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La suppléance a eu raison de plusieurs enseignants québécois, qui filent vers le Canada anglais



En pleine pénurie de main-d’œuvre, le Québec regarde, impuissant, des milliers de travailleurs qualifiés à la recherche de conditions de travail et de vie plus attrayantes quitter son territoire chaque année.  


Refusant de se taper des années de suppléance avant d’obtenir un poste au Québec, des centaines de jeunes enseignants mettent le cap chaque année sur le Canada anglais.  

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Le Québec fait face depuis deux ans à une pénurie d’enseignants, alerte la Fédération des syndicats de l’enseignement. Découragés par la précarité ou les conditions de travail, 20 % des jeunes quittent la profession dans les cinq premières années, selon la présidente Josée Scalabrini.      

Il faut en moyenne de trois à dix ans à un jeune enseignant pour avoir un poste permanent. Durant cette période, il fait de la suppléance dans diverses écoles.       

«Dans les années où j’ai été diplômée, c’était sept ans de suppléance avant d’avoir un poste à Québec. Mais ce n’était pas nécessairement le poste que je voulais, c’était celui qui était disponible. Et je ne pouvais plus bouger après. Parce que si tu changes de commission scolaire, tu recommences à zéro», expose Esther Bourgault, qui a obtenu en 2005 un baccalauréat en enseignement préscolaire et primaire à l’Université Laval.      

Recrutée en Ontario  

L’enseignante Esther Bourgault n’entend pas quitter l’Ontario. Photo courtoisie

Déterminée à obtenir rapidement sa classe, la future enseignante s’est laissé séduire par une commission scolaire ontarienne, lors d’une journée carrière à l’Université Laval. «Ils venaient littéralement nous offrir des jobs», se souvient-elle.       

Fraîchement diplômée, elle a emménagé en banlieue de Toronto, où un poste permanent — accompagné de vacances, d’avantages sociaux, d’un fonds de pension et d’un salaire beaucoup plus généreux qu’au Québec — l’attendait dans une école primaire d’immersion française. Elle avait 23 ans. À 38 ans, maman de deux enfants qu’elle a eus avec son conjoint, un charpentier menuisier de Québec qui l’a suivie, Esther Bourgault n’entend pas revenir au Québec.       

  • La journaliste Kathryne Lamontagne est revenue sur le dossier à QUB Radio. Écoutez son intervention:

En Alberta aussi  

Un peu moins de deux ans après son arrivée à Calgary, l’enseignante Mélissa Morasse a fait la connaissance de son mari, avant de devenir maman. Il n’est plus question pour la jeune professionnelle de quitter l’Alberta. Photo courtoisie

L’Ontario n’est pas la seule province à recruter nos jeunes professeurs. L’Alberta a mis le grappin sur Mélissa Morasse, 34 ans, diplômée en enseignement depuis 2009. Elle a fait un mois de suppléance dans la région de Québec, avant de partir pour Calgary, où une amie québécoise y enseignait déjà.       

«Je suis partie du Québec, parce que ça ne me tentait pas de faire de la suppléance. Je voulais avoir ma classe, je voulais travailler à temps plein. J’ai mis toutes mes affaires dans mon char et je suis partie. Je ne parlais même pas anglais!» se souvient celle qui a rapidement déniché un poste permanent dans une commission scolaire francophone.       


L’été dernier, l’Ordre des enseignants de l’Ontario comptait plus de 4400 enseignants formés au Québec en ses rangs.  

  

Prof d’université à Vancouver  

Laurence Gauvreau a décroché il y a quelques années un poste permanent de professeure de français à l’Université de Colombie-Britannique. À 29 ans, elle a atteint son «emploi de rêve», et ce, plus rapidement qu’il ne lui aurait été possible au Québec.« C’est exactement ce que je voulais faire. Je sais que c’est difficile, quasiment impossible, d’avoir des classes quand tu commences au Québec », analyse la détentrice d’un baccalauréat en littérature française de l’Université de Montréal.       

La jeune femme a mis les pieds pour la première fois à Vancouver en 2014, pour y faire sa maîtrise. Elle avait comme objectif d’y demeurer «une année ou deux», pour acquérir de l’expérience et bonifier son CV avant un éventuel retour dans la métropole.      

Comme le français est sa langue maternelle, Laurence Gauvreau a pu avoir accès à des postes pour lesquels des candidats plus formés postulaient. «Je suis passée devant des gens qui avaient un doctorat, mais pour qui le français était la langue seconde», illustre-t-elle.       

Séduite par la nature de l’Ouest canadien, l’océan et les montagnes, l’enseignante, aujourd’hui en couple, ne songe plus à partir. «Quand j’ai décidé de rester pour vrai, je n’avais pas de copain. Même si on se séparait, je resterais ici quand même», tranche-t-elle.      

  

Travailler dans les montagnes  

Ingénieur maritime, Philippe Saint-Germain aurait pu travailler à plusieurs endroits au Québec ou dans les Maritimes, mais c’est Vancouver qui a accroché cet amateur de planche à neige dès la fin de ses études en 2012. «J’aurais pu commencer ma carrière ailleurs, mais je voulais être dans les montagnes», affirme le Gatinois de 35 ans.      

Récemment, il a déménagé à Squamish, «la capitale nationale du plein air», pour mieux concilier son travail et sa passion. Philippe Saint-Germain n’a pas de plan pour retourner au Québec, surtout que son frère, sa sœur et sa mère ont aussi déménagé dans l’Ouest.      

  

Enseigner le français, de la Tanzanie à la Thaïlande   

Quatre jours après avoir obtenu son baccalauréat en enseignement du français, Olivier Émond mettait les pieds en Tanzanie. Quatre ans plus tard, il s’apprête à poursuivre sa carrière en Thaïlande. Photo courtoisie

Enseignant de français dans des écoles internationales en Tanzanie et en Thaïlande, Olivier Émond envisage difficilement un retour au Québec. Il critique vertement le système d’attribution des postes en vigueur dans les commissions scolaires.      

Détenteur depuis 2016 d’un baccalauréat en enseignement du français au secondaire à Sherbrooke, le jeune homme de 28 ans n’a jamais travaillé au Québec. Un concours de circonstances l’a plutôt mené à Arusha, en Tanzanie, où il a commencé à enseigner dès août 2016.      

«Au début, je venais pour enseigner le français bénévolement aux guides et aux porteurs avec qui j’avais monté le Kilimandjaro, en 2015. Mais sur place, j’ai postulé à l’école internationale, qui avait un poste permanent à temps plein. Je n’avais rien à perdre», raconte l’enseignant de Québec.      

Vers la Thaïlande  

Il a dès lors commencé à travailler. Récemment, son école est devenue membre du United World College, un réseau de 18 établissements situés aux quatre coins du monde, qui accueillent entre autres de jeunes étudiants boursiers de l’international. «On a une fille de Shawinigan qui vient l’an prochain!» pouffe-t-il.      

Pour des raisons personnelles, Olivier Émond a décidé l’an dernier qu’il quitterait la Tanzanie. Dès l’automne prochain, il entamera un contrat de deux ans dans une autre école du réseau United World College, à Phuket, en Thaïlande.       

Lourdeur du système  

L’idée de revenir au Québec ne lui a pas vraiment traversé l’esprit, reconnaît-il. C’est que, s’il revenait, il devrait effectuer de la suppléance durant des années avant d’espérer une permanence, et ce, même s’il cumule déjà quatre années d’enseignement à temps plein.       

«Moi, j’arrive d’un système privé. Si j’arrive à la commission scolaire, ils vont regarder mon CV, et je vais recommencer à zéro parce que je suis nouveau. Ce n’est pas attirant. L’éducation ne devrait pas tenir à ça», dit-il.      

Qui plus est, après des années de suppléance, il obtiendrait le poste disponible. Pas celui qu’il souhaite. «Je ne peux pas dire: “Cette école-là me rejoint, je veux postuler là.” Ça ne marche pas comme ça, au Québec. Et je trouve ça dommage, ça fait perdre toute la couleur de l’éducation», analyse-t-il.       

Olivier Émond en a aussi contre la «barrière administrative» que représentent les commissions scolaires. «Ce que je découvre ici, c’est qu’un établissement est beaucoup mieux géré par lui-même que par une panoplie d’institutions», avance-t-il.      

L’ancienneté prime  

Questionnée par Le Journal, la Fédération des syndicats de l’enseignement est restée de marbre face aux doléances d’Olivier Émond. La présidente Josée Scalabrini continue d’encourager le système favorisant l’ancienneté au sein d’une même commission scolaire pour l’attribution des postes.       

Elle milite toutefois pour que le Québec travaille à la rétention des jeunes enseignants. Pour y parvenir, elle propose de les sortir de la précarité, notamment en facilitant l’accès aux postes permanents et en bonifiant leur échelle salariale.      

  

En couple dans l’aéronautique au Japon  

Photo courtoisie

La gestionnaire Élise Trudel-Grégoire et l’ingénieur François Mercier-Allard ont tous deux décroché en 2017 un contrat en aéronautique à Nagoya, au Japon. «Le timing était incroyable, affirme la jeune femme de 32 ans. Pour nous, c’était juste une nouvelle aventure!»      

Rapidement, le couple s’est créé un réseau de contacts et d’amis chez les expatriés. Ils ont tenté — vainement ! — d’apprendre le Japonais, ont adopté un chat et ont voyagé. Le salaire, «incomparable au Québec», est un atout. À un point tel qu’ils ont prolongé leur contrat au Japon, qui ne devait durer que deux ans.      

  

Un contrat de quatre mois qui s’étire  

Photo courtoisie

  

Guillaume Larose travaillait pour Bombardier à Montréal quand il s’est fait offrir, il y a trois ans, de réaliser un court contrat pour son employeur, à Vancouver.       

«Ils avaient besoin de moi pour quatre à six mois. J’ai dit oui. Mais là, je suis tombé en amour avec la place. Et après deux mois, ils m’ont offert un poste permanent», se souvient le cadre de 35 ans, fan de ski et de vélo de montagne.      

Photo courtoisie

Et même si, en fin de compte, le professionnel est plus serré à la fin du mois étant donné le coût élevé de la vie, Guillaume Larose entend profiter de l’Ouest canadien le plus longtemps possible.    







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