TDAH et médicaments: sommes nous allés trop loin?
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Les dernières études disponibles ont montré que l’incidence du TDAH (Trouble déficitaire d’attention/hyperactivité) et la consommation des médicaments en découlant ont fait un bond dans les dernières années auprès des jeunes 0-18 ans. On pourrait dire la même chose de l’incidence du trouble anxieux et de l’utilisation des anti-dépresseurs pour les traiter. Nous soussignés, pédiatres et autres professionnels concernés, demandons qu’une remise en question soit faite chez les médecins prescripteurs (médecins de famille, pédiatres, psychiatres), mais aussi chez le corps enseignant, les parents, les psychologues ayant à évaluer ces enfants, le gouvernement qui doit dispenser les services et toute la société qui se retourne trop facilement vers une pilule pour traiter tous les maux.
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Les données de l’INESSS
L’Institut national d’excellence en santé et service sociaux (INESSS) a publié en septembre 2017 trois rapports sur le TDAH chez les 0-25 ans. L’un des rapports porte sur la prévalence de l’usage des médicaments à partir des données du régime public d’assurance médicament (RPAM) et des données de la RAMQ1 . Un autre porte sur la prévalence de l’usage des médicaments à partir des données de l’IMS2 , donc provenant autant du régime public que des régimes privés d’assurance, et on a pu le comparer au reste du Canada. Enfin le troisième porte sur l’utilisation des services psychosociaux chez les enfants avec TDAH à partir de différentes bases de données du MSSS et d’entrevues avec des représentants de groupes cibles3 .
Les résultats des travaux de l’INESSS devraient nous amener à faire un sérieux examen de conscience sur l’utilisation des psychostimulants chez les enfants du Québec.
Le tableau suivant démontre l’augmentation de prescriptions de médicaments pour le TDAH, par groupe d’âge, entre 2006-07 et 2014-15 chez les enfants dont les médicaments sont assurés par le régime public d’assurance médicaments (RAMQ). Il s’agit du pourcentage d’enfants, adolescents ou jeunes adultes qui ont reçu au moins 1 prescription de médicaments pour le TDAH pendant la période visée.
2006-2007 | 2012-2013 | 2013-2014 | 2014-2015 | |
Total | 2,7 | 4,9 | 5,3 | 5,8 |
0-5 | 0,8 | 0,9 | 0,9 | 1,0 |
6-9 | 7,7 | 10,3 | 10,4 | 10,7 |
10-12 | 8,3 | 13,1 | 13,6 | 14,0 |
13-17 | 3,4 | 8,2 | 9,1 | 9,9 |
18-25 | 0,4 | 2,1 | 2,6 | 3,2 |
Par ailleurs, les données de l’INESSS ont permis d’évaluer la prévalence d’utilisation des médicaments chez tous les enfants québécois quelque soit la couverture d’assurance-médicament et de faire une comparaison avec le reste du Canada.
Cette étude a démontré que les Québécois utilisaient beaucoup plus les médicaments pour le TDAH que le reste du Canada. En 2014-15, la prévalence était de 6,44% au Québec, 3,26% au Canada et 2,39% au Canada sans le Québec
Voici la prévalence par groupe d’âge (en pourcentage):
6-9 ans | 10-12 ans | 13-17 ans | 18-25 ans | |
Québec | 3,98 | 13,97 | 14,5 | 5,36 |
Canada | 2,21 | 6,97 | 6,45 | 3,11 |
Canada sans Qc | 1,71 | 5,08 | 4,3 | 2,48 |
L’INESSS avait aussi publié une trajectoire pour les enfants présentant un TDAH, faisant une place plus grande pour l’intervention psychosociale, le support aux parents, et aux enseignants4 . Force est de constater que cette recommandation n’a pas reçu l’accueil nécessaire pour favoriser l’intervention globale via les services sociaux. Seuls les parents disposant d’une marge de manœuvre financière suffisante peuvent aller chercher de l’aide via les services psychothérapeutiques offerts dans des cliniques privées.
Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire
Ces données datent de 2014-2015. Rien n’indique que la situation ait changé. Au contraire tout laisse croire que la tendance à l’augmentation persiste. Une étude récente de l’Institut de la statistique du Québec5 a démontré que le nombre d’élèves du secondaire ayant un niveau élevé de détresse psychologique est passé de 21% en 2010-11 à 29% en 2016-17. Et la proportion d’adolescents du niveau secondaire prétendant avoir un TDAH confirmé par un médecin ou un spécialiste de la santé est lui passé de 13 à 23% (27.4% chez les garçons). Du côté des troubles anxieux, ce sont maintenant 17% des jeunes qui sont touchés (22,9% des filles) contre 9% il y a 6 ans. Ces données sont cohérentes avec l’expérience clinique.
Conclusion
Les données fournies par ces rapports sur l’utilisation des médicaments pour le TDAH chez les 0-25 ans sont troublantes. L’utilisation est plus élevée que la fréquence attendue de TDAH (5-10%) et plus élevée que dans le reste du Canada. On doit donc chercher des explications spécifiques au Québec.
Pourtant, même s’il a été clairement démontré que le traitement médicamenteux est efficace à court terme, il reste que ce n’est pas nécessairement le cas à long terme. Les données de l’étude intitulée Multimodal Treatment of Attention Deficit Hyperactivity6 Disorder Study, appelée étude MTA, qui a évalué un traitement multimodal combinant un médicament et une approche comportementale, ont remis en question leur efficacité à long terme, mais ont aussi émis des réserves sur l’effet négatif potentiel sur la croissance.
Les critères de diagnostic du TDAH (même si on peut les critiquer) sont pourtant les même dans le reste du Canada. Les questionnaires souvent utilisés (Conners) sont identiques. Les jeunes du reste du Canada jouent aux mêmes jeux vidéos. Il y a donc des facteurs spécifiques au Québec qui expliquent cette troublante différence dans l’utilisation des médicaments pour le TDAH.
Nous demandons impérativement à tous ceux concernés, et au fond n’est-ce pas toute la société qui est concernée, de faire un sérieux examen de conscience et de se questionner pour savoir pourquoi tant de jeunes présentent des symptômes d’inattention, d’hyperactivité, d’impulsivité et d’anxiété, au point d’être traités avec des médicaments psychotropes aussi souvent.
Et nous avons signé :
Pierre-C. Poulin, pédiatre
St-Georges
Joël Monzée, docteur en neurosciences
Lac Masson
Guy Falardeau, pédiatre
Québec
Valérie Labbé, pédiatre
Lévis
Catherine Déry, pédiatre
St-Georges
Louise Gagné, pédiatre
Thetford
Marie-Josée Lemieux-Roy, pédiatre
St-Georges
Marie-Ève Marcotte, pédiatre
St-Georges
Camille Ouellet, pédiatre
Lévis
France de Villers, pédiatre
St-Jérôme
Dominique Desmarais, pédiatre
St-Jérôme
Maria Penazola, pédiatre
St-Jérôme
Sophie Germain, pédiatre
St-Jérôme
Jacinthe Lavigueur, pédiatre
St-Jérôme
Guy Parizeault, pédiatre
Chicoutimi
Yohann Couture, pédiatre
Gatineau
Henriette Fortin, pédiatre
Gatineau
Raphaëlle Chrétien, pédiatre
Chicoutimi
Mathieu Desmeules, pédiatre
Chicoutimi
Sarah Lavoir, pédiatre
Chicoutimi
Jean-Benoît Bouchard, pédiatre
Chicoutimi
Francis Livernoche, pédiatre
Sherbrooke
Éric Lavoir, pédiatre
Sherbrooke
Frédéric Dallaire, cardiologue pédiatre
Sherbrooke
Fanny Lacelle-Webster, pédiatre du développement
Sherbrooke
Émilie Riou, pédiatre neurologue
Sherbrooke
Caroline Langlais, pédiatre
Sherbrooke
Caroline Pesant, pédiatre
Sherbrooke
Arnaud Gagneur, pédiatre
Sherbrooke
Marie-Christine Brault, professeur de sociologie
Chicoutimi
Jean-Philippe Vaillancourt, neuropsychologue
Terrebonne
Marie-Christine Hendricks, pédiatre
Lévis
Jessica Plante, pédiatre
Lévis
Céline Bélanger, pédiatre
Lévis,
Thérèse Côté-Boileau, chef du département de pédiatrie
Sherbrooke
Josée Quesnel, pédiatre
Sherbrooke
Jean-Sébastien Tremblay-Roy, pédiatre intensiviste
Sherbrooke
Ann Graillon, pédiatre du développement
Sherbrooke
Caroline Beaudry, pédiatre
Shawinigan
Marcel Milot, pédiatre
Chicoutimi
Charles Morin, pédiatre
Chicoutimi
François Dumas, pédiatre
Québec
Gilles Julien, pédiatre
Centre de pédiatrie sociale, Montréal
Marie-Céline Caumartin, pédiatre
Trois-Rivières
Mylène Rheault, pédiatre
Lévis
Catherine Grenier-Cliche, pédiatre
Chicoutimi
Noémie Lepage-Côté, pédiatre
Québec
Jean-Paul Praud, pédiatre pneumologue
Sherbrooke