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Un lait, deux sucres et un ministre de l'Éducation

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Photo d'archives, Chantal Poirier

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Mon enseignante de 4e année s’appelait Mme Jocelyne. Femme autoritaire et sévère, la réussite dans sa classe passait nécessairement par une souffrance dans l’effort. C’était aussi une personne intelligente. Elle avait compris que ses élèves avaient besoin d’un renforcement positif de temps en temps.

Ainsi, à la fin de chacune des étapes, elle effectuait un tirage au sort : des petits jouets, des livres, des bonbons et un dîner au restaurant. Je dois vous avouer que j’ai toujours eu peur de « gagner » le repas en sa compagnie... Mais peu importe, tous les élèves de la classe trouvaient Mme Jocelyne gentille et généreuse. Elle arrivait à nous faire oublier la torture des semaines passées.

Que nous soyons enfants ou adultes, il semble que ce stratagème soit fort efficace.

Le concours

J’ai avalé mon café de travers jeudi dernier en prenant connaissance du concours lancé par mon ministre de l’Éducation : trois enseignants seront choisis pour déjeuner avec lui à l’occasion de la Journée mondiale des enseignants. Pour participer, il suffisait de commenter sa publication Facebook. Un mélange bizarre de joie, de peine, de doute et de colère m’a animé lors de la lecture de la page virtuelle du ministre Proulx.

D’abord, la joie.

Il est assez rare pour un citoyen d’avoir la chance de rencontrer un ministre et l’opportunité d'échanger avec lui. Je crois qu’il s’agit d’un bel exercice démocratique. J’ai déjà eu la chance de croiser monsieur Proulx lors d’un déjeuner et les « gagnants » du concours pourront voir à l’œuvre un politicien d’expérience, un homme éloquent. D’ailleurs, je suis persuadé que je l’engagerais si j’avais besoin d’un avocat pour une cause perdue.

Ensuite, la peine.

La lecture de certains commentaires Facebook de mes collègues participants a provoqué chez moi une grande tristesse. Si plusieurs enseignants ont participé sobrement à ce tirage au sort, d’autres ont profité de l’occasion afin d’étaler leur CV. Je sais que nous souffrons tous un peu du symptôme « il n’y a jamais personne qui m’écoute en haut »... Mais était-ce l’endroit approprié pour se glorifier ?

Ces gens semblaient croire que leur « qualification » attirerait le regard. Ils semblaient persuadés que leurs propositions viendraient modifier les visées politiques du ministre de l’Éducation. S’il est mignon de rencontrer un enfant candide, cette qualité devient parfois un défaut désespérant en vieillissant.

Enfin, le doute et la colère.

Je me suis dit que ce n’était pas un cours d’économie qu’il fallait offrir en 5e secondaire, mais bien un cours de politique ! Si Mario Lemieux servait de magnifiques « tasses de café » aux défenseurs, le ministre Proulx s’avère tout aussi efficace pour endormir les professeurs. Pourquoi avons-nous la mémoire si courte ?

Le plan de match

J’ai toujours apprécié le classique de Machiavel intitulé Le Prince. Encore aujourd’hui, il permet une analyse intéressante de la politique. En voici deux extraits savoureux :

Un bon prince doit « savoir bien user du personnage du renard (astucieux) et du lion (féroce). »

« Parce que les outrages doivent se faire tous ensemble, afin qu’en les goûtant moins ils fassent moins de tort ; les avantages doivent être offerts peu à peu, afin qu’ils se goûtent mieux. »

Vous avez oublié les outrages dans le secteur de l’éducation depuis 2014 ? Lors des deux premières années, les mesures d’austérité (oups ! de rigueur) ont été drastiques. Du ministre Bolduc qui ne voyait pas la pertinence de la lecture en passant par François Blais qui condamnait les chaînes humaines autour des écoles publiques, les coupes dans les dépenses ont été soutenues.

C’est lors du budget de mars 2016 que le premier ministre Couillard déclarait : « Nous nous sommes donné la marge de manœuvre nécessaire pour réinvestir dans les secteurs qui nous tiennent à cœur : l'éducation, la santé et la réduction du fardeau fiscal des particuliers et des entreprises. »

Comme le dit si bien Gérald Fillion, journaliste spécialisé en économie : « La marge de manœuvre dont parle le premier ministre, ce sont les coupes dans les programmes du gouvernement, particulièrement en éducation depuis deux ans. C'est fort de café de considérer que l'éducation fait partie des secteurs « qui nous tiennent à cœur » dans les circonstances. Couper en éducation pour investir en éducation, expliquez-moi ce que ça veut dire ? »

Or, le ministre Proulx est arrivé au bon moment dans cette histoire. Grâce au départ forcé de Pierre Moreau, notre sympathique personnage est devenu ministre de l’Éducation un mois avant le fameux budget de 2016.

Comme le disait Machiavel, il ne faut pas être généreux, mais tenu pour généreux. Et c’est ce que monsieur Proulx s’est évertué à accomplir d’une brillante façon : la consultation sur la réussite éducative, le projet Lab École, le recrutement des 100 crinqués, les rénovations des écoles, etc.

Certes, il s’agit d’idées intéressantes, voire indispensables (comme dans le cas des infrastructures). Toutefois, elles n’ont pas l’ambition de changer le système d’éducation le plus inéquitable au Canada.

Bref, le ministre Proulx est bien prêt à parler d’éducation... Tant et aussi longtemps que les sujets se limitent aux plats sur le menu qu’il a lui-même concocté.

 

 

 

 

 

 

 

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