Des croustilles fabriquées avec des insectes
Des coléoptères élevés à Donnacona servent de base pour produire une poudre de protéines
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Un entrepreneur de Donnacona s’apprête à mettre en marché une poudre d’insecte à haute teneur en protéines ainsi que des croustilles à base de ténébrions.
On pourrait se demander quelle mouche a piqué Marco Poulin pour abandonner un travail bien payé et se lancer dans l’élevage d’insectes pour la consommation humaine.
L’idée de se lancer dans cette production lui est venue il y a huit ou neuf ans.
«J’écoutais une émission à la télé. Des jeunes Africains de 10 ans se servaient d’une poêle à frire comme d’un filet. Ils avaient mis de la graisse sur leur poêle et attrapaient les mouches, les roulaient pour en faire une pâte et les faisaient cuire comme de la viande à hamburger. C’était le party au village parce que c’était de la protéine naturelle.»
«J’ai commencé à réfléchir. C’est bon pour la santé, c’est bon pour l’environnement et je veux laisser une belle planète à mes enfants», ajoute Marco Poulin, qui ne s’est pas laissé décourager par ses proches et ses amis qui le traitaient de fou.
Il a commencé à développer son projet, les Fermes Mystik, il y a sept ans. Il s’y consacre à temps plein depuis deux ans et peut compter sur l’aide de ses deux filles et un associé, Jean-François Fontaine.
Le ténébrion
Les travaux de Marco Poulin l’ont mené à choisir le ténébrion meunier, aussi appelé «ver de farine». C’est toute une revanche pour l’insecte qui était dans le passé considéré comme nuisible en raison de sa tendance à contaminer les sacs de farine et les céréales, lui qui est maintenant ajouté à celles-ci pour son apport nutritionnel.
Tout le processus s’effectue dans les installations de Donnacona.
L’œuf met une dizaine de jours à éclore. Ensuite, le ver se développe pendant un maximum de 10 semaines. À cette étape, le ver prendra la direction de la chaîne de production, ou on le laissera passer au stade de nymphe. Au bout de 7 à 10 jours, la nymphe se transforme en coléoptère qui sert, lui, à la reproduction.
C’est donc le ver, et non le coléoptère qui sert à l’alimentation. Après une période de jeûne, le ver est nettoyé, séché, broyé et ensaché. Le détail du processus est un secret industriel jalousement gardé.
Il en va de même pour le substrat dans lequel les œufs sont pondus. Les Fermes Mystik commandent la farine à la demi-tonne, mais le reste de la formule est ultra-secret.
«Nous avons travaillé avec le CRIC (Centre de recherche industrielle du Québec) et l’INAF de l’Université Laval (Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels), la Polytechnique de Montréal, le CINTECH (Centre d'innovation technologique en agroalimentaire), Charles Lavigne au CDBQ (Centre de développement bioalimentaire du Québec) et avec plusieurs laboratoires. Nous pensons que nous sommes rendus plus loin que la moyenne en biotechnologie», estime M. Poulin.
La machinerie a dû être adaptée à la production d’insectes après de nombreux tests et l’automatisation plus complète demeure un défi dans cette industrie naissante.
«Ça nous prend quatre heures, à deux, pour les nourrir deux à trois fois par semaine», explique l’entrepreneur. À cette fin, des fruits et légumes déclassés, mais toujours propres à la consommation humaine lui sont fournis gracieusement par un épicier.
Poudre de protéines
L’entomophagie, la consommation d’insectes par les humains, a donné son nom à l’ENTOMOprotéine, la poudre d’insecte qui sera lancée au plus tard le 10 février. Cette poudre aura une teneur de 53% en protéines.
«Il suffit d’ajouter une ou deux cuillères à soupe de poudre à ses crêpes ou dans son omelette. Cela augmente le nombre de grammes de protéines de la nourriture en ajoutant des acides aminés, de la vitamine B12, des fibres, du fer, ce sont de gros avantages. En remplaçant 10% de la farine de son pain ou de son muffin, on augmente du tiers le nombre de protéines», affirme-t-il.
«La viande animale contient entre 12% et 22% de protéines, contrairement à notre poudre qui est à 53%. Les insectes utilisent seulement l’eau contenue dans ce qu’on leur donne à manger. Ils ne produisent à peu près pas de gaz à effets de serre et il n’y a pas de risque de maladie.»
Pour ce qui est du dédain que certains consommateurs pourraient éprouver, il ne pense pas que ce sera un problème.
«Dans un salon, les gens ont goûté et ils ont tous adoré. Ils ont aimé l’odeur. Les gens ne sont pas prêts à manger des insectes complets, mais de la poudre ajoutée à des aliments, oui. C’est comme si on ajoutait des graines de lin ou de sarrasin.»
«Le prix sera de 12$ ou de 13$ le 100 grammes. Ça peut sembler cher, mais c’est peu si on compare à un café latté de 5$. L’industrialisation va aussi diminuer le prix», analyse Marco Poulin.
De l’huile
L’entreprise travaille actuellement à augmenter à 70% la teneur en protéines de sa poudre. Elle cherche aussi à développer une méthode d’extraction d’huile.
«Nous l’avons présentée à une entreprise qui fait dans le haut de gamme à Québec. Ils nous ont dit que c’était de l’huile santé, une des bonnes sur le marché, et ils avaient de la difficulté à concevoir que ça provenait d’insectes. Cette huile peut aussi servir dans le monde du cosmétique. Nous devrions arriver sur le marché d’ici deux ans», prévoit-il.
Les croustilles
Confiant du succès de sa poudre, M. Poulin l’est encore plus pour ses chips qui seront en vente d’ici le mois d'avril.
«C’est 100% winner. Ceux qui y ont goûté en ont raffolé. On retrouve un gramme de protéine par 100 calories en moyenne dans les chips traditionnelles. Avec les nôtres, ce sera un gramme pour 20 ou 25 calories. Et en plus, il y a des fibres, de la B12, des acides aminés, du fer. Elles auront une valeur nutritionnelle intéressante et ne seront pas cuites dans l’huile.»
Deux saveurs seront proposées et des croustilles sans gluten suivront. L’entreprise fournira la poudre de protéine à un sous-traitant qui produira les chips au Québec.
Premier produit
Comme n’importe quel animal, le ténébrion produit des déjections, qui ont permis à l’entreprise de «sortir de sa coquille» en mettant en marché son premier produit il y a trois mois, un engrais, le Viridi.
«C’est du 7-2-1. Nous y avons ajouté une petite touche secrète. C’est excellent pour stimuler l’enracinement et la floraison. Il dure en moyenne trois mois et il est sec et sans odeur, ce qui est un grand avantage. Nous avons été approchés par un producteur de cannabis qui utilise actuellement de l’engrais de ténébrions provenant de l’Ontario, mais dont l’odeur est très forte. Avec la vie microbienne que l’on retrouve dedans, il est génial pour la production de cannabis», affirme-t-il.
Voulant être écoresponsable d’un bout à l’autre de la chaîne, l’emballage du Viridi est recyclable et compostable.
«Nous proposons des sacs de 250 g et de 500 g pour la maison, mais nous sommes capables de fournir par centaines de kilogrammes. Nous avons une dizaine de points de vente et nous regardons pour la vente en ligne.»
Objectifs
Les Fermes Mystik viennent d’être retenues parmi quatre entreprises en démarrage par le programme Zone Bleue. Ce programme offre de l’accompagnement en finances, en stratégie, en coaching et des services juridiques. «Ça va nous donner un sacré coup de pouce pour notre croissance», a lancé M. Poulin.
À la recherche de partenaires financiers, Marco Poulin aimerait produire 10 tonnes d’ENTOMOprotéine et cinq tonnes d’engrais par mois d’ici cinq ans. Il cherche aussi un local de 30 000 pieds carrés dans la région de Portneuf.
«On ne veut pas enlever le steak de l’assiette des gens, mais on est en surpêche et il manque de pâturage pour les animaux. Quand je donne 9g de protéines à mes ténébrions, ils m’en produisent 15g. Pour obtenir 15g de protéines avec du bœuf, il faut lui en donner 100. La FAO (l’ONU pour l’alimentation) le dit, les insectes, c’est le futur de l’alimentation humaine. Et nous voulons devenir les leaders dans ce domaine au Québec», conclut M. Poulin.
♦ Les Aliments Maple Leaf ont investi en 2018 dans une autre entreprise ontarienne, Entomo Farms, le plus gros producteur d’insectes destinés à la consommation humaine en Amérique du Nord.
♦ Marco Poulin dans le local où il élève des ténébrions à Donnacona. Les sacs contiennent de l’engrais qui est actuellement disponible sur le marché. Le bol rond contient des ténébrions séchés, le rectangulaire de la poudre de ténébrions obtenue après le broyage.
Manger des bibittes de façon involontaire
- Marcel Dicke, professeur à l’université de Wageningen, aux Pays-Bas, a estimé que chaque humain consommait de manière involontaire environ 500g d’insectes par année.
- Sylvain Charlebois, professeur à l’Université Dalhousie d’Halifax et spécialiste en agroalimentation, estime qu’«il se peut qu’une fois de temps en temps, nous en mangions accidentellement, mais [que] tout cela est difficile à démontrer».
- Dans les pâtes alimentaires à base de semoule, par exemple, Santé Canada fixe le seuil à 35 fragments d’insectes par 225g d’aliments.
- En France, l’ANSES, l’agence responsable de la sécurité sanitaire de l’alimentation, autorise 0,1% de fragments d’insectes en matière de poids (1 g par kilogramme) dans les farines et les graines.