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Uber : épreuve démocratique

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Un projet pilote permet d’accueillir démocratiquement l’innovation... pourvu que ce soit une expérience circonscrite produisant des informations utiles.

Nous ne connaissons pas le fin détail de l’entente entre le gouvernement du Québec et Uber pour la tenue du projet pilote d’un an. Et si on lit entre les lignes des commentaires prudents du directeur général d’Uber au Québec, Jean-Nicolas Guillemette, l’entreprise elle-même veut les comprendre et se laisse la porte ouverte à la décision finale d’aller de l’avant avec le projet pilote ou fermer les portes au Québec.

Il faudra une dizaine de jours avant de se faire une meilleure idée... provisoire encore. Car même les arrêtés ministériels autorisant des projets-pilotes précédents comportaient encore des lacunes. Par exemple, le long arrêté ministériel autorisant et précisant les conditions du projet pilote Taxelco (Téo Taxi) de taxis électriques à Montréal énonçait que :

Une entente entre ce promoteur et le ministre doit être conclue (...) sur le partage de l’information, les mécanismes de suivi et la production de rapports.

C’est-à-dire qu’il restait encore à négocier les conditions indispensables à l’évaluation de l’expérience et aux décisions à prendre ensuite.

Le projet Uber peut être un banc d’essai pour d’autres expérimentations sociales contrôlées innovations disruptives

Bref, dans une perspective démocratique, nous pouvons dans un premier temps nous réjouir de la soumission, tardive, d’Uber à la loi québécoise. Cependant, dans la même perspective, il nous faut nous montrer vigilants et exigeants quant aux détails du projet pilote.

Maitriser la disruption

Uber fait partie de ces entreprises de la Silicon Valley qui érigent la disruption en stratégie commerciale et politique.

Réduisons ici le concept de disruption à sa plus simple expression : l’introduction d’une innovation qui n’apporte pas un nouveau produit sur un marché, mais plutôt détruit ce marché pour le remplacer par un autre, inédit.

Cette disruption peut être plutôt technique. Par exemple, le projet d’Uber et Volvo qui, à l’instar d’autres consortiums, vise à commercialiser la voiture autonome, sans conducteur, dans un avenir rapproché. Cette innovation sera disruptive, car à terme l’auto cesserait d’être le bien de consommation individuel qu’il est aujourd’hui. L’auto deviendrait alors surtout un service de transport, propriété d’un petit nombre d’entreprises seulement. Parmi les nombreuses conséquences, le gros des commerces locaux de détail qui sont familiers (concessionnaires, garagistes, pièces et accessoires, lave-auto, etc.) devrait disparaitre.

Uber fait partie de ces entreprises de la Silicon Valley qui érigent la disruption en stratégie commerciale et politique

Cette disruption peut aussi être de nature politique. C’est le cas d’UberX : créer un état de fait afin d’imposer un nouvel état de droit. Rendre caduques les différentes règlementations locales pour laisser à l’entreprise planétaire le pouvoir de réguler elle-même chacun de ses marchés locaux à l’aide de ses propres outils de contrôle cybernétique. Ici, l’innovation sert un projet autant commercial qu’idéologique, fondamentalement antidémocratique.

Une société qui se prétend libre et démocratique doit se donner les moyens de maitriser la disruption. Sinon, elle ne restera ni libre ni démocratique.

L’expérimentation démocratique

Le recours à des projets pilotes est un moyen parmi d’autres pour maitriser la disruption. Cela permet à une société de créer des sortes de bulles règlementaires temporaires s’écartant du droit existant où une innovation disruptive peut être éprouvée dans des conditions contrôlées. Les informations et leçons tirées de l’expérience permettent d’ensuite discuter publiquement :

  • faut-il permettre l’innovation ; et si oui avec
  • quelles conditions et quel encadrement réglementaire ; et
  • quelles mesures pour faciliter la transition, le cas échéant.

L’expérimentation d’innovation disruptive circonscrite en dérogation du droit existant n’est pas une nouveauté. Parmi les grandes expériences canadiennes, on peut citer le programme Mincome dans les années soixante-dix. Pendant plus de quatre ans, près d’un demi-million de Manitobains ont reçu différentes variantes d’un revenu de base inconditionnel au lieu des programmes de sécurité sociale existants (assurance-emploi, aide sociale, etc.) légalement offerts.

Conduit avec rigueur, ce type d’expérimentation permet à une société d’obtenir certaines connaissances des implications possibles avant de décider, soit de s’engager dans une innovation disruptive publique, soit d’accueillir une innovation disruptive privée.

Exigences démocratiques

Le projet pilote Uber ne concerne pas que le seul marché du taxi. Il concerne l’avenir de l’ensemble de la société québécoise. Car ce projet peut non seulement nous fournir des informations et leçons pour l’encadrement d’entreprises de taxi, telle Uber. Ce projet peut aussi nous enseigner comment le Québec pourrait accueillir plusieurs des nombreuses autres innovations disruptives qui s’annoncent inévitables. Le projet Uber peut être un banc d’essai pour de futures autres expérimentations sociales contrôlées d’innovations disruptives.

Le projet pilote Uber ne concerne pas que le seul marché du taxi. Il concerne l’avenir de l’ensemble de la société québécoise.

Le gouvernement Couillard doit donc nous expliquer comment son projet pilote constitue une véritable expérience plutôt qu’une simple étape de légalisation des activités d’UberX. Par exemple, il doit expliciter sur la base de quels calculs ou simulations le gouvernement est-il arrivé à la conclusion que l’absence de limites d’heures de taxi par semaine (mais plutôt une modulation de tarifs de redevances) :

  • respecte ses objectifs déclarés d’équité concurrentielle et d’absence d’impacts sur la valeur des permis ; et
  • empêche donc toute disruption irréversible du marché du taxi au cours des douze mois prévus.

Le gouvernement doit aussi nous annoncer, ne serait-ce qu’à titre provisoire, quels seraient les types de résultats qui lui feraient conclure que le projet pilote aura été un succès ou non.

Et compte tenu de la persistance de conflits ouverts dans l’industrie du taxi, le gouvernement Couillard doit aussi s’entendre, non seulement avec Uber, mais aussi avec toutes les principales parties prenantes, à propos de quelles informations et quels rapports devront être produits par qui et rendus publics en vue d’alimenter des débats et décisions publics qui suivront la fin du projet pilote.

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