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Notes planchers pour des élèves en échec

Impossible de donner un résultat inférieur à 40 % ou 45 % dans certaines écoles

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Fotolia Dans une école primaire de Laval, par exemple, la plus basse note qui peut être inscrite au bulletin est 45 %. Dans une école de Rivière-du-Loup, ce seuil est fixé à 40 %.

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Dans des écoles québécoises, il est impossible d’inscrire un résultat inférieur à 40 % ou 45 % au bulletin, pour ne pas nuire à la motivation de l’élève, une pratique qualifiée de «maquillage de notes» par des syndicats d’enseignants.

La règle est écrite noir sur blanc dans la politique d’évaluation de certaines écoles, a constaté Le Journal. La situation varie d’une commission scolaire à l’autre, puisque chaque école doit adopter sa propre politique, appelée «Normes et modalités d’évaluation» dans le jargon scolaire. Plusieurs de ces documents sont accessibles en ligne.

Dans une école primaire de Laval, par exemple, la plus basse note qui peut être inscrite au bulletin est 45 %, ce qui signifie que la «compétence» est «peu développée». Dans une école de Rivière-du-Loup, «l’évaluation des compétences donne un résultat égal ou supérieur à 40 %» si l’examen ou le travail a été réalisé, peut-on lire.

Cette règle existe dans d’autres établissements de la Commission scolaire de Kamouraska-Rivière-du-Loup, nous indique-t-on. Ce seuil minimum permet de ne pas trop nuire à la motivation de l’élève, explique le directeur des communications, Éric Choinière. «Parfois, un jeune a vécu une situation difficile, une maladie. Avec un seuil minimum, on s’assure qu’il garde sa motivation», affirme-t-il.

«Pas un portrait juste»

Cette pratique a été dénoncée dernièrement par des enseignants, de façon anonyme, notamment dans les réseaux sociaux. «On savait que ça se faisait dans certaines écoles et on en a la preuve avec ces documents, affirme Marie-Hélène Hébert, professeure en mesure et évaluation à la TÉLUQ. C’est très, très, très problématique, parce que ça ne vient pas donner un portrait juste de la situation.»

Même son de cloche de la part de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ). «Ça nous prend le portrait réel de l’élève pour être capables de le faire cheminer, de l’aider et de lui offrir les bons services», affirme la présidente, Josée Scalabrini, qui considère que cette pratique est une «dérive» de la gestion axée sur les résultats, qui met l’école «au service des statistiques plutôt qu’au service de l’élève».

Depuis plusieurs années, chaque école doit atteindre des cibles de réussite, inscrites dans une convention de gestion selon les exigences du ministère de l’Éducation. «Il faut que les moyennes paraissent bien. Si tu mets des 20 %, ça fait descendre ta moyenne», illustre Mme Scalabrini.

À la Fédération des directions d’établissement d’enseignement, la présidente Lorraine Normand-Charbonneau minimise l’impact de cette pratique. «Qu’il ait 25 % ou 45 %, l’élève ne réussit quand même pas. C’est difficile, lorsqu’on évalue des compétences, de déterminer jusqu’où l’élève n’est pas compétent», affirme-t-elle.

Un avis partagé par Micheline-Joanne Durand, professeure à l’Université de Montréal et spécialisée en évaluation des apprentissages. «Que l’élève soit en échec à 20 % ou à 40 %, ça ne change rien. Ce qui compte, après, c’est ce qu’on fait avec les élèves qui ne réussissent pas», affirme-t-elle.

Du côté de la Fédération des commissions scolaires, on explique que la politique d’évaluation est proposée par un comité d’enseignants et approuvée par la direction de l’école. «Il faut donc conclure que, lorsqu’il y a des seuils minimums, ils sont connus et approuvés par l’équipe-école et la direction», affirme Caroline Lemieux, porte-parole de la fédération.

La vice-présidente de la Fédération autonome de l’enseignement, Nathalie Morel, soutient plutôt que les profs se font imposer des façons de faire par les commissions scolaires. «C’est un autre exemple de maquillage de notes pour nous faire croire que tout va bien», lance-t-elle.

«Nous, les enseignants, ne sommes pas d'accord avec ce raisonnement»

«Il y a présentement une philosophie prônée par la commission scolaire et les directions, qu'un élève ne devrait jamais avoir moins de 40 % dans son bulletin, même si ses connaissances ne valent que 20 ou 25 %, question d'estime de soi. Nous, les enseignants, ne sommes pas d'accord avec ce raisonnement. Comment montrer à l'élève qu'il progresse si nous ne partons pas de ce qu'il sait?»
– Une enseignante de cinquième année

La double personnalité du bulletin

Si le zéro a disparu de plusieurs bulletins pour être remplacé par des seuils minimums de réussite, c’est à cause de la double personnalité du bulletin.

C’est du moins ce qu’affirme André-Marc Goulet, directeur adjoint à la Commission scolaire de la Capitale. «C’est le résultat du choc de deux visions de l’évaluation, qu’on essaie de mélanger parce qu’on n’a pas le choix», résume-t-il.

Avec l’arrivée de la réforme, au début des années 2000, l’approche par compétences a été mise en avant. Les élèves étaient évalués au moyen d'une cote (en lettres ou en chiffres de 1 à 5). Le bulletin chiffré a par la suite fait un grand retour, en 2007.

Or, 10 ans plus tard, des enseignants continuent toujours d’évaluer leurs élèves en utilisant une cote, qu'ils convertissent en pourcentage pour le bulletin chiffré. Cette pratique a amené des commissions scolaires à établir des «barèmes de conversion» pour guider leurs enseignants dans ce processus, explique M. Goulet. D’autres enseignants peuvent toutefois évaluer directement leurs élèves en chiffres s’ils le veulent, ajoute-t-il.

Les «barèmes de conversion» ne permettent toutefois pas d’expliquer la présence de notes planchers dans toutes les commissions scolaires.

L’échec à géométrie variable

Dans les écoles où l'on évalue toujours les élèves en utilisant des cotes que par la suite on convertit en chiffres pour le bulletin, les lettres ne correspondent pas toutes aux mêmes pourcentages.

Un E équivaut à 24 % dans une école de Rimouski, mais à 30 % dans une école de Québec et à 45 % dans une école de Boucherville, a constaté Le Journal en consultant des politiques d'évaluation accessibles sur le web. Les barèmes de conversion peuvent varier d'une commission scolaire à l'autre ou même d'une école à l'autre, nous a-t-on expliqué.

À la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, l’évaluation est décentralisée dans les écoles, alors qu’à la Commission scolaire de la Capitale, toutes les écoles travaillent avec les mêmes barèmes de conversion lorsque vient le temps de traduire des cotes en chiffres. Pour la Fédération autonome de l'enseignement, il s'agit d'une «aberration totale» qui crée des «distorsions» auxquelles il faut mettre fin. «Les règles devraient être les mêmes partout», tranche la vice-présidente, Nathalie Morel.

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