Au revoir les enfants
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Mes enfants ne sont plus des enfants. Ils atteignent cet âge où tout bascule, cette sorte de vertige qu’on appelle l’adolescence. C’est le saut dans le vide de l’âge adulte, auquel rien ni personne ne nous prépare vraiment.
Vouloir protéger à tout prix nos enfants comporte le risque de bien mal les préparer à faire face aux meules du social qui les écorcheront inévitablement, à moins qu’elles ne les broient. Car le monde qui les attend n’est pas un jardin de roses où coulent d’abondance le lait et le miel. Le monde qui les attend ne les attend pas, justement. Et nos enfants devront s’y faire une place en jouant des coudes, en essayant de ne pas trop souffrir et de ne pas trop faire souffrir les autres.
Nous sommes malades de nos enfants, malades d’amour, mais malades tout de même. Nous cherchons à les préserver dans la ouate, comme les objets fragiles qu’ils sont, mais qu’ils ne pourront pas continuer à être si nous voulons qu’ils deviennent des adultes.
Un oiseau ne quitte pas le nid en descendant une échelle sur l’œil attendri de ses parents. Il ouvre les ailes et tombe, et recommence, et se pète la gueule et finit par apprendre à voler.
Je pensais à tout ça pendant la semaine de relâche, en regardant les enfants lire, et les ados pitonner sur les téléphones intelligents. Les enfants lisaient des histoires belles et gentilles avec de belles images, et qui véhiculent des valeurs de respect et d’égalité. Et les ados regardaient des gens qui se pètent la gueule sur YouTube.
Les ados pourtant lisaient aussi des livres, voilà peu. On a créé toute une industrie pour eux. Des livres pour les 0 à 4 ans, pour les 4 à 8, les 8 à 12... Des livres qui leur montrent à vivre dans un monde qui n’existe pas, où tous sont emplis de bonne volonté, et où on peut tout régler en prenant le temps d’en parler.
Et puis ensuite ils lisent des histoires de chevaliers dans des mondes parallèles, des histoires de magiciens, et si le Mal existe il est clairement identifié, et si le courage existe, c’est qu’il coule dans ton sang.
Désillusion
Et ensuite... ils ne lisent plus rien, parce que tout ce qu’ils ont lu apparaît comme une sorte de mensonge quand ils découvrent que Donald Trump est populaire et que discuter mène souvent à l’engueulade, et que les «bons» tuent des innocents en bombardant les «méchants».
On a créé une industrie du livre pour enfants qui est une réussite s’il s’agit de vendre des livres aux parents, mais qui est un échec retentissant s’il s’agit de créer des lecteurs, c’est à dire des adultes en devenir qui lisent pour apprivoiser la difficulté et la complexité du monde.
Les jeunes lecteurs sont très nombreux à cesser de lire à l’adolescence parce que nous n’avons pas voulu leur faire lire les livres adultes qui les auraient préparés à la jungle qui les attend.