Jusqu'à 40% des chirurgies bariatriques vouées à l'échec
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Fort coûteuses pour les contribuables et accompagnées d’une imposante liste d’attente, jusqu’à 40 % des chirurgies bariatriques effectuées dans la province sont néanmoins un échec, affirment deux sommités québécoises en la matière.
«La principale raison est que les patients perdent leurs bonnes habitudes après l’intervention», explique le Dr Henri Atlas, chef du Service de chirurgie bariatrique à l’hôpital Sacré-Coeur de Montréal.
On parle d’échec d’une chirurgie bariatrique lorsque celle-ci n’a pas permis à un patient obèse de perdre la moitié de son surpoids ou lorsqu’il reprend du poids dans les années qui suivent.
Le degré d’échec varie toutefois en fonction du type de chirurgie effectuée, selon le Dr Simon Marceau, chef du département de chirurgie bariatrique à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec (IUCPQ). «Ça varie de 5 % à 25 % selon le type d’opération et le temps où l’on prend la mesure », ajoute celui qui reconnaît aussi que le taux d’échec peut atteindre 40 % dans les 10 à 15 ans suivant l’opération.
Réseau d'experts
Selon les deux experts, le taux d’échec serait plus élevé chez les patients ayant subi une gastrectomie verticale, l’une des quatre chirurgies effectuées au Québec (voir encadré). La situation est d’autant plus préoccupante qu’une chirurgie bariatrique pratiquée dans le réseau public coûte jusqu’à 6000 $ aux contribuables et que les délais frôlent les 2 ans.
Le taux d’échec d’un grand nombre de chirurgies bariatriques serait attribuable au manque de ressources mises à la disposition des patients à la suite de l’intervention.
«C’est une faille importante de notre système et je pense que ça doit être amélioré, dit le Dr Marceau. Le taux d’échec dépend de ce qu’on va donner comme soutien au patient.»
Le Dr Henri Atlas abonde dans le même sens. Il réclame un meilleur suivi avant, pendant et après l’opération et s’inquiète du «manque de nutritionnistes pour suivre tous les patients».
Pression sur le réseau
Certains patients qui reprennent du poids devront passer à nouveau sous le bistouri et d’autres seront dirigés vers des nutritionnistes et des psychologues, occasionnant à nouveau des frais pour les contribuables, en plus d’accroître la pression sur le réseau de la santé, soulignent les deux sommités.
«On essaie de leur faire donner des cours de groupe, des groupes de soutien, mais certains patients ont besoin d’être suivis beaucoup plus étroitement par des nutritionnistes. On essaie d’avoir des entraîneurs et tout, mais ce n’est pas tout le monde qui peut s’offrir cela», déplore le Dr Atlas.
Une patiente a repris une bonne partie de son poids
Quatre ans après avoir subi une chirurgie bariatrique, une femme de Saint-Basile, dans Portneuf, a engraissé au point où son poids est devenu une « obsession » entrainant des « périodes boulimiques ». Une situation qui pourrait être évitée, selon elle, si les patients avaient un meilleur support psychologique et nutritionnel avant et après la chirurgie.
« Quand je vois que je frôle les 200 livres, je capote. C’est rendu une obsession. Je me fais vomir quand je triche parce que je m’en veux et je me sens coupable », a confié Francine Naud.
Gastrectomie
En juillet 2012, la quadragénaire a subi une chirurgie bariatrique après avoir atteint les 290 livres à la suite d’un diagnostic de hernies discales qui réduisait sa mobilité. « J’ai maigri par moi-même avant la chirurgie et je me suis rendue à 226 livres », a avoué Mme Naud. La gastrectomie lui aura permis d’atteindre la barre des 140 livres, poids qu’elle maintiendra pendant deux ans avant qu’il ne cesse d’augmenter à la suite d’une grossesse si bien qu’elle pèse aujourd’hui 197 livres.
« Les premières années, ton estomac a rapetissé alors tu ne manges pas gros. Mais après deux ans, si tu manges les mêmes portions qu’avant et que tu retombes dans les mêmes patterns, c’est sur que tu engraisses, l’estomac c’est un muscle », a illustré Mme Naud.
Des propos qui sont corroborés par la nutritionniste de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec, Virginie Lacombe. « Il y a comme la lune de miel qui dure quelques années où les gens ont des effets un peu plus directs s’ils mangeant trop donc ça les ramène à l’ordre, mais ce qui est difficile (...) c’est de maintenir de bonnes habitudes à long terme », a-t-elle précisé en indiquant qu’un suivi est effectué dans les 4 à 6 semaines suivant l’opération après quoi « ça s’arrête là. »
Laissé à nous-mêmes
À cet effet, Mme Naud souhaite sensibiliser les gens avançant que l’absence de suivis psychologique et nutritionnel serait responsable des échecs. « Je pense que tout le monde devrait suivre une thérapie avant et même pendant et après parce que c’est vraiment entre les deux oreilles et ça ne se corrige pas en se faisant opérer », a-t-elle partagé déplorant qu’au fil des ans, les patients soient « laissés à eux-mêmes ».
« (...) Les gens jugent ceux et celles qui ont cette chirurgie, car ils pensent qu’on prend un chemin facile, qu’on n’a aucun mérite. Je vis le revers de la médaille maintenant. Je suis obsédée par mon poids, je ne le vois pas diminuer et ça gâche mon moral, mon humeur, ça provoque des périodes boulimiques que je n’avais pas avant », a livré Mme Naud. « Je me fais suivre par des spécialistes, mais si c’était à refaire, je consulterais avant », a conclu celle qui soutient néanmoins que les 100 livres perdues auront notamment enrayé son diabète, son cholestérol et son insomnie.
Les chirurgies réalisées en 2015-2016
- Québec: 740
- Montréal: 691
- Coûts pour l’État en 2015-16: 18,5 M$
Source: IUCPQ et hôpital du Sacré-Coeur
- Temps d’attente moyen au Québec: 21 mois
- Attente à Québec: Environ 2 semaines
- Attente à Montréal: Environ 55 semaines
Source : ministère de la Santé et des Services sociaux
Deux sommités médicales
♦ Diplômé de l’Université Laval en médecine et en chirurgie générale.
♦ Fellowship en chirurgie bariatrique dans des hôpitaux affiliés au Harvard Medical School à Boston.
♦ Pratique à l’IUCPQ depuis 1998.
♦ L’un des pionniers en matière de développement de la chirurgie bariatrique au Québec
♦ Il fait environ 140 chirurgies bariatriques sur 600 par année.
♦ Diplômé de l’Université de Louvain (Belgique) en médecine.
♦ Pratique à Sacré-Coeur depuis 1970.
♦ Chef du service de chirurgie bariatrique de cet hôpital où l’on réalise le plus grand nombre de ce type d’opération à Montréal.
♦ Un des premiers à opter pour la chirurgie laparoscopique et à offrir tous les types de chirurgie bariatrique par laparoscopie.
♦ Il a effectué environ 212 chirurgies bariatriques en 2016.
LES QUATRE TYPES DE CHIRURGIES
♦ Gastrectomie verticale : opération qui consiste à retirer, par laparoscopie, la partie externe de l’estomac.
♦ Bande gastrique : anneau gastrique ajustable que l’on place autour de l’estomac pour en réduire la contenance.
♦ Bypass gastrique : opération où l’on rapetisse le volume de l’estomac et on ajoute une dérivation avec le petit intestin afin d’amener la nourriture plus loin.
♦ Dérivation bilio-pancréatique : résection de l’estomac de 50 % à 60 %.