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Exploitation sexuelle: des cours pour «punir» les clients

Longueuil aimerait implanter un programme pour sensibiliser les consommateurs aux ravages de la prostitution

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Pour aider à contrer le fléau de l’exploitation sexuelle, la police de Longueuil songe à mettre sur pied un programme de type « John School » qui vise à éduquer les clients plutôt qu’à les accuser.   

«On a de l’intérêt, confirme le directeur du Service de police de l’Agglomération de Longueuil (SPAL), Fady Dagher. Depuis 2015, on surveille ce qui se fait ailleurs au Canada. Maintenant, on aimerait explorer la possibilité d’implanter le John School ici.»         

Le John School est un programme de non-judiciarisation qui vise à sensibiliser le client sur les ravages de l’exploitation sexuelle.         

Son appellation fait référence au surnom donné en anglais aux clients, des «John».         

Plus de 100 villes en Amérique offrent cette alternative à la justice pour le client qui en est à sa première offense. Au pays, l’Ontario, le Manitoba, l’Alberta et la Colombie-Britannique offrent le John School.         

Une centaine de villes offrent le programme John School pour les clients qui sollicitent les services sexuels de femmes de 18 ans et plus. Sur la photo, un ancien enquêteur s’adresse à un groupe lors d’une séance à Van Nuys, en Californie. 
Photo Robert Nickelsberg, Getty Images
Une centaine de villes offrent le programme John School pour les clients qui sollicitent les services sexuels de femmes de 18 ans et plus. Sur la photo, un ancien enquêteur s’adresse à un groupe lors d’une séance à Van Nuys, en Californie. 

Ce n’est toutefois pas accessible à ceux qui tentent d’acheter le corps d’une mineure.         

En vertu de ce programme, un individu qui se fait coincer en train d’acheter des services sexuels se verrait obligé d’assister à une journée complète de formations.         

En échange, aucune accusation ne serait portée contre lui. Il éviterait ainsi un dossier criminel et, plus important encore pour plusieurs, son geste ne serait pas révélé à son entourage en étant inscrit dans les registres publics.         

Si c’était ta fille...  

Selon le chef Dagher, le Québec devrait tester cette solution et il se dit intéressé par un projet-pilote.         

«Le client, c’est souvent monsieur Tout-le-Monde. C’est un papa, un monsieur ordinaire, qui a des problématiques qui le poussent à solliciter ces services, pour s’évader. On peut le judiciariser. Mais ne pourrait-on pas aussi l’éduquer?» demande-t-il.        

«Le John School permettrait d’asseoir ce père de famille, cet homme ordinaire, dans une salle où on lui expliquerait le profil des filles qui se font exploiter.»         

«On lui dirait que ça pourrait être sa fille», continue M. Dagher.         

Durant une session de John School, le client assiste en effet à des témoignages de victimes d’exploitation sexuelle qui expliquent ce qu’elles ont vécu.         

On lui présente aussi des conférences sur la dure réalité du commerce du sexe, sur les infections transmises sexuellement et les ressources disponibles.         

Pour assister au John School, le client devrait débourser jusqu’à 1000 $. La totalité des sommes récoltées servirait aux victimes d’exploitation sexuelle qui essaient de s’en sortir, précise M. Dagher.         

«Ailleurs, cela a fait ses preuves. On parle d’un taux de récidive allant de 7 à 30 %. À mes yeux, c’est vraiment un succès», insiste-t-il.

Prise de conscience  

«Cela fait 10 ans qu’on travaille sur les aspects répressif et préventif. On doit continuer, mais il faut aussi innover», dit le directeur qui souhaite entamer prochainement des discussions avec des partenaires à ce sujet.         

À Winnipeg, où le programme a été lancé dès 1998, on se dit satisfait des résultats. La majorité des clients semblent avoir une réelle prise de conscience, indique Hennes Doltze, le responsable du projet chapeauté par l’Armée du Salut.         

«Plusieurs arrivent honteux et embarrassés. Mais au fil de la journée, la majorité d’entre eux disent que les ateliers leur ont ouvert les yeux, conscients qu’ils ont gros à perdre s’ils ne changent pas leur comportement», conte-t-il         

«Évidemment, certains vivent aussi dans le déni et semblent moins ouverts», dit-il, ajoutant que ceux qui ne se présentent pas ou qui récidivent sont traduits en justice.         

Depuis 2014 au Canada, la loi C-36 criminalise l’achat, et non la vente, de services sexuels. Pour l’achat des services auprès d’une mineure, la peine minimale est de six mois de prison, et pour un adulte, une amende de 500 $.  

LA RÉPRESSION EN HAUSSE  

Les autorités ont accentué la pression pour enrayer l’exploitation sexuelle dans les dernières années. Voici le nombre de mises en accusation autorisées par le DPCP pour certaines infractions liées à la prostitution.  

Avantage matériel provenant de la prestation de services sexuels – victimes adultes et mineures   

  •  2016 | 36  
  •  2017 | 69  
  •  2018 | 61   

 Proxénétisme   

  •  2016 | 36  
  •  2017 | 51  
  •  2018 | 50   

 Proxénétisme à l’endroit d’une personne de moins de 18 ans   

  •  2016 | 19  
  •  2017 | 40  
  •  2018 | 29   

  

 Obtention de services sexuels moyennant rétribution – personne âgée de moins de 18 ans   

  •  2016 | 31  
  •  2017 | 49  
  •  2018 | 49   

  

 Source : Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP)  

Bannir le terme «client» dans les cas de mineures   

Lorsqu’il est question de prostitution juvénile, le mot «client» devient tabou au sein de la police de Laval, qui a multiplié les opérations ces dernières années pour épingler des hommes qui désiraient acheter les services sexuels d’une mineure.  

«Tu n’es pas juste un client, tu es un abuseur. Coucher avec des mineures, c’est un acte criminel», tonne l’adjoint au chef de police de Laval, Dany Gagnon.         

Pour enrayer le fléau de l’exploitation sexuelle, plusieurs s’entendent pour dire qu’il est nécessaire de s’attaquer à la demande.         

Et à la police de Laval, on estime qu’il faut frapper sur les abuseurs qui ciblent précisément des adolescentes pour assouvir leurs pulsions sexuelles.         

«Ces victimes, ce sont des jeunes filles qui sont tombées dans un stratagème malsain qui mène à de l’exploitation sexuelle au sens pur. Et c’est extrêmement difficile pour elles de s’en sortir», expose-t-il.         

Trop banalisé  

Il rappelle que 80 % des femmes impliquées dans la prostitution ont débuté alors qu’elles étaient mineures.         

Selon lui, l’angle des clients, qui sollicitent les services de jeunes victimes, a trop longtemps été banalisé. Et c’est pourquoi il insiste pour marteler le message.         

«Parce que si on sort une victime des mains d’un proxénète et qu’on arrête cet exploiteur, qu’arrive-t-il s’il y a encore de la demande?» questionne l’officier Gagnon.         

Depuis 2016, la police de Laval a arrêté près de 40 individus qui avaient tenté d’acheter les services sexuels de jeunes de moins de 18 ans.         

De ce nombre, 11 ont été trouvés coupables et ont écopé d’une peine de six mois d’emprisonnement.         

À la commission spéciale sur l’exploitation sexuelle des mineurs, la semaine dernière, le chef de police de Laval, Pierre Brochet, a plaidé pour qu’une campagne à l’échelle nationale soit mise en place pour cibler les abuseurs, afin de rendre ces crimes «odieux» et «inacceptables».         

Le sociologue Michel Dorais est aussi d’avis que des actions contre les clients sont nécessaires. «La cause de l’exploitation sexuelle des jeunes n’est pas du côté des jeunes, mais du côté de ceux qui abusent d’eux et d’elles, bien sûr», dit-il.         

  

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