Deux pays
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J’ai passé ma vie à cheval sur le parc des Laurentides. La moitié de mes études et de ma carrière au Saguenay, l’autre moitié à Québec; ma famille à Québec, mes amis au Saguenay. Depuis quelques années, je travaille au Saguenay la semaine, la fin de semaine à Québec. Chaque fois que je traverse le parc, je cherche où se situe la fracture, la faille qui creuse l’écart entre ces deux pays de plus en plus étrangers l’un à l’autre.
À Québec, on parle de retraite, de confort, d’augmentations de salaire, de voitures de luxe. Au Saguenay, bien des travailleurs n’arrivent plus à faire «leurs timbres» pour l’hiver. Des familles font leur bois de chauffage, chassent autant par nécessité que par loisir, étirent la vie de leur pick-up... ou déménagent à Québec, si elles peuvent vendre!
Les maisons se négocient en bas de l’évaluation municipale au Saguenay. À part certains condos trop clonés, la propriété immobilière reste une valeur sûre à Québec.
Les commerces
Tout au long du boulevard de la Capitale, les commerces s’agrandissent, se multiplient. Au Saguenay, les locaux commerciaux déserts foisonnent. Seuls des Dollarama et marchés aux puces ouvrent encore. Même Walmart parle de coupes. Les grandes industries ont stoppé tout investissement.
Le taux de chômage est à peu près nul à Québec; presque 10 % au Saguenay. Cette semaine, on y a prédit la perte de 1600 emplois en forêt, because le caribou forestier et les Amérindiens. La nouvelle n’a pas franchi le parc. Comme si l’équivalent de 4000 emplois menacés à Québec ne valait pas un entrefilet...
Du luxe
Québec a obtenu un aréna de 400 millions, des travaux routiers majeurs incessants; on gère la croissance, on s’enthousiasme pour le prolongement de la faste promenade Samuel de Champlain, le nouveau musée, le fantastique festival d’été, l’aéroport qui grandit sans cesse. Au Saguenay, on peine à finir une misérable piste cyclable qui se fendille et meurt au bord d’une rue sans accotements.
Je note du luxe à Québec jusque dans les détails: les planches joliment posées en biais le long de la St-Charles tiennent par des vis encavées. Au Saguenay, les clous se déchaussent sur les planches raboteuses de la principale piste cyclable.
Deux poids
Même la très gouvernementale SÉPAQ semble avoir deux poids, deux mesures: une route asphaltée mène au pavillon d’accueil du parc de la Jacques-Cartier. On vous y donne une carte topographique en couleur des sentiers soigneusement balisés. Dans le parc des Monts-Valin au nord de Chicoutimi, une route de «gravelle» cahoteuse mène à des sentiers au balisage minimaliste, qu’on arpente avec une vague carte en noir et blanc.
J’habite deux pays à la fois: l’un, fier, prospère, coquet, ambitieux, que les gouvernements soignent. L’autre, opiniâtre et discret, perd ses emplois et retient son souffle en traversant une crise économique majeure qui indiffère les pouvoirs publics.
Le Québec a-t-il décidé de perdre son Nord?