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La police, les drones et nous

La police, les drones et nous
Photo d'archives, AFP

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 « Drone » désigne des appareils très divers dont les usages et effets sont encore plus variés. Il nous faut trouver moyen d’en débattre correctement.

Les drones font nos manchettes ces derniers jours. « Un drone sème l’émoi près d’une école. » « Drones à la prison de Bordeaux. » « Vol de drone au-dessus de la prison de Trois-Rivières. » « Un bambin disparu retrouvé avec l’aide d’un drone. » Manifestement, la relative nouveauté des drones dans nos paysages fascine.

Deux reportages récents portent sur l’acquisition de drones par la police. Un premier, de Radio-Canada, signale un conflit au sujet de l’encadrement de l’usage de la dizaine de drones de la GRC. Un second reportage, de CogécoNouvelles, annonce l’acquisition de deux drones par la Sureté du Québec (SQ) dans le cadre d’un projet pilote.

Dans ces deux cas, la question abordée est celle de la surveillance policière permise ou non par des drones captant des images du haut des airs.

Dans les deux cas, les journalistes opposent pouvoir et contrepouvoir, à savoir le corps policier à l’organisme veillant à l’application des lois de protection des renseignements personnels. Le Commissariat à la vie privée dans le cas de la GRC ; la Commission d’accès à l’information dans celui de la SQ.

Or, les questions soulevées par la surveillance par drones ne se résument pas à une affaire de bonne gestion d’informations. Les implications sont souvent beaucoup plus larges. Et plus graves également. Ces implications ne pourront pas être réglées seulement entre les duos d’organismes ainsi mis en scène par les journalistes. Souvent, nous les citoyens n’aurons pas le choix d’en débattre publiquement et diverses autorités règlementaires, d’en décider..

Outils plus ou moins puissants

Le mot « drone » désigne des appareils très différents qui permettent des usages encore plus divers.

Ainsi, les drones de la SQ sont de gros jouets. Leur autonomie de vol se calcule en dizaines de minutes et en kilomètre. Ils ne pourront même pas voler par bon vent. Ces drones seront testés dans le cadre d’opérations se déroulant déjà au sol. On songe notamment à la visualisation aérienne de scènes de crimes ou zones de collision.

L’éventuelle obligation de subir ces innovations nous donne à tous le droit d’avoir notre mot à dire sur les usages permis ou non ainsi que sur leurs balises.

De son côté, la GRC dispose d’un parc de dizaines de drones. Certains d’entre eux sont de véritables avions sans pilotes dont l’autonomie peut se calculer en dizaine d’heures et milliers de kilomètres. Non seulement ces derniers drones peuvent-ils être équipés de caméras, mais également d’armes offensives et de contremesures électroniques. Illustrons la capacité de ces derniers types d’appareils dérivés de technologies militaires.

Par exemple au Mexique, on a réussi à faire arrêter un chef de gang qu’on soupçonnait d’avoir commandé des centaines de meurtres par une surveillance aérienne de la totalité de la ville frontière de Juárez. Un seul appareil volant doté de caméras était capable de fournir des images couvrant chacune 65 kilomètres carrés. Grâce à ces images, il a été possible de relier les déplacements aller et retour vers le lieu de l’assassinat d’une policière jusqu’à des lieux de rendez-vous, puis de ces derniers jusqu’à la résidence du chef mafieux. On disposait enfin d’une preuve de participation à un meurtre.

Autre exemple, le lanceur d’alerte Edward Snowden et quelques organisations de défenses des libertés civiles ont révélé l’usage secret par des corps policiers et la NSA d’appareils volants agissant comme de fausses tours de téléphonie cellulaire. Ces dispositifs peuvent intercepter les appels et autres transmissions. Ils peuvent leur relayer de faux messages. Ils peuvent même prendre carrément le contrôle des téléphones, tablettes ou autres appareils qui se connectent à eux.

Les appareils actuellement disponibles sur le marché permettent donc de surveiller du haut des airs la totalité des déplacements et communications sans fil de toute une population. Le pouvoir de l’État d’exercer une surveillance de masse de sa population et ses conséquences s’impose donc au débat public.

D’abord une question de santé publique

Quels sont les effets de savoir qu’on ne peut faire un pas dehors dans sa propre cour ou sur la rue sans être observé du haut des airs par des organisations disposant de pouvoirs considérables ?

On commence à peine à documenter cette question. Cependant, déjà les premières études et enquêtes disponibles signalent que la surveillance aérienne constante est clairement source de stress dans la population ordinaire. Les conséquences médicales varient grandement, allant de simples maux de tête ou nausées jusqu’à la crise cardiaque, en passant par divers problèmes de santé mentale conduisant jusqu’au suicide. Les conséquences sociales ne sont pas négligeables non plus. Car les gens sont amenés à éviter de sortir à l’extérieur.

Si on souhaite déployer de tels outils de surveillance, il faut donc garantir à la population qu’elle échappera à la surveillance de masse.

Ces effets s’avèrent évidemment plus dramatiques là où la surveillance aérienne permanente peut à tout moment se transformer en attaque physique, comme avec les drones états-uniens au Pakistan et en Afghanistan. Mais ces effets s’observent tout autant là où il n’y a que surveillance, comme aujourd’hui par les drones israéliens à Gaza (hors temps de guerre ou d’escarmouche) ; ou dans les mois qui ont suivi les attaques du 11 septembre 2001, la surveillance aérienne de New York par la police et l’aviation militaire locales.

Si par analogie, l’expérience du totalitarisme en ex-Europe de l’Est offre quelque leçon, c’est bien que si une population peut s’adapter à une surveillance constante, c’est avec un cout certain pour sa santé physique et mentale.

Si je parle de santé ici, c’est bien pour illustrer qu’on ne peut mécaniquement réduire la question de la surveillance aérienne, par drone ou autrement, qu’à une affaire de gestion d’informations personnelles.

Contrôles numériques

Si on souhaite déployer de tels outils de surveillance, il faut donc garantir à la population qu’elle échappera à la surveillance de masse. Qu’un opérateur ou analyste ne se puisse se servir des images aériennes pour suivre les déplacements de sa petite amie. Ou le chef de police, pour faire suivre le ministre ou le conseiller municipal qui talonne son service de trop près à son gout.

La nature numérique de ces dispositifs pourrait éventuellement servir mettre en place divers verrous empêchant une surveillance incontrôlable.

Par exemple, lorsque les individus et les véhicules ne sont réduits qu’à quelques pixels sur une image en contenant de millions, la détection et le suivi des mouvements doivent être assistés par ordinateur. On peut donc forcer l’ordinateur à exiger que chaque cible suivie corresponde à un lieu de crime ou personne suspecte géolocalisés préautorisés par une autorité judiciaire. Tout le reste de l’image resterait alors inaccessible. Ces contraintes pourraient alors être complétées de mesures de contrôle administratives et publiques.

Bref, autant on peut se servir de la surveillance aérienne de bien des manières, autant chacun de ces usages peut être conçu et balisé de bien des manières également.

Ouvrir le débat

Le reportage de Radio-Canada rapportait un différend entre le Commissariat à la vie privée et la GRC. Cette dispute ne concerne pas une question de fond à propos de l’usage de drones. Elle porte plutôt à savoir si la GRC a l’obligation ou non de remettre au Commissariat une déclaration de nouveau(x) maniement(s) de renseignements personnels (très inexactement appelée « évaluation des facteurs relatifs à la vie privée »).

Il est agaçant qu’un organisme gouvernemental, telle la GRC, n’ait ici légalement à informer qu’un autre organisme public, le Commissariat à la vie privée. Et encore plus agaçant que ce dernier organisme se prononce tout seul au nom de la protection de la population, sans devoir consulter celle-ci. Cette pratique relève d’un paternalisme cadrant mal avec les aspirations démocratiques des citoyens au 21e siècle. Et il est tout aussi agaçant que ces échanges interorganismes publics se limitent à une question restreinte, à avoir la conformité des nouveaux maniements à une loi de protection des renseignements personnels.

Autant on peut se servir de la surveillance aérienne de bien des manières, autant chacun de ces usages peut être conçu et balisé de bien des manières également.

Il serait grand temps qu’on ouvre ce genre de discussion à tous les intéressés et sur toutes les implications.

Depuis les années soixante-dix aux États-Unis, diverses lois fédérale et des états exigent des organismes publics projetant fait un nouveau maniement d’informations sur les citoyens qu’ils :

  • rendent public ce projet avant sa réalisation ; et
  • donnent l’occasion à toute personne de faire part de ses commentaires, arguments ou données (sur l’importe quel aspect du même projet).

Il serait temps qu’une telle obligation, mise à jour pour s’accorder aux pratiques d’aujourd’hui, soit adoptée ici aussi au Québec et au Canada.

Car de nombreuses innovations, parfois majeures, s’annoncent en matière de productions et maniements d’informations sur les citoyens. Or, plusieurs parmi elles peuvent être déployées et utilisées, donc balisées, de centaines de manières différentes.

L’éventuelle obligation de subir ces innovations nous donne à tous le droit d’avoir notre mot à dire sur les usages permis ou non ainsi que sur leurs balises.

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