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Réflexions agricoles sur fond de mythologie

Grocery shopping
Illustration Fotolia


Il y a plusieurs mythes qui circulent quant à l’agriculture au Canada. Généralement, ils émanent des associations agricoles comme l’Union des producteurs agricoles (UPA). Cependant, à force d’être répétés, ces mythes semblent entrer dans l’imaginaire populaire comme un fait social indiscutable. Inconsciemment, on réussit à les intégrer à notre raisonnement (voir ici cet article dans Applied Economic Perspective and Policy).

Le plus récent exemple m’est fourni par Marie-Claude Lortie dans un article publié pour La Presse +. Alors qu’elle discute de l’accord de libre-échange avec l’Europe, elle se demande si on devrait protéger et dédommager les petits fromagers qui se battent « comme des David contre Goliath » pour mettre leurs produits en valeur. Il y a derrière cette affirmation plusieurs mythes qui sont liés au sujet de la disparition des fermes au Canada (en général) et des petites fermes (en particulier).

Premièrement, il est vrai que le nombre de fermes diminue : de 480,000 en 1961 à 205,000 lors du recensement de 2011. Simultanément, la superficie des terres exploitées a diminué aussi de 7.2% au cours de la même période. Mais est-ce vraiment un problème? En répétant souvent que « les petites fermes disparaissent » ou que « notre patrimoine agricole s’efface », on en vient à penser que c’est vraiment un problème. Cependant, je ne vois pas le problème. En tant qu’historien économique, j’apprécie l’importance du déclin du secteur agricole. Toutes les sociétés industrialisées ont été, par le passé, des sociétés agraires. Les caprices de la nature et la faible productivité agricole forçait la majorité de la population à opérer dans ce secteur afin de se nourrir. Les agglomérations urbaines étaient une exception. La réduction de l’importance du secteur agricole alors que nous nourrissons davantage (plus de calories) un nombre grandissant d’êtres humains à des prix qui diminuent sur le long-terme est un des plus grands développements humains depuis 1800. Après tout, on devrait toujours avoir pour objectif de nourrir davantage un grand nombre d’êtres humains en utilisant de moins en moins de terres, de capital et de travailleur. D’ailleurs, les chiffres que je mentionne plus haut impliquent que la taille moyenne des fermes augmente sans cesse (de 359 acres par ferme à 778 acres par ferme). Généralement, les « grandes fermes » sont moins polluantes, plus performantes et si elles produisent des produits plus homogènes, elles génèrent des baisses de prix importantes (voir ici et ici) .

Deuxièmement, il faut souligner que la tendance de fond n’est pas à l’élimination de tous les types de fermes. Lorsqu’on prend les données de Statistique Canada, on réalise que le nombre total de ferme a diminué rapidement. Cependant, le nombre de fermes de plus de 1600 acres a augmenté. Le nombre de tous les autres types de fermes a chuté, mais pas autant chez les petites fermes (celles de 129 acres et moins). En 1976, ces fermes représentaient 29% des fermes au Canada comparativement à 34% en 2011. La plus grande partie des disparations de fermes se retrouve au milieu – entre 130 et 1599 acres. Et c’est ici que je me permets de questionner la prémisse des propos de Mme. Lortie. Les grandes fermes, celles qu’elle qualifie « d’industrielles », produisent généralement des produits homogènes. Lorsqu’on produit à grande échelle, la concurrence se produit généralement sur les techniques utilisées qui réduisent marginalement les coûts. La contrepartie d’une telle forme de production, c’est qu’il est difficile de personnaliser le produit. Cependant, les petites installations ont tendance à pouvoir créer des produits plus uniques. Elles peuvent produire des produits de niche selon les demandes d’une clientèle.

Clairement, ces petites fermes semblent mieux résister aux changements de fond dans le monde agricole. Mais pour mieux résister, il faut que les « niches » soient assez larges pour soutenir une personne. À ces fins, il faut pouvoir échanger assez librement. Ainsi, le libre-échange est à l’avantage de ces petits producteurs. Si un petit producteur de Gaspé peut trouver une clientèle unique en France pour un produit hyper-québécois, cette niche peut être exploitée (et vice-versa pour un producteur auvergnois en France). Ensuite, il faut souligner que les politiques agricoles (qui sont fondamentalement protectionnistes) nuisent largement aux petites fermes. L’UPA et les autres syndicats impliqués dans le monde de la volaille sont très agressifs dans leurs désirs de réduire constamment le nombre maximal d’oiseaux qu’on peut posséder avant de devoir acquérir un permis de production (i.e. entrer dans le système de gestion de l’offre).  La même chose s’applique pour la production laitière. Ensuite, la batterie de réglementation (plusieurs qui ne sont pas du tout justifiables sur la base de la santé publique ou de la protection du consommateur) qui existe présentement est plus facile à gérer lorsqu’on est un « gros » producteur que lorsqu’on est un « petit » producteur.

Imaginons un Canada sans les politiques de subvention, de gestion de l’offre, de contrôle des prix et de protectionnisme à qui s’appliquent au monde agricole depuis 1960. À quoi ressemblerait l’agriculture canadienne dans un tel cas? Le nombre total de fermes serait probablement inférieur à celui de 1960. Cependant, je suis prêt à parier qu’il y aurait un nombre (absolu) supérieur de petites fermes qui produisent des produits de niche.

Voyez-vous, lorsqu’on évite de prendre le mythe pour « du cash », des nuances importantes émergent et il est difficile de tenir des positions communément tenues.







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