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Patinage artistique: un Québécois derrière les succès d'un champion japonais

Le Québécois Ghislain Briand est l’un des entraîneurs du champion olympique Yuzuru Hanyu

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Photo AFP

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TURIN | Au premier coup d’œil, les grandes créations ne révèlent pas toujours les noms de leurs concepteurs. Quand on analyse l’œuvre grandiose du double champion olympique Yuzuru Hanyu, on y découvre toutefois la signature discrète mais surprenante d’un Québécois : Ghislain Briand. 

Médaillé d’or aux Jeux de Sotchi et de Pyeongchang, double champion mondial et seul dans sa stratosphère du patinage artistique, le Japonais a remis sa carrière entre les mains de trois entraîneurs depuis qu’il a adopté Toronto en 2012. 

Aux côtés du réputé et ex-patineur Brian Orser et de Tracy Wilson, il y a Briand. Une histoire invraisemblable dans le parcours de ce Montréalais aux racines gaspésiennes et marié à une dame de La Baie. 

«C’est un privilège et j’en suis conscient. Mon père est décédé et j’y pense tous les jours pour le remercier pour tous les bénéfices que j’ai», nous dit l’homme de 57 ans qui réside à Barrie avec sa famille de trois enfants. 

D’abord avec Elvis Stojko  

La carrière de cet entraîneur s’écoule dans la région métropolitaine de Toronto depuis près de 25 ans. Converti au coaching après avoir mis fin à sa carrière de patineur, Briand avait dirigé des clubs en Gaspésie et dans la région de Montréal depuis une douzaine d’années quand il a accepté en 1995 un poste dans la renommée Mariposa School of Skating de Barrie. 

Son premier séjour au firmament de son sport s’est réalisé à la suite de ce déménagement. Jusqu’en 2001, il a travaillé notamment auprès de l’as Elvis Stojko, avec qui il a remporté deux titres mondiaux et une médaille d’argent aux Jeux de Nagano. Puis, il est rentré au Québec. 

«Quand Elvis a pris sa retraite, on venait d’avoir un deuxième enfant. Mon épouse et moi, on a donc décidé de retourner vivre au Québec parce qu’on voulait élever nos enfants en français. Aussi parce que ma femme est originaire de La Baie, la plus belle place sur la planète!», raconte celui qui a grandi à Saint-Laurent, mais dont les parents sont originaires de Port-Daniel. 

Ce retour pour lui dans la région de Québec, où il devait se taper «une run de lait» au quotidien dans différents clubs, n’offrait plus les mêmes défis. Ils ont finalement convenu de repartir pour Barrie, où son épouse a repris ses tâches d’enseignante. 

«Avec Elvis, je considérais avoir fait pas mal tout et je me disais que, de toute façon, je n’aurais plus jamais un autre patineur de son calibre», se souvient-il. 

Ensuite, Yuzuru Hanyu 

Pourtant, il avait tort. Plus tard, un peu avant les Jeux de Sotchi, Yuzuru Hanyu débarquera sur son chemin. 

Ghislain Briand avait déjà entrepris de réorienter sa carrière comme conseiller financier quand il a postulé au Toronto Cricket Skating and Curling Club, en septembre 2005, à l’invitation de son ami de longue date Brian Orser. Sa deuxième vie d’entraîneur venait de débuter. 

Yuzuru Hanyu avec Ghislain Briand dans les minutes suivant son titre olympique en 2018. « Par superstition, je n’aime pas porter la médaille de quelqu’un d’autre », avoue l’entraîneur.
Photo AFP
Yuzuru Hanyu avec Ghislain Briand dans les minutes suivant son titre olympique en 2018. « Par superstition, je n’aime pas porter la médaille de quelqu’un d’autre », avoue l’entraîneur.

Spécialiste des sauts, il est tombé sur une nouvelle pépite d’or lorsque Orser, qui devait souvent s’absenter pour des compétitions avec d’autres patineurs, lui a demandé de veiller sur Yuzuru Hanyu quelques semaines avant les Jeux de Sotchi. 

«On a commencé à travailler ensemble et ça a super cliqué entre nous. Ça n’a jamais arrêté depuis 2014», émet Briand, qui a contribué à ses deux titres olympiques et ses cinq podiums aux mondiaux, dont ses victoires en 2014 et 2017. 

«J’ai toujours aimé pousser mon analyse de la biomécanique des sauts. J’ai développé ma manière de travailler qui est un peu différente des autres et Yuzu a adhéré à ma technique. En plus, il est le modèle parfait et il maîtrise son art comme personne d’autre. Ça rend parfois le travail plus facile, mais son niveau est plus élevé que les autres, alors ça entraîne aussi beaucoup de défis.» 

Entière confiance  

Le Québécois accompagnera assurément son phénomène aux championnats mondiaux à Montréal, du 16 au 22 mars. On le verra assis à ses côtés dans la zone «kiss and cry», où Hanyu attendra le pointage des juges pour espérer reprendre son titre mondial qui lui a échappé en mars dernier, de surcroît dans son propre pays, aux mains de l’Américain Nathan Chen. 

«Je dois avouer que Yuzu est probablement le premier athlète qui reconnaît vraiment ce que je fais avec lui», partage-t-il. 

«C’est un des premiers patineurs qui me laissent autant de place. Il veut m’avoir avec lui partout où il va. Je suis chanceux pour ça, mais c’est un job dans lequel il faut garder les pieds sur terre.» 

Tout en lui enseignant à bien voler dans les airs... 

Yuzuru Hanyu  

  • Né le 7 décembre 1994 à Sendai au Japon 
  • Champion olympique en 2014 et 2018 
  • Champion du monde en 2014 et 2017 (2e en 2015, 2016, 2019 et 4e en 2013) 
  • 1er patineur masculin à remporter deux titres olympiques de suite depuis l’Américain Dick Button (1948 et 1952) 
  • 1er patineur à dépasser le score de 300 points (322,40 au GP de Sapporo 2015) 
  • 1er patineur à réussir en compétition une quadruple boucle (Classique d’automne 2016 à Montréal) 
  • S’entraîne à Toronto depuis 2012  

Source : International Skating Union 

«La vraie championne olympique, c’est ma femme» 

Photo de famille de Ghislain Briand et de son épouse Nathalie Paquin prise lors de la graduation de pompier de leur fils aîné Anthony (20 ans). Avec eux, leurs deux autres fils Olivier (18) et William (13).
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Photo de famille de Ghislain Briand et de son épouse Nathalie Paquin prise lors de la graduation de pompier de leur fils aîné Anthony (20 ans). Avec eux, leurs deux autres fils Olivier (18) et William (13).

TURIN | «Aux Jeux de Pyeongchang, j’avais dit : oui, Yuzu vient de gagner les Jeux olympiques, mais la vraie championne olympique que j’ai, c’est ma femme.»

Yuzuru Hanyu pourra collectionner tous les titres possibles, mais jamais il ne délogera Nathalie Paquin dans les histoires à succès de Ghislain Briand. La carrière jusque-là agréable que menait l’entraîneur québécois s’est bouleversée lorsque son épouse a été diagnostiquée de la maladie de Hodgkin, le 18 décembre 2008. 

«Ça chambarde une vie», résume l’entraîneur, pour qui ce coup du destin allait dicter son implication au club privé de patinage artistique de Toronto, où il travaille depuis 2005. 

«Deux années d’enfer»  

La première décision a été facile à prendre : demeurer à Barrie plutôt que d’installer la famille à mi-chemin avec la métropole ontarienne afin de réduire ses déplacements quotidiens. Le cancer agressif qui affligeait son épouse, évalué de niveau 4, commandait des séances de chimiothérapie tout aussi agressives. Il ne fallait plus quitter cette ville située à quelque 70 kilomètres au nord de Toronto, reconnue pour la qualité de ses traitements en oncologie. 

«À ce moment, j’ai avisé Brian (Orser) et Tracy Wilson que je ne ferais plus de compétitions internationales. J’avais trois enfants à la maison, dont le plus jeune qui venait d’avoir 1 an. Il fallait que je reste le plus possible à la maison», se souvient-il. 

«On a vécu ensemble les deux années d’enfer de chimiothérapie et de tout le kit qui vient avec. Ma femme a passé au travers.» 

Retour à une vie «presque normale»  

Libérée de sa rémission, sa Nathalie a depuis repris son travail d’enseignante. Ghislain a également retrouvé ses missions internationales avec les patineurs qu’il dirige, la priorité allant à Yuzuru Hanyu. Il s’envolera avec lui dans deux semaines aux championnats nationaux de son pays. Auparavant, il en fera de même avec le Sud-Coréen Junhwan Cha, qui ira défendre son titre de champion national. 

«La vie est revenue presque à la normale. Je dis presque parce qu’une fois que tu as vécu ça, tu demeures marqué. La famille aussi en est restée marquée», rappelle l’entraîneur de 57 ans. 

«Yuzu et mes autres patineurs savent que ma famille passe en premier. Il n’y a pas un athlète qui travaille aussi fort que quelqu’un qui passe au travers un cancer, la chimiothérapie et toute la merde autour. Elle, c’est ma championne olympique...»

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