Halte au rapiéçage, place au débat
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Quoi qu’en pense le ministre de l’Éducation, la fin ne justifie pas les moyens. Le nouveau cours d’économie, aussi nécessaire soit-il, ne saurait être bêtement imposé au détriment du cours de monde contemporain, dès l’année prochaine, sans projet pilote et sans appel, sous prétexte qu’il faut aller de l’avant.
Cette manière de faire, autoritaire et brutale, n’est pas sans rappeler l’achat inconsidéré de tableaux blancs électroniques ou l’implantation de l’anglais intensif : la politique n’a que faire de la réalité dans les milieux car, fatalement, les perceptions des parents ont plus d’influence que l’opinion des enseignants sur le résultat des prochaines élections.
Trop souvent, ces politiques de rapiéçage apparemment bien intentionnées bouleversent le système scolaire autant sinon plus qu’elles ne règlent les problèmes. Ne faisant valoir que leurs bénéfices, on passe sous silence les sacrifices qu’elles impliquent, et les ressources trop souvent absentes qu’elles nécessiteraient.
La massue, la bosse et les pansements
L’anglais intensif, par exemple, mis à part ses bienfaits, a son lot d’effets pervers qui n’ont pas su être évités malgré les avertissements répétés : organisation scolaire complexifiée dans plusieurs milieux, abandon par beaucoup des tâches plus épuisantes et pénurie d’enseignants d’anglais. Pis encore : trop d’élèves en difficultés n’ont pu combler leurs retards d’apprentissage ou l’ont vu s’aggraver.
Mais cela n’a jamais inquiété Philippe Couillard qui, lors d’un débat, avait justifié ce changement majeur par la nécessité qu’un ouvrier puisse répondre à un investisseur «sur les planchers d'usine». Si au moins il avait pu évoquer, disons, la mobilité sociale ou l’ouverture sur le monde, j’aurais pu comprendre...
En fait, nous avions là une première impression éloquente des ambitions de notre futur premier ministre quant à l’utilité de l’école. Considération néolibérale typique prônant la marchandisation de l’éducation, d’autant plus populiste que personne n’oserait dire non à un meilleur apprentissage de l’anglais. Les inconvénients, dénigrés ou incompris, n’eurent ensuite que peu de poids devant la mentalité clientéliste régissant de plus en plus les services publics.
L’ambition ? Quelle ambition ?
Ma première réaction, comme enseignant, fut de dénoncer l’injustice faite quant à l’importance des autres disciplines. Elles pouvaient toutes, selon moi, largement mériter une intensification : les arts, le français, l’histoire, les mathématiques, les sciences... L’anglais aussi, certainement, mais pas plus que les autres.
Avait-on oublié les bienfaits que sont censées conférer les disciplines déjà enseignées ? La maitrise de sa langue et la rigueur d’une méthode scientifique, par exemple, sont-elles suffisamment valorisées au quotidien ? L’esprit critique – et non l’aptitude à déféquer son opinion – est-il développé au mieux considérant la complexité des enjeux auxquels nous devons faire face comme société ?
Pourquoi ne pas envisager, par exemple, une introduction à la philosophie, dont les bienfaits seraient sans nul doute incalculables, à court et long terme, individuellement et collectivement ? S'il est permis de bouleverser le cursus et le système scolaire pour des motifs essentiellement économiques, pourquoi ne le serait-ce pas pour des motifs humanistes?
Hélas, le pouvoir étant ce qu’il est, l’éducation échappe souvent dramatiquement aux véritables débats concernant l’avenir de notre société.
L’enfer est pavé de bonnes intentions
Dans l’introduction de la consultation sur la réussite éducative, le premier ministre se réclame de l’héritage de Paul Gérin-Lajoie, et précise «que nous avons le devoir de nous demander ensemble si nos pratiques et nos institutions répondent aux nouveaux défis que pose notre époque».
Force est de constater cependant que le cours de monde contemporain, qui tente de faire comprendre aux futurs électeurs les enjeux majeurs du 21e siècle liés à l’environnement, à la population, au pouvoir, à la richesse et aux tensions et conflits, n’a – fort soudainement – qu’une importance très relative.
C’est qu’il ne faudrait pas nuire aux établissements, explique M. Proulx, et respecter «leur volonté de disposer de l’autonomie nécessaire pour la réalisation de projets particuliers».
Bref, il ne faut pas nuire à l’ordre qui s’est imposé dans le système, au sein duquel les écoles – d’une même commission scolaire ! – en viennent à entretenir une compétition favorisant les inscriptions, mais contribuant du même coup à l’écrémage des classes régulières.
«Reset»
Plus que jamais, il est essentiel d’entamer un débat ouvert, éclairé, historique. Un grand chantier de l’éducation au Québec ou, comme nous y invite Normand Baillargeon, une commission Parent 2.0, à côté de laquelle la
soi-disant consultation sur la réussite éducative aura finalement l’air de ce qu’elle est : une autre manœuvre politique superficielle.
Car loin de s’attaquer de façon collaborative, ambitieuse et durable au défi du 21e siècle, trop de décisions semblent prises en fonction d’objectifs économiques, électoralistes, voire même sous l’influence d’une idéologie néolibérale dont les priorités sont déjà un peu partout fortement remises en question.
Il ne faut pas avoir peur d’y opposer une vision plus humaniste qui rendrait à l’éducation sa vocation première : rendre meilleure l’humanité.