Il faut un consensus sur les signes religieux
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Selon François Legault, l’intention du projet de loi 21 sur la laïcité est d’unifier les Québécois. Pourtant, les divisions sur le port de signes religieux par les agents de l’État sont vives et rien ne permet de croire qu’elles diminueront si l’approche actuelle est maintenue. Seule une loi qui ferait consensus parmi les partis politiques serait viable à long terme et pourrait avoir l’effet unificateur souhaité. C’est possible, mais il faudrait que tout le monde mette de l’eau dans son vin.
On ne peut pas reprocher à François Legault et à la CAQ de ne pas livrer ce qu’ils avaient promis en présentant un projet de loi sur la laïcité dont le premier ministre a dit souhaiter qu’il mette fin à un débat qui a assez duré. D’entrée de jeu, je dois dire que je suis favorable au principe de la laïcité de l’État et je crois que les grands pas qui ont déjà été franchis dans ce sens (surtout la déconfessionnalisation des commissions scolaires) ont été très positifs pour le Québec.
Depuis des années, les Québécois souhaitent pousser plus loin l’affirmation de ce principe et son corollaire, l’égalité fondamentale entre les hommes et les femmes, tout en reconnaissant la liberté des individus de pratiquer leur religion et d’exprimer leur foi. Comme toujours, le désaccord fondamental reste lié au port de vêtements ou de symboles religieux par les employés de l’État. Comme je l’écrivais il y a quelques mois, le compromis Bouchard-Taylor aurait été la suite logique de cette progression, mais le gouvernement libéral d’alors n’a pas eu le courage politique de le faire adopter. (Pour en finir avec le débat sur la laïcité).
La proposition de la CAQ n’est pas viable
Si on en juge par les réactions immédiates et viscérales au projet de loi 21, il est très improbable que l’approche de la CAQ pourra venir à bout des divisions actuelles sur la question des signes religieux. En fait, celles-ci risquent fort d’empirer avec le temps. Il ne s’agit donc pas d’une solution politiquement viable à long terme.
Même si la CAQ résiste aux fortes pressions que son projet ne manquerait pas de provoquer, le parti de François Legault ne sera pas au pouvoir pour toujours. Est-ce que le gouvernement libéral qui lui succédera vraisemblablement un jour laisserait intactes toutes les restrictions imposées par le projet de loi actuel? Poser la question, c’est y répondre.
Si l’opposition est exclue du processus de décision et qu’on statue sur des grands principes en lui imposant le bâillon, le prochain gouvernement pourrait fort bien n’avoir aucun scrupule à renverser les clauses d’une loi qu’il jugerait illégitimes.
Dans ce cas, le projet de loi 21 proposé par le gouvernement Legault, s’il est adopté tel quel, ne serait pas l’affirmation des grands principes qui contribueraient à forger l’identité politique commune des Québécois, mais plutôt un cadeau temporaire offert à la base électorale de la CAQ pour des raisons purement électoralistes.
Le nécessaire consensus partisan
Si on veut vraiment que la loi 21 devienne l’expression de principes communs et qu’elle ait un impact durable, il faudrait que tous les partis à l’Assemblée nationale s’entendent sur ces grands principes et sur les moyens de leur application. Peuvent-ils le faire? Pourquoi pas? Ils ont bien démontré qu’ils peuvent tous mettre de l’eau dans leur vin et s’entendre à l’unanimité sur le retrait du crucifix du Salon bleu, une question qui suscitait bien des passions. Cette décision trace la voie à ce que devrait être la façon d’adopter une loi sur un sujet si sensible.
On peut puiser dans l’histoire de nos voisins américains un épisode qui démontre à quel point les décisions sur des enjeux de droits fondamentaux gagnent à être prises à l’unanimité. Il s’agit de l’arrêt de la Cour suprême «Brown vs Board of Education» (1954), portant sur la déségrégation. Le juge en chef de l’époque, Earl Warren, était persuadé que pour faire accepter cette décision extraordinairement controversée, il fallait que la Cour rende une décision absolument bétonnée qui, en toute logique, ne pouvait être qu’unanime. Il savait pertinemment qu’une décision partagée aurait été interprétée par les ségrégationnistes comme un signal de légitimation de leur cause, ce qui aurait sûrement ralenti et peut-être même stoppé le mouvement pour la déségrégation raciale.
Je ne dis pas que le principe de la laïcité de l’État est semblable à celui de la déségrégation, mais ceux qui croient à ces principes ont tout intérêt à ce qu’ils soient solidement fondés sur une pleine légitimité institutionnelle. Et si on souhaite que cette légitimité soit reconnue par tous et pour longtemps, il n’y aurait pas de meilleur signal qu’un consensus entre tous les partis politiques à l’Assemblée nationale.
C'est possible
Est-ce possible? Je crois que oui. Le débat qui entoure les efforts afin d’affirmer la laïcité de l’État québécois nous divise depuis trop longtemps. Pour en finir, il faut que tout le monde cède un peu de terrain. Si on adopte cette attitude, on se retrouvera probablement à peu près là où la commission Bouchard-Taylor avait conclu ses travaux en 2008. Malgré ce qu’en dit aujourd’hui Charles Taylor, c’est une position qui a énormément de mérite, comme le soutient encore Gérard Bouchard. Cette position tient sur le fond, mais encore faudrait-il que le processus qui mènerait à son adoption soit à la hauteur.
Il n’y a pas de véritable mérite politique à faire adopter un projet de loi qu’on souhaiterait unificateur en écrasant l’opposition. Sa légitimité en serait inévitablement entachée. L’affirmation du principe de laïcité de l’État est un objectif louable et c’est l’une des rares occasions qui restent au Québec de réaliser un modèle politique qui se distingue de celui de l’ensemble canadien. Dans sa forme actuelle, cependant, la proposition de la CAQ ressemble davantage à un acte de domination identitaire de la majorité qu’à une véritable affirmation du principe de neutralité religieuse de l’État.
Si François Legault et son gouvernement souhaitent passer à l’histoire en établissant le principe de laïcité de l’État québécois sur des bases solides et durables, ils doivent chercher à créer un consensus comme ils sont parvenus à le faire au sujet du crucifix. Sinon, ce ne sera qu’une victoire à bien court terme à mettre sur le compte de la petite politique partisane.