Le professeur respecte, l'étudiant(e) s'élève
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Mettons tout de suite quelque chose au clair. S’il y a un point que je partage avec tous les chroniqueurs qui ont écrit sur le traitement médiatique de l’affaire Gilbert Sicotte, c’est que ce dernier a été mal fait, mal amené, et qu’il a créé plus que vagues qu’il n’a suscité de véritables réflexions sur cette délicate question qu’est la notion de harcèlement psychologique dans le rapport maître-élève. M. Sicotte ne méritait clairement pas une telle mise au bûcher.
Ce que j'en comprends, c'est qu'il semble être meilleur acteur que pédagogue. Je ne dis pas qu’il n’a pas été fautif dans sa pratique. Je dis que c’est tout un système qu’il faut repenser. Pas seulement les pratiques d’un seul et unique professeur.
Toutefois, c’est bien là le seul et unique point que je partage avec eux.
Pour tout le reste, je suis en profond désaccord avec toutes les idées qui ont été exprimées dans plusieurs grands quotidiens ces derniers jours.
Des exemples? Qu’un professeur est là pour brasser, brusquer, voire humilier pour faire surgir le meilleur d’un étudiant, c’est complètement absurde. Même dérangeant. Cette vision passéiste de la ligne dure est totalement dépassée.
Certaines personnes «d'une autre époque» devraient évoluer et admettre qu'on apprend rien à quelqu'un en lui assénant des claques, qu'elles soient distribuées à la main ou par la parole.
En 20 ans de métier, j’ai monté des représentations théâtrales, des films étudiants, des projets de toutes sortes, et j’ai donné des milliers de cours. Et je n’ai jamais crié, sacré, hurlé, humilié. Mes élèves, anciens ou actuels, pourraient en témoigner.
Je suis loin d’être parfait, j’ai mes défauts comme tout professeur, comme tout être humain. Pour qu’un élève se dépasse, qu’il aille chercher le meilleur en lui, qu’il se révèle à lui-même et au monde, il y a tellement d’autres moyens que le raccourci facile qu’est celui de le rabaisser, de lui crier par la tête, de l’humilier pas seulement dans ce qu’il fait, mais dans ce qu’il est. Et ça, c’est impardonnable. Car les conséquences sont toujours dévastatrices.
De plus, quand j’entends l’argument que, dans le monde du théâtre, ce n’est pas la même chose, que c’est une autre culture, un autre contexte, je décroche. Ah oui?
Ce merveilleux monde du théâtre jouit-il d’une totale immunité vis-à-vis la violence verbale et psychologique? Qu’un acteur peut (entendre doit) se faire crier dessus pour aller chercher des émotions? Qu’il est «normal» de rabaisser un élève devant les autres, car cela l’amène à aller chercher au fond de lui-même ce qui est enfoui? Une sorte de trésor qu’il doit déterrer à coups de commentaires blessants qui grugent peu à peu son estime personnelle, si difficile à bâtir, mais si facile à détruire?
Poursuivons sur cette idée. Exemple. Un prof de sciences qui engueulerait un élève qui n’a pas son matériel de chimie, qui ne s’applique pas vraiment, ce même prof humilierait l’élève en l’invitant à changer de programme devant tout le reste du groupe, ce serait inadmissible, non?
J’entends déjà mes détracteurs me dire que ce n’est pas du tout la même chose, qu’on ne peut pas comparer le théâtre et la chimie. Et leur raisonnement me confirme avec désolation que le chemin qu’il reste à parcourir sera long et ardu. Car, pour moi, c’est e-x-a-c-t-e-m-e-n-t la même chose. Un maitre et son apprenant. Point. L’art n’a pas de passe-droit, l’art n’est jamais une exception qui permet à des gens de s’en donner à coeur joie dans le but de «d’aller chercher le meilleur» en faisant vivre le pire.
Et, comprenez-moi bien : je ne parle pas de mettre les élèves dans la ouate et de les chouchouter, comme l’ont écrit plusieurs journalistes. Pourquoi faut-il toujours aller dans les extrêmes? Pour vendre de la copie? Pour les clics?
Et si on respecte un élève, est-on automatiquement condamné à le déposer dans un écrin de velours? Mais, doux Jésus, pourquoi serait-ce l’un OU l’autre? Je trouve cette conclusion facile, une navrante démonstration d’une paresse intellectuelle remplie de mauvaise foi.
Enseigner est un privilège. Qui vient avec de grandes responsabilités. Il faut tout faire pour ne pas laisser les émotions nous gagner au point de faire du mal à ceux qui nous sont confiés. Est-ce si difficile à comprendre?
Qu’ils soient à la maternelle ou au Conservatoire, ça ne fait aucune différence. À mon sens, respecter ceux et celles à qui on l’enseigne, ce n’est pas chouchouter. C’est agir avec empathie et compassion malgré les difficultés, les défauts dont nous sommes témoins. Pourquoi faut-il toujours relier le respect à une forme de faiblesse? Comme s’il fallait toujours dépasser la ligne pour être quelqu’un d’exigeant, de rigoureux.
Ça me trouble. On ne «brasse» pas un élève. Jamais. Ni physiquement, ni psychologiquement, ni artistiquement. On l’accompagne, on lui explique ses faiblesses, ses lacunes, on l’aide à devenir meilleur en lui montrant des solutions, des pistes, des idées.
Être exigeant, ce n'est jamais crier. Être rigoureux, ce n'est jamais rabaisser. Être strict, ce n'est jamais humilier.
Si le professeur est rendu à gueuler et à humilier ses élèves pour les aider à se dépasser, c’est qu’il est à bout de ressources.
Et qu’est-ce qu’être «dur»? Pour l’un, c’est dire posément les quatre vérités à ses étudiants dans le but (toujours) qu’ils s’améliorent. Pour l’autre, c’est crier, sacrer, humilier. Ces extrêmes démontrent qu’il ne faut pas jouer avec ce concept. Et que ce n’est pas à un professeur de définir sa propre conception de la ligne à ne pas franchir, mais bien aux institutions qui l’engagent. C’est pourquoi toute cette affaire Sicotte aurait dû peut-être se régler à l’interne et non pas sur la place publique.
Est-ce que les étudiants qui ont porté plainte depuis des années ont été entendus? Je ne sais pas.
Est-ce que les récentes démonstrations du pouvoir des médias dans les affaires Rozon et Salvail invitent les victimes à aller rapidement vers le quatrième pouvoir? Je ne sais pas.
En passant, les gens mélangent tout. Jamais on ne pourra mettre sur le même pied les agissements d’agresseurs sexuels et ceux d’enseignants aux méthodes douteuses. Ce sont deux mondes. Mais à la vitesse où vont les manchettes, il est facile pour le public de tout mélanger, de tout mettre dans le même panier, sans nuance. Toutefois, même si ce sont des dossiers diamétralement opposés, il ne faut pas que leurs différences fassent que l’on banalise celui du harcèlement psychologique entre professeurs et élèves.
De plus, une chose que je sais et que j’observe depuis quelques jours, c’est que le mythe qu’il faut souffrir pour être bon est très tenace. Qu’il s’ancre loin dans notre inconscient.
Pour moi, ce préjugé est tout aussi absurde que celui où l’on doit absolument créer dans la douleur quand on est un auteur. Pour moi, cette idée doit s’éteindre.
Ces derniers jours, j’ai lu plusieurs commentaires d’acteurs et d’actrices qui vont dans le même sens que moi. Et ça me rassure. Néanmoins, j’ai entendu plusieurs témoignages de comédiens qui cautionnaient ce type de méthode d’enseignement. Je respecte leur point de vue, mais je ne le comprends pas. Même si des comédiens ont apprécié les méthodes irrespectueuses d’un professeur, cela ne peut justifier le fait qu’il puisse continuer à les pratiquer.
Dans une classe de 50 étudiants, si un seul d’entre eux est détruit par ce que dit l’enseignant, cet enseignant ne peut jamais utiliser l’argument que les 49 autres ont bien aimé se faire brasser. Non, non et non.
Quand j’entends autour de moi que certains milieux donne une légitimité à des moyens d’apprentissage parfois pénibles, le cœur me fend en deux, et je serre les dents.
En terminant, le comédien Philippe-Audrey Larue-St-Jacques a écrit un article sur le site d’Urbania, article que j’ai trouvé fort juste, brillant, nuancé, pertinent. Je vous laisse avec une citation tirée de cet article. «Bref, l’idée n’est pas d’être chouchouté au Conservatoire. L’idée est d’être compris et encadré pour en sortir plus fort et confiant que lors de son entrée. L’idée est de travailler dans le respect et l’ouverture.»
Et il ajoute : «C’est le Conservatoire qui, depuis longtemps, mérite un changement de mentalité.»
J’irais même plus loin.
C’est toute la société qui mérite un changement de mentalité.
Même s’il s’exerce parfois à vitesse grand V, il est essentiel.