Le démocrate qui empêche Trump de dormir
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Parmi les conséquences de la victoire démocrate à l’élection de novembre dernier, il y en a peu qui auront autant d’impact sur la présidence de Donald Trump que la réouverture des enquêtes sur l’affaire russe, notamment celles du comité de la Chambre sur le renseignement, dirigé par le démocrate de Californie Adam Schiff.
Parmi tous les démocrates, celui qui donnera le plus de fil à retordre au président Trump dans les mois à venir n’est pas un candidat à la présidence ni un politicien friand des déclarations à l’emporte-pièce. C’est Adam Schiff, le représentant de la Californie qui dirige le comité de la Chambre sur le renseignement.
Adam Schiff est tout le contraire de Trump. Il est du genre qui passe facilement inaperçu dans une foule. C’est un avocat consciencieux et méthodique, qui ne dit jamais un mot plus haut que l’autre. Dans son discours sur l’état de l’Union, Trump menaçait les démocrates de tous les maux de la terre s’ils osent lever le voile sur la multitude de dimensions de l’affaire russe qui ont été escamotées par les enquêtes de la Chambre lorsque les républicains en avaient la charge. Loin d’avoir été dissuadé par les menaces du président, sans tambours ni trompettes, Adam Schiff a fait connaître hier les paramètres de l’enquête que mènera son comité. Le comité qu’il préside va ratisser large en ouvrant l’enquête sur cinq fronts. (Voir le communiqué du comité ici pour le détail des cinq points exposés ci-dessous)
1. L’ingérence russe dans le processus électoral pendant l’élection de 2016 et depuis lors, ainsi que la réponse du gouvernement américain.
Les Russes ont déjà été impliqués par le procureur spécial Mueller dans une série de mises en accusation pour les gestes posés pendant l’élection de 2016, mais le comité de la Chambre dirigé par les républicains n’avait pas fait de gros efforts pour forcer l’administration Trump à rendre des comptes sur les actions concrètes mises en œuvre pour éviter que ce genre de choses se reproduise d’ici à novembre 2020. Ça va bientôt changer.
2. L’étendue des liens et/ou de la coordination entre ces acteurs russes et la campagne de Trump, son équipe de transition, son administration et ses intérêts d’affaires, dans des actions qui pourraient avantager les intérêts du gouvernement russe.
Bref, on ne se contentera plus d’enquêter sur les liens qui auraient pu exister pendant la campagne avec des agents russes, mais on ira chercher l’information pertinente sur les relations entre l’entreprise de Trump et les intérêts russes, aussi loin dans le passé qu’il le faudra, et on cherchera à établir si l’administration Trump a cherché à dévier la politique américaine d’une façon qui pourrait avantager certains intérêts russes. En campagne et après, Donald Trump a nié avoir eu quelque relation d’affaires que ce soit avec la Russie mais on sait maintenant que ce n’est pas tout à fait vrai. On va bientôt en savoir beaucoup plus sur l’ampleur de ces liens d’affaires que Trump n’a jamais voulu dévoiler et sur lesquels les membres de son parti n’ont jamais cherché à en savoir plus.
3. Est-ce que des acteurs étrangers ont cherché à compromettre ou à exercer des pressions d’ordre financier ou autre, sur Donald Trump, sa famille, son entreprise ou ses associés?
Ces questions ont été au cœur de l’enquête du procureur spécial, mais le leadership républicain qui contrôlait auparavant le comité avait soigneusement évité de soulever ces questions dans un forum qui exposerait ces avenues d’enquête au grand jour. Dorénavant, le comité pourra exposer certaines dimensions des pratiques d’affaires passées de Trump que celui-ci aurait nettement préféré ne pas révéler au grand jour. S’il n’y avait aucune raison de craindre ces révélations, il n’y aurait aucune raison pour le principal intéressé de s’inquiéter que ses activités passées soient mis au jour, mais ce n’est pas le cas. Peu de choses semblent indisposer Trump autant que la perspective de savoir que ses activités d’affaires passées soient passées au peigne fin. Pourquoi cette inquiétude?
4. Le président Trump, sa famille ou ses associés ont-ils été à risque d’exploitation, d’incitation, de manipulation ou de pression de quelque sorte pour influencer le cours des politiques du gouvernement américain dans le sens d’intérêts étrangers?
Comme je l’écrivais il y a quelques semaines, la question circule depuis un certain temps à savoir si Donald Trump est sujet à des pressions qui l’amèneraient à faire pencher la politique de son gouvernement en faveur d’intérêts étrangers. Pour le moment, ce ne sont que des spéculations et il est tout à fait possible que la réponse soit non. Il faut quand même reconnaître que le fait qu’un comité du Congrès posera ce genre de questions ouvre la porte à des révélations qui, si elles s’avèrent, dépasseraient de loin en ampleur celles qui avaient entraîné la chute de Richard Nixon dans l’affaire du Watergate.
5. Est-ce que des acteurs—étrangers ou intérieurs—ont cherché ou cherchent à nuire, entraver, bloquer ou tromper les enquêtes qui ont eu lieu sur ces questions, y compris celles du Congrès?
Finalement, le comité se penchera sur tout ce qui touche l’action du président et de son administration pour faire obstacle aux enquêtes sur toutes ces affaires. Du congédiement de l’ex-directeur du FBI aux multiples interventions controversées, publiques ou privées, de la part du président ou de son entourage, les potentielles entraves à la justice pourraient bien être les infractions les plus clairement démontrables. Rappelons que ce sont les accusations d’entraves à la justice qui avaient précipité la démission de Richard Nixon suite au Watergate et entraîné la mise en accusation (impeachment) de Bill Clinton en 1998. Peut-être que Donald Trump n’a rien à se reprocher sur ce plan, mais si c’est le cas, on est en droit de se demander pourquoi il a tant insisté pour que le procureur Mueller ne lui pose aucune question sur cette dimension.
Dans l’esprit de Donald Trump, le fait que toutes ces questions soient posées par un comité du Congrès sur lequel il n’a aucun contrôle représente une forme de harcèlement. Peut-être, mais s’il avait une confiance absolue que rien ne sera trouvé, il aurait sans doute une attitude plus décontractée face à ces enquêtes. Les choses n’iront pas vite, mais il faut s’attendre à ce que le président Trump voie Adam Schiff dans sa soupe au cours des semaines qui viennent et s’il ne faudrait pas s’étonner de voir Trump perdre patience, on risque beaucoup moins de voir Schiff perdre le contrôle.
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Pierre Martin est professeur de science politique à l’Université de Montréal et directeur de la Chaire d’études politiques et économiques américaines au CÉRIUM. On peut le suivre sur Twitter: @PMartin_UdeM