L’urgence de protéger nos données personnelles
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Plusieurs pays permettent de geler le dossier de crédit d’un particulier lorsque celui-ci a fait l’objet de fraude. Dans un communiqué, le ministre Eric Girard a annoncé qu’il déposerait un projet de loi à cet effet cet automne.
Il aura fallu le scandale Desjardins pour faire bouger le gouvernement.
S’il s’agit d’une bonne nouvelle, l’annonce du ministre laisse quand même place à réflexion : il semble qu’aucun encadrement spécifique ne sera imposé à Desjardins.
Actifs de grande valeur
Québec dispose d’une occasion en or de légiférer pour protéger les données personnelles des Québécois. Pourtant, sa démarche reste timide.
Dans le monde numérique actuel, la valeur de nos données personnelles constitue un actif que de grandes entreprises utilisent à notre insu.
À titre d’illustration, la société mère de Google vaut présentement plus de 800 milliards de dollars américains en bourse. Facebook vaut plus de 520 milliards de dollars américains.
Les plus grands actifs que possèdent ces entreprises sont nos données personnelles.
Les entreprises du web ont un inquiétant curriculum en matière d’utilisation de nos données. Elles les ont régulièrement utilisées de façon immorale, sinon illégale.
Il y a eu le scandale de Cambridge Analytica, chez Facebook. Les fuites ont probablement permis à la Russie d’intervenir dans la campagne électorale américaine.
Et des révélations selon lesquelles des bogues dans les systèmes de Google permettaient à l’entreprise d’enregistrer certaines de vos conversations privées.
Le nouveau copain de Desjardins, Equifax, a « perdu » les données personnelles de millions de clients. Et que dire de Capital One ?
Double discours
Vous comprendrez ma perplexité lorsque je vois le gouvernement Legault insister pour stocker 80 % de ses données dans les serveurs de ces entreprises privées.
Nos données font partie de nos portefeuilles d’actifs. Leur valeur nous appartient individuellement.
Si la Caisse de dépôt et placement liquidait vos actifs de retraite sous vos yeux, de façon imprudente, le Québec serait à feu et à sang. Le premier ministre Legault serait le premier à hurler. Et à agir.
Mais nous n’avons pas le choix de confier nos données au gouvernement. L’État a donc doublement le devoir de les protéger et de nous mettre en confiance.
Pourquoi nous vendre ?
Parce qu’en stockant nos données dans des serveurs du secteur privé, le gouvernement du Québec espère épargner 100 millions par an.
100 millions $ annuellement, c’est l’équivalent de 1,04 $ par mois, par Québécois.
C’est moins cher qu’un café.
Pour votre gouvernement, votre vie privée ne vaut même pas un sac de chips par mois !
Le ministre responsable de cet entêtement, Éric Caire, se justifie en énumérant les failles de sécurité du système public actuel.
Voilà une logique boiteuse.
S’il fallait qu’on privatise tout ce qui ne fonctionne pas parfaitement, où serions-nous ?
Des solutions publiques existent, notamment la création d’une société d’État responsable de la gestion des données.
C’est ce que plusieurs experts suggèrent. Des experts que le gouvernement a décidé de ne pas écouter.
♦ Jean-Denis Garon est professeur à l’ESG-UQAM.