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L'analyse-poubelle

L'analyse-poubelle
Photo Annie T. Roussel

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Un animal qui souffre peut devenir violent. Il se tourne alors vers la première chose à sa portée et mord.

C’est exactement ce qui s’est passé dimanche, alors que se déroulait l’horreur à Québec.

Un peu partout, des gens qui souffraient ont mordu la première chose disponible dans leur esprit : Trump pour certains, la radio de Québec pour d’autres, le multiculturalisme de Trudeau ou la Charte pour encore d’autres.

On ne savait pas encore le nombre exact de morts, ni l’identité du coupable ou son origine, mais eux savaient exactement ce qui avait causé ça. Les bandages se chargeaient encore de sang musulman dans les hôpitaux de la capitale, déjà eux savaient pourquoi cette tuerie avait eu lieu. Ils avaient tout analysé avec le zéro information disponible. C’était classé. Réglé. Ne restait plus qu’à blâmer, ce qui a commencé dans l’heure suivant les coups de feu.

Devant un geste meurtrier de haine et de préjugés, ces gens ont répondu en vomissant leur propre haine et leurs propres préjugés. Des gens connus, des moins connus. Pendant ce temps-là, les médias de Québec faisaient (majoritairement) leur boulot : couvrir le drame, alors qu’à Radio-Canada, la messe dominicale de Monsieur Lepage se poursuivait comme si de rien n’était.  

Cette fâcheuse manie d’analyser à partir de rien s’est transposée dans les médias grand public, malheureusement. Lundi, plusieurs se sont fait une joie de dire que le suspect était fan de Trump, de Marine Le Pen et du Front National. Ils ont tiré cela de la page Facebook du suspect. Sans mentionner évidemment que sur la même page Facebook il « aimait » Agnès Maltais, Mathieu Bock-Côté, le PQ, le NDP et George Bush. Ces bouts-là ne concordaient pas avec l’ordre intellectuel établi. En passant, zéro station de radio sur son Facebook. Désolé.

Je ne ferai aucun lien entre le geste du suspect (je refuse de le nommer) et ce qu’il « aimait » sur Facebook. Ce genre d’analyse-poubelle remplie de raccourcis intellectuels, de clichés et de suppositions, je croyais que c’est ce dont on affublait justement la soi-disant radio parlée. Pourtant des centaines de personnes l’ont fait sur Facebook, sur Twitter, à la télé, dans les journaux et j’en passe. Ça continue encore d’ailleurs.

Ne vous méprenez pas : les radios ne sont pas les victimes ici, même pas proche. Il y a cependant des questions à se poser sur nos réactions lorsque surviennent de telles tragédies. Tous autant que nous sommes : radio, télé, chroniqueurs, public, utilisateurs de médias sociaux. Quelle est notre part dans la propagation de la haine, de la colère? Et pourquoi toujours ce réflexe de chercher un coupable au lieu de la véritable cause?  

Québec, ce n’est pas un geste isolé, comme Montréal n’est pas Dawson ou la Polytechnique ou Richard Bain. Pourtant depuis dimanche on tente de résumer Québec à sa supposée haine, sa supposée violence. Vous pouvez garder pour vous vos liens boiteux, voire indécents et vos conclusions nées de votre propre haine. Ce n’est pas comme ça qu’on va prévenir le prochain drame. Ce n’est pas comme ça qu’on va identifier le prochain désespéré. Parce que la radio de Québec, ça n'explique pas la hausse des crimes haineux à Montréal. Parce que Trump ça n'explique pas le Brexit. Parce que le multiculturalisme de Trudeau n'explique pas la montée de la droite en France.

Tous ceux à qui nous avons parlé qui ont côtoyé le suspect le décrivent comme un jeune fortement préoccupé par l’identitaire, anti-féministe et de tendance d’extrême droite. Par-dessus tout et bien plus pertinent que le reste, ils en parlent comme un jeune qui a été sévèrement intimidé tout au long de sa jeunesse.

Voilà déjà un début de piste de compréhension possible, qui ne s’appuie pas sur des foutaises et des sophismes mais sur des faits. Parce qu’un animal qui souffre peut devenir violent.