«Face-à-Face Québec 2018»: Bras de fer Legault-Couillard, Massé marque des points
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Le dernier débat des chefs à TVA a donné lieu à une collision entre les meneurs Philippe Couillard et François Legault sur leur vision du Québec, tant sur la question identitaire qu’en économie. Pas en reste, Manon Massé a su tirer son épingle du jeu.
Le premier ministre sortant et le chef caquiste ont repris leur bras de fer sur l’immigration là où ils l’avaient laissé il y a une semaine, à l’occasion de la première joute oratoire entre les chefs politiques. Et comme la première fois, le ton a monté entre les deux hommes.
LE VERDICT DE NOS CHRONIQUEURS
► JOSÉE LEGAULT: Et si les chefs parlaient aux électeurs?
► MARIO DUMONT: Manon resplendissante, Legault ressuscité
► ANTOINE ROBITAILLE: Le non civilisé et Mme Massé
► DENISE BOMBARDIER: Un débat humain
► JONATHAN TRUDEAU: Legault frappe fort, Lisée perd gros
François Legault a d’emblée reconnu avoir cafouillé lorsqu’il a été incapable d’expliquer le processus d’immigration du Québec. «M. Couillard, je ne suis pas parfait. Ça m’arrive de faire des erreurs, a-t-il admis. Si je suis premier ministre, je vais tout faire pour mieux intégrer. En prendre moins, mais en prendre soin!»
Philippe Couillard estime que les Québécois ne sont pas d’accord pour expulser des gens, comme le propose la CAQ avec ses tests imposés aux nouveaux arrivants après trois années en sol québécois.
«Il n’est pas question d’expulser [des immigrants], les seuls qu’on veut expulser, c’est le Parti libéral», a réagi du tac au tac le chef caquiste.
Valeurs québécoises
L’affrontement s’est poursuivi sur le même ton au sujet des signes religieux. Le chef libéral s’est porté à la défense de sa loi 62 sur la neutralité de l’État, qui prévoit le visage découvert dans les services de l’État. Il a accusé son rival de se gouverner uniquement en fonction des sondages. Selon Philippe Couillard, un chef de gouvernement a le devoir de protéger le droit des minorités.
Une vision que ne partage pas François Legault, qui veut bannir les signes religieux chez les juges, gardiens de prison et les enseignants. Il estime avoir la population derrière lui pour y parvenir et a reproché jeudi soir à son adversaire libéral d’avoir abandonné la défense des valeurs québécoises.
La bataille s’est poursuivie sur le thème de l’économie. Le premier ministre sortant à dû défendre l’appui de son gouvernement au projet du parc éolien Apuiat et les années d’austérité qu’il a imposées aux contribuables.
« M. Couillard a ramassé un trésor de guerre en augmentant les taxes et les tarifs les premières années, puis il a redonné un peu ce même argent les dernières années. Les gens savent très bien qu’au bout de la ligne, ils n’ont pas plus d’argent dans leurs poches», a pesté François Legault.
Lisée trébuche
Jean-François Lisée a trébuché d’entrée de jeu en tentant de s’en prendre à Manon Massé, une tactique qui s’est retournée contre lui. Le chef péquiste s’est fait rabroué non pas une, mais deux fois par l’animateur Pierre Bruneau pour avoir dérogé aux règles du débat en éludant le sujet de la santé.
Le chef péquiste a néanmoins réussi à mettre le PM sur la défensive en lui reprochant d’avoir «fait mal aux enfants» alors que «les surplus s’accumulaient dans les coffres» après des années d’austérité.
Calme et posée, la co-chef de Québec solidaire a su défendre les positions de sa formation politique. Manon Massé s’est même permis de se porter au secours du chef caquiste, pour mieux l’exposer. «Je pense que je vous crois quand vous dites que vous n’avez rien contre les immigrants. Mais il y a quelque chose qui a changé (...) Peut-être que ça vous faisait gagner des votes [votre position sur l'immigration]?».
Voici quelques citations marquantes
Santé, famille et éducation
Jean-François Lisée: «Qui est le chef de Québec solidaire, et pourquoi il n’est pas au débat des chefs?»
Pierre Bruneau: «On parle de médecins, là!»
Manon Massé: «Ce qui est extraordinaire, c’est que nous, on a appris, M. Lisée, à partager le pouvoir. Et cette pratique-là, c’est une pratique démocratique nécessaire quand on veut changer le monde.»
Pierre Bruneau: «Je pense qu’il faut revenir à la santé.»
Jean-François Lisée: «Moi je voudrais vraiment parler de ça avec votre permission.»
Jean-François Lisée: «On est dans un débat des chefs. J’aimerais poser cette question. Nous avons négocié, le Parti québécois et les autres partis souverainistes, avec des porte-parole comme vous. Vous avez signé une entente avec nous, et ensuite votre chef l’a reniée. Alors, pourquoi est-ce que personne ne connaît le chef de Québec solidaire? Vous êtes formidable. Gabriel aussi. Mais, c’est comme si un chef qu’on ne connaît pas...»
Pierre Bruneau: «On va revenir vraiment au sujet...»
Manon Massé: «J’aimerais ça vous parler de la santé...»
Jean-François Lisée: «Mais c’est une question essentielle!»
Pierre Bruneau: «Ça n’a rien à voir.»
Manon Massé: «On est dans la santé...»
François Legault: «Je connais M. Lisée depuis longtemps et c’est toujours les trois mêmes choses: une idée, une dépense, une taxe. Pis je le connais bien là, il a beaucoup d’idées. C’est pas avec monsieur Lisée qu’on va voir les taxes baisser.»
François Legault: «On est d’accord sur beaucoup de sujets, mais quand il s’agit de donner de l’argent dans le portefeuille des familles, vous, vous voyez ça comme un manque de solidarité. Pourquoi vous vous opposez à ça, donner 2400 $ par enfant?»
Manon Massé: «En fait, la solidarité, c’est plus dans les services publics qu’on la trouve, M. Legault. C’est ça que vous, vous n’avez pas l’air à comprendre.»
Sur les aînés et les CHSLD
Philippe Couillard: «7 G$, c’est vous le déficit. C’est vous M. Lisée et par ça que vous avez fragilisé de façon inacceptable les services publics; il a fallu qu’on rétablisse la situation. Et vous voilà maintenant enthousiaste à faire de beaux engagements à coup de centaines de millions de dollars pour les marges de manœuvre que nous avons générées et que vous avez critiquées du premier au dernier jour, mais il fallait faire ça pour nos enfants. Arrêtez de payer les services sur la carte de crédit, je sais que c’est votre habitude, ce n’est pas la nôtre.»
Jean-François Lisée: «On parle des aînés. Ce 7 G$ n’existe que dans les textes des propagandes de votre parti. [...] Vous mentez, ce n’est pas dans le texte du vérificateur.»
Philippe Couillard: «Je viens d’être accusé d’avoir menti. [...] Je vais répondre. [...] J’aurais préféré parler des aînés. [...] Vous ne pouvez pas insulter quelqu’un, puis continuer à parler comme si de rien n’était.»
Pierre Bruneau: «Familles – Aujourd’hui, il y a un éléphant dans la pièce. Une déclaration aujourd’hui du chef libéral à l’effet qu’on peut nourrir une famille de trois personnes avec 75 $ par semaine. M. Couillard, est-ce qu’on doit vous prendre au sérieux?»
Philippe Couillard: «Moi je connais des gens très près de moi [...] je parle à des gens qui le font malheureusement, et ici même à Montréal. Cette semaine, il y a des familles qui font leur épicerie malheureusement avec ce budget-là. Il faut le reconnaître, sinon c’est manquer totalement de sensibilité à leur égard. Et ce qu’il faut faire pour corriger la situation, c’est quoi? Développer ensemble les moyens de lutter véritablement contre la pauvreté, ce que nous avons fait.»
[...]
François Legault: «Ça m’arrive d’aller faire l’épicerie, moi j’ai deux fils, donc on est quatre à la maison avec mon épouse, 250 $ – 300 $ à chaque fois.»
Philippe Couillard: «Vous avez les moyens M. Legault.»
François Legault: «M. Couillard, vous êtes déconnecté. Vous, vous dites que ça vous coûte 75 $.»
Philippe Couillard: «Je peux répondre à ça? Je viens d’être interpellé personnellement!»
Jean-François Lisée: «Il est vrai qu’il y a des familles pauvres qui sont obligées, avec 75 $, de faire [leur épicerie], mais ce n’était pas la question qui était posée à M. Couillard et à vous tous. C’était une famille normale. Une famille normale d’après ce que vous avez dit, ça serait 1,19 $ par repas, alors que dans les CPE, c’est 4 $, dans les prisons c’est 3,43 $. Alors c’est clair que vous ne saviez pas combien ça coûte pour une famille normale.»
Éducation
Jean-François Lisée: «Je pense, M. Couillard, que vous n’avez pas de crédibilité aujourd’hui pour dire que vous allez réparer ce que vous avez brisé. Vous n’avez jamais admis que vous avez fait mal à des dizaines de milliers d’enfants par vos compressions, alors que des surplus s’accumulaient dans vos coffres.»
Philippe Couillard: «Ce qui brise nos services publics, c’est les déficits et l’endettement. Nous, on y a remédié. Vous [le Parti québécois] nous aviez donné ça malheureusement en héritage. On s’en est occupé. On l’a réglé.»
Immigration et identité
François Legault: «Il n’est pas question d’expulser [des immigrants].»
«Les seuls qu’on veut expulser c’est le Parti libéral.»
«Il n’est pas question d’expulser une personne. On dit qu’on ne va pas les accepter. M. Couillard et ses amis tentent de faire peur au monde.»
Manon Massé: «M. Legault, ça fait quelques années, quatre ans, que je suis au Parlement. Je pense que je vous crois quand vous dites que vous n’avez rien contre les immigrants. Mais il y a quelque chose qui a changé. Je me demande si vous vous êtes mis à l’écoute de vos conseillers. Peut-être que ça vous faisait gagner des votes [votre position sur l’immigration]?»
Philippe Couillard: «M. Legault dit qu'on fait peur, mais c’est lui qui fait peur aux Québécois ainsi qu’aux nouveaux immigrants en les menaçants d’expulsion.»
François Legault: «M. Couillard, je ne suis pas parfait. Ça m’arrive de faire des erreurs, quand j’ai répondu à certaines questions sur l’immigration. J’écoute les gens et je corrige mes erreurs. Vous, ce que vous aimez faire c’est donner des leçons. Vous devriez donner moins de leçons, et écouter la population.»
Jean-François Lisée: «M. Couillard avait pour objectif, pour les travailleurs économiques, d’avoir 85 % d’entre eux qui parlent le français au point d’entrée. Il a complètement échoué. [...] Ceux qui ne parlent pas français quand ils arrivent, ce sont eux qui s’en vont. Ce sont des rêves brisés.»
François Legault: «Si je suis PM, je vais tout faire pour mieux intégrer. En prendre moins, mais en prendre soin!»
Philippe Couillard: «Les Québécois ne sont pas d’accord pour expulser des gens. Je viens de vous citer.»
François Legault: «On ne parle pas d’expulser des citoyens, et vous le savez, c’est ça le pire.»
Philippe Couillard: «Vous l’avez dit. Vous voulez expulser des gens.»
François Legault: «Et vous faites quoi avec les travailleurs temporaires dont le permis est échu? Qu’est-ce que vous faites avec un touriste qui veut rester ici?»
François Legault: «Pourquoi voulez-vous permettre à une policière de porter un hidjab?»
Philippe Couillard: «Pourquoi, M. Legault, voulez-vous retirer les droits à une Québécoise? [...] C’est une Québécoise qui a des droits comme vous.»
François Legault: «Vous ne voulez pas écouter la majorité des Québécois [...]. Nous, au Québec, ça fait longtemps qu’on est passé à la laïcité.»
Philippe Couillard: «C’est important pour une société démocratique de s’occuper des droits des minorités, autrement [qu’en se fiant] aux sondages.»
François Legault: «Ouin, mais pour protéger nos valeurs?»
Philippe Couillard: «Il faut protéger les droits de tous les Québécois, incluant celles dont vous venez de parler avec un mépris à peine voilé.»
François Legault: «Encore donner des leçons!»
François Legault: «Vous avez écrit un livre, Sortie de secours. Vous vous rappelez de ça?»
Jean-François Lisée: «Vous avez écrit un livre sur la souveraineté du Québec, vous vous souvenez de ça? Si vous voulez qu’on fasse, vous et moi, un débat sur nos écrits passés, je vais être content.»
François Legault: «Ça peut être long. Vous vouliez privatiser Hydro-Québec. Vous vouliez fusionner avec Québec solidaire. Vous vouliez fusionner les cégeps francophones et anglophones.»
Jean-François Lisée: «Demain, on fait un débat ensemble sur nos anciens écrits. Aujourd’hui, on parle aux Québécois de ce qu’on veut faire dans les quatre prochaines années.»
Jean-François Lisée: «Quand le Québec a arraché l’immigration à Pierre Trudeau, c’est parce qu’il avait peur de l’indépendance. Quand nous avons arraché la main-d’œuvre [au fédéral], c’est parce que Jean Chrétien avait peur de l’indépendance.»
François Legault: «M. Lisée, pensez-vous que vous avez un rapport de force quand vous voyez le faible appui à la souveraineté?»
Économie et finances publiques
Philippe Couillard: «Moi, je suis très fier que le REM soit au Québec. C’est le troisième plus important projet au monde. Actuellement, le plus grand au monde en construction. Je pense qu’on est très fier de ça au Québec.»
Jean-François Lisée: «Ça va quand même pas être un objet de fierté quand on va voir que 600 millions de nos dollars ont été envoyés en Inde pour construire le train du REM, alors qu’on construit des trains comme ça au Québec.»
Manon Massé: «Être plus riche pour moi, ça commence par ceux et celles qui sont en bas de l’échelle. [...] Actuellement, le salaire minimum, c’est 12 $ de l’heure. Alors, il y a du monde qui essaie de vivre avec 12 $ de l’heure. Nous, ce qu’on dit, c’est quand il y a une crise d’emplois comme actuellement [...] nous on dit, améliorons les conditions de travail. C’est ça qu’il faut faire.»
François Legault: «Mme Massé, il y a des petites entreprises dans certaines régions du Québec, des dépanneurs qui embauchent des étudiants à 12 $ de l’heure, des étudiants qui passent la majeure partie de leur semaine à étudier, et ça fait bien leur affaire. Regardez ce qui est arrivé en Ontario, il y a eu des emplois qui ont été abolis, puis on va reculer probablement sur le 15 $ de l’heure, donc moi, je pense que c’est une erreur. Il faut laisser jouer les lois du marché. Il ne faut pas forcer les choses. Ce n’est pas 15 $ qu’il faut viser, il faut viser 25, 30, 40 $ de l’heure. C’est ces emplois-là qu’il faut créer avec la formation, l’innovation.»
À Philippe Couillard au sujet du projet de parc éolien Apuiat.
François Legault: «Vous avez fait perdre à Hydro-Québec 2,5 milliards $ à cause des contrats en Gaspésie, pis là vous voulez ajouter 1,5 milliard $. Demandez-vous pas pourquoi les Québécois n’ont pas d’argent dans leurs poches? Au lieu de réduire les taxes, au lieu de réduire les tarifs de garderie, au lieu de réduire les taxes scolaires, vous avez décidé de perdre de l’argent.»
François Legault: «M. Couillard a géré le budget du Québec un peu comme une caisse électorale. Il a ramassé un trésor de guerre en augmentant les taxes et les tarifs les premières années, puis il a redonné un peu de ce même argent les dernières années. Les gens savent très bien qu’au bout de la ligne, ils n’ont pas plus d’argent dans leurs poches.»
Jean-François Lisée: «Baisser les impôts, ça veut dire les baisser sur ceux qui gagnent très très cher. Ceux qui profitent le plus d’une baisse d’impôts, c’est les millionnaires puis les multimillionnaires. Nous, on veut prendre l’argent disponible pour aider les gens qui en ont besoin. [...] Les gens qui en ont besoin vont en avoir, vos amis millionnaires, M. Legault, n’en auront pas avec nous.»
François Legault: «Vous avez mis 400 millions $ dans une cimenterie en Gaspésie pour créer 200 emplois. Ça fait 2 millions $ par emploi pour le projet le plus polluant au Québec. Ça représente 500 000 voitures.»
Philippe Couillard: «Vous n’aimez pas la Gaspésie.»
François Legault: «Je n’aime pas le gaspillage.»
Avons-nous réglé le problème de la corruption? Est-ce qu’on a encore besoin de l’UPAC?
Jean-François Lisée: «Lorsque le gouvernement du Parti québécois était au pouvoir, les arrestations allaient très vite. Depuis que les libéraux sont revenus, c’est très lent. [...] On se pose la question, pourquoi, quand c’était nous, M. Vaillancourt a été arrêté, M. Applebaum a été arrêté, M. Accurso a été arrêté. Mais quand c’est vous, les arrestations sont très lentes. Pourquoi?»
Philippe Couillard: «Peut-être que ça indique que vous avez tendance à intervenir dans les affaires policières, M. Lisée. Vous pourrez répondre à cette question-là. Alors que moi, à l’Assemblée nationale et partout, j’ai continuellement rappelé l’importance de respecter nos institutions.»
– Avec la collaboration de Marc-André Gagnon, Charles Lecavalier, Patrick Bellerose et Pascal Dugas-Bourdon
Voyez les points de presse des chefs après le Face-à-Face 2018