette drogue. En une semaine, il a absorbé des comprimés à trois reprises.
À 15 ans, il «sniffait» des comprimés de «speed» et d’hydromorphone, dérivé semi-synthétique de la morphine, volés aux parents d’un de ses amis.
Puis, à 16 ans, il a essayé la cocaïne. À la même époque, il avalait ou «sniffait» des comprimés contre l’anxiété.
Quand ses parents ont caché ses médicaments d’ordonnance, Philippe est tombé dans l’alcool.
«Je buvais en groupe ou seul. Quand j’étais saoul, je me sentais bien... jusqu’à ce que ça n’aille plus bien du tout. Là, ce n’était plus amusant», lance-t-il.
Il touche le fond
L’ado a touché le fond l’été dernier. Le matin, Philippe s’enfilait une bière avec son bol de céréales. Avant midi, il en avait «calé» trois.
À ce moment, il absorbait l’équivalent d’une caisse de 12 bières chaque jour. Il manipulait ses parents pour avoir toujours une bière de plus.
«J’aimais être saoul. Je sais que ce n’est pas une bonne façon de vivre, mais tout était plus amusant. Quand j’étais à jeun, c’était ennuyant», se rappelle-t-il.
Changer ou mourir
Philippe suit aujourd’hui une thérapie. Tranquillement, ses pensées obsessives sur l’alcool l’ont quitté. Et il ne faiblit plus au son du mot «bière» ou même «froide».
La coordonnatrice et intervenante spécialisée en dépendance Annie Marcotte n’est pas peu fière du chemin parcouru par Philippe.
«Au début, j’avais affaire à un jeune homme très méfiant. Peu à peu, il est sorti de sa carapace. Il a commencé à sourire et s’impliquer», raconte-t-elle.
Le jeune homme aspire aujourd’hui à aller au cégep. C’est ce qui le motive à poursuivre sa thérapie.
Il voulait en finir
La descente aux enfers de Philippe l’a mené jusqu’à prendre un couteau, se lacérer le corps et menacer de se l’enfoncer dans la jugulaire.
Le 20 septembre dernier, l’adolescent est revenu saoul à la maison. Il a commencé à se couper avec un couteau et, dans un geste de désespoir, a menacé ses parents de s’enlever la vie. Les policiers ont été appelés sur place et l’ont emmené à l’hôpital.
«Je me suis laissé arrêter, laisse-t-il tomber, non sans “baver” les deux policières dépêchées sur les lieux. Je ne voulais pas sembler émotionnel. Je voulais être le gars qui s’en “câlisse”, tourner en ridicule la situation.»
Avant de suivre les agentes, dans un moment touchant, le jeune est accouru vers ses parents pour les serrer dans ses bras et leur dire: «Ce n’est pas votre faute.»
«Il fallait m’arrêter, j’étais une machine à me détruire», articule-t-il.
En chemise d’hôpital
Il s’est réveillé en chemise à l’hôpital, le corps meurtri d’une centaine de coupures. Devant le psychiatre, il se montrait tout aussi insensible. «Mais en dedans, je voulais tomber en larmes», ajoute Philippe.
Hors de contrôle, le jeune homme a été placé en isolement. Il frappait dans les murs. Quand il s’est calmé, il a rencontré une travailleuse sociale.
«J’avais deux choix: soit j’allais volontairement en centre d’accueil, soit devant un juge pour qu’il décide pour moi», relate celui qui venait de faire l’objet d’un autre signalement à la DPJ.
Il a choisi la première option.
«Je purgeais ma peine», ajoute Philippe à propos de son passage en centre d’accueil, qui a duré un mois. Il a ensuite été orienté vers le centre Le Grand Chemin, un organisme d’hébergement fermé qui, dans le cadre de séjours de 8 à 10 semaines, offre des services de thérapie à des jeunes de 12 à 17 ans aux prises avec des problèmes de dépendance.
Lorsqu’il a été arrêté, c’était la troisième fois au cours de la dernière année que Philippe tentait de s’enlever la vie en ingurgitant un cocktail de médicaments d’ordonnance et d’alcool.
Son cas a finalement été pris au sérieux.
Mais d’où vient ce mal de vivre? «Je ne sais pas, c’est encore flou pour moi», lâche-t-il.
Les jeunes et les excès
- 12 ans: L’âge du plus jeune adolescent suivi au Centre de réadaptation en dépendance de Montréal.
- 15 ans: La moyenne d’âge des cas en traitement des toxicomanies tourne autour de 15 ans.
- Baisse de 20 % de la consommation de cannabis.
- Les jeunes consomment 7 % moins d’alcool depuis une dizaine d’années.
- Augmentation de 90 % de la consommation de médicaments sans prescription chez les adolescents.
Source: Enquête québécoise sur le tabac, l’alcool, la drogue et le jeu chez les élèves du secondaire, 2013