Des bulletins sans lettres ni pourcentages
Des écoles de la Colombie-Britannique innovent en optant pour des portfolios numériques sans notes
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SURREY, C.B. | Alors que Québec veut revoir la politique d’évaluation des élèves, la Colombie-Britannique fait figure de pionnière en la matière. Des écoles remplacent les traditionnels bulletins par des portfolios numériques sans notes, une tendance dont le Québec devrait s’inspirer, selon un expert.
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Dans la classe de Mme Kelli, à l’école primaire Cambridge, les élèves de troisième année ont appris à télécharger eux-mêmes des photos et des vidéos de leur travail en classe dans l’application FreshGrade, qui remplace désormais le bulletin habituel.
Après avoir reçu une notification sur leur téléphone cellulaire, les parents peuvent consulter le contenu disponible en ligne et ajouter leurs commentaires à ceux de l’enseignante et de l’élève, qui doit s’autoévaluer tout au long de l’année (voir autre texte).
«C’est vraiment une fenêtre sur la classe que l’on offre aux parents», affirme Antonio Vendramin, directeur de l’éducation au conseil scolaire de Surrey, situé en banlieue de Vancouver.
Dans ce conseil scolaire qui est le plus populeux de la province, la majorité des enseignants du primaire ont volontairement remplacé le bulletin par le portfolio. D’autres conseils scolaires ont aussi emboîté le pas si bien qu’à l’échelle canadienne, la province est maintenant reconnue pour son innovation en la matière, selon l’Institut pour l’éducation publique de la Colombie-Britannique.
Sans lettres ni pourcentages
En remplaçant le bulletin par des portfolios, qu’ils soient papier ou numériques, les enseignants du primaire ont aussi remplacé les lettres de A à E par des mentions indiquant si les objectifs ont été atteints partiellement, complètement ou s’ils ont été dépassés (voir plus bas).
«Avec les bulletins traditionnels, les parents et les élèves ne regardaient souvent que les notes, sans lire les commentaires sur comment s’améliorer et c’était une frustration pour les enseignants», explique David Vandergugten, directeur de l’éducation au conseil scolaire de Maple Ridge-Pitt Meadows.
Dans ce conseil scolaire, toutes les écoles ont volontairement choisi d’abandonner les notes. Le portfolio numérique est accompagné de deux rencontres par année avec l’enseignant, les parents et l’élève, qui durent une trentaine de minutes.
À contre-courant au Québec
André-Sébastien Aubin, professeur spécialisé en évaluation à l’UQAM, voit d’un bon œil ce type d’évaluation 2.0.
Or, avec son bulletin chiffré unique, le Québec est à contre-courant de cette tendance qui s’inscrit plutôt dans l’esprit de la réforme scolaire implantée ici au début des années 2000. «On était des défricheurs», lance-t-il.
Mais pour différentes raisons, la réforme et ses nouveaux bulletins ont suscité beaucoup de grogne et de mécontentement, si bien que le gouvernement a réintroduit le bulletin chiffré pour tous, en 2012.
Or, ce bulletin traditionnel est davantage un formulaire administratif qu’un outil d’apprentissage, souligne M. Aubin. «La recherche montre que ce qui est le plus utile pour aider un élève, c’est d’enlever les notes et de ne lui donner que des commentaires», affirme-t-il.
En Colombie-Britannique
- La forme du bulletin varie selon les enseignants, qui optent de plus en plus pour des portfolios numériques.
- De la maternelle à la troisième année, les élèves sont évalués selon une mention qui indique si les objectifs ont été atteints. De la quatrième à la septième année, les enseignants choisissent d’évaluer leurs élèves en lettres ou en leur accordant des mentions. Au secondaire, les élèves sont évalués souvent avec des lettres et parfois en pourcentages vers la fin de leurs études.
- L’auto-évaluation des élèves est obligatoire de la maternelle à la fin du secondaire.
- Les élèves doivent réussir au total six épreuves ministérielles en littératie et en numératie, soit deux en quatrième année, deux en première secondaire et deux en cinquième secondaire.
Au Québec
- Le bulletin est le même pour tous les élèves de la province.
- Les résultats scolaires sont exprimés en pourcentages avec des moyennes de groupe pour chaque matière, de la première année du primaire à la cinquième secondaire.
- L’auto-évaluation n’est pas obligatoire.
- Les élèves doivent réussir neuf épreuves ministérielles, trois au primaire et six au secondaire, dans cinq matières différentes.
Qu’est-ce qu’on retrouve dans un portfolio ?
L’exemple de Zach, un élève de troisième année à l’école primaire Cambridge :
- Des photos d’un même exercice d’écriture fait en novembre et ensuite en janvier, pour montrer la progression.
- Une vidéo d’une présentation sur le Canada à partir d’un thème qui commence par l’une des 26 lettres de l’alphabet.
- Un fichier audio qui permet d’entendre l’élève parler d’un exercice d’écriture, immortalisé par une photo, et de ce qu’il doit faire pour s’améliorer.
- Une vidéo de l’élève qui lit un texte à voix haute, qui peut être comparé avec la lecture du même texte quelques mois plus tôt.
L’enseignante Kelli Vogstad et ses élèves ajoutent du contenu quelques fois par semaine, accompagné de leurs commentaires. L’enseignante ajoute une mention qui précise si les objectifs de l’exercice ont été atteints ou non.
Des parents généralement satisfaits
Les parents ont eu un peu de mal à s’habituer à ce nouveau bulletin 2.0 au début, mais ils ne retourneraient pas en arrière.
C’est du moins ce qu’affirme Antonio Vendramin, directeur de l’éducation au conseil scolaire de Surrey, en banlieue de Vancouver. Ce dernier précise que les portfolios numériques n’ont pas été imposés. «On permet aux parents qui le réclament d’avoir un bulletin classique parce qu’on ne veut pas avoir à faire cette bataille. Mais seulement une dizaine le demandent maintenant», affirme-t-il, alors que son conseil scolaire compte... 71 000 élèves.
Le scénario est semblable à Maple Ridge, où moins de 1 % des parents réclament les bulletins traditionnels, selon David Vandergugten.
«Il y a des parents qui me disent que le portfolio a changé les conversations autour de la table pendant l’heure du souper. Ils se servent du portfolio pour amorcer la discussion avec leur enfant et aussi pour savoir quoi travailler à la maison. Les parents ne veulent pas attendre en décembre avant de savoir si leur enfant a un problème en mathématique ou de la difficulté à travailler en équipe», ajoute de son côté M. Vendramin.
« montrer les difficultés »
Les profs ne doivent pas hésiter à présenter les exercices moins bien réussis, ajoute Becky Weber, qui enseigne à des élèves de maternelle à l’école Cambridge. «C’est vraiment important de montrer les difficultés pour que l’enfant puisse s’améliorer», dit-elle.
Les parents rencontrés par Le Journal à Surrey semblent d’ailleurs généralement satisfaits de ces nouveaux bulletins. «C’est génial, ça m’a permis de travailler à la maison certaines notions parce que je savais que ma fille avait de la difficulté avec les fractions», affirme la mère d’une élève de cinquième année.
Mais certains regrettent tout de même les notes et ont de la difficulté à s’y retrouver. «Parfois, c’est trop d’informations», laisse tomber David, père d’un garçon en troisième année.
L’enseignante Kelli Vogstad reconnaît que le défi est aussi de savoir choisir quoi inclure dans le portfolio. «Au début, j’avais tendance à tout mettre, maintenant je suis plus sélective, lance-t-elle. Mais je pense vraiment qu’en impliquant de cette façon les parents et les élèves, le portfolio devient un puissant outil d’apprentissage et de communication, bien plus utile qu’une simple note sur un bulletin.»
En Finlande et dans des écoles aux États-Unis aussi
La Colombie-Britannique fait figure de pionnière au pays en matière d’évaluation des élèves, mais elle est loin d’être la seule à délaisser les notes. La Finlande, dont les élèves sont réputés pour se classer parmi les meilleurs au monde, n’accorde aucune note à ses élèves avant la cinquième année, préférant opter pour une évaluation orale. Aux États-Unis, des écoles commencent aussi à délaisser les bulletins traditionnels et les notes qui l’accompagnent, notamment en Virginie, au New Hampshire et en Iowa.