La farce odieuse des paradis fiscaux
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Le mythe de la lutte contre les paradis fiscaux
C’est un fait facilement démontrable: les politiciens sont au fait de l’évasion fiscale pratiquée par les nantis et les entreprises dans «leurs» paradis fiscaux, qu’ils dirigent. Pour ceux qui gobent les belles promesses des gouvernements et du patronat, il y a la ministre libérale fédérale du Revenu, madame Diane Lebouthillier, qui a dit ces douces paroles en 2016: «Ottawa entend attraper les évadés fiscaux, paradis par paradis». La ministre est disposée à changer la loi pour rendre illégal ce qui est immoral.
J’en ai eu des frissons.
Et en 2017, il y a eu le ministre libéral des Finances du Québec d’alors, l’ex-banquier Carlos Leitao qui, très sérieusement, a annoncé cette belle et courageuse nouvelle au peuple québécois: «Paradis fiscaux: Québec veut mettre les bouchées doubles» (Le Devoir, 11 novembre 2017).
Entendre des canons politiques dire qu’ils vont sortir l’artillerie lourde afin d’attraper tous les évadés fiscaux, rendre illégal ce qui est immoral et mettre les bouchées doubles, ça donne à la population l’impression que c’est la fin des paradis fiscaux et que les milliards de dollars détournés chaque année par les élites corporatives et individuelles dans leurs refuges et chaumières fiscaux seront dorénavant investis en masse dans nos programmes sociaux et vont contribuer à atténuer les grosses inégalités économiques. Comme le poète prolétarien l’a dit, il y a deux choses sûres, dans la vie: la mort et les paradis fiscaux.
Les belles paroles s’envolent
Voyons voir ce qui s’est vraiment passé depuis 2016 au Canada relativement à l’évasion fiscale dans les paradis fiscaux. Pour ce faire, j’ai utilisé le travail d’enquête du journaliste Jean-Nicolas Blanchet publié dans Le Journal de Montréal du 19 mai 2017: «Les paradis fiscaux en 2e rang. Ils se classent juste derrière les États-Unis comme lieu d’investissement des entreprises canadiennes». La recherche du journaliste n'a porté que sur les compagnies canadiennes et a exclu les particuliers qui, eux aussi, apprécient ces clubs privés que sont les paradis fiscaux.
On apprend donc, à la lecture de cet excellent travail de recherche, qu’en 2006, «seulement» 116 milliards de dollars avaient été «shippés» dans les paradis fiscaux par nos philanthropes et débonnaires compagnies canadiennes, contre 231 G$ en 2016. Bon, ça, c’était avant les promesses fermes et vigoureuses promulguées en 2016 par nos valeureux ministres, qui avaient alors dit vouloir anéantir les oasis fiscales une par une et rendre illégal ce qui est immoral. On annonçait donc la guerre finale aux paradis fiscaux. Ah ben, chose, plutôt que de diminuer, les dollars expatriés par notre caste corporative se sont plutôt multipliés: «Paradis fiscaux: une somme colossale de 353 milliards a quitté le Canada en 2018 ».
Adios, les beaux bidous sont partis. Trois cent cinquante-trois milliards de dollars en 2018 et 231 G$ en 2016, ça fait, si mes calculs sont bons, 122 G$ de plus en seulement deux ans, soit une petite hausse de 53%. Comme dit l’autre poète: «Y’a rien là et y’a rien à voir.» «Circulez», comme sur le pont Jacques-Cartier, mais attention si votre conscience écologique vous y amène, cela sera considéré comme un geste illégal passible de prison. Vous allez aussi vous faire joyeusement ramasser par plusieurs éditorialistes sous le prétexte que la population est prise en otage et que vous ne respectez ni les lois ni l’ordre établi. Contrairement aux caribous forestiers et aux bélugas, les paradis fiscaux ne sont pas en voie d’extinction.
Tout de même curieux, ces mêmes éditorialistes chevronnés et très sages s’abstiennent – probablement par respect – de faire des commentaires négatifs sur la crème de la crème et ses havres fiscaux. Les entreprises canadiennes qui ont détourné 353 G$ en 2018 n’ont pas tenu la population en otage et n’ont rien commis d’illégal, je suppose?
Paradis par paradis: en plus ou en moins?
Attraper les évadés fiscaux, paradis par paradis, qu’avait dit la ministre libérale fédérale du Revenu en avril 2016, mais en 2016, son gouvernement a toutefois décrété que: «La Barbade restera un paradis». Ça fait donc que des compagnies et des pachas milliardaires n’auront pas d’impôt à payer sur leurs revenus dirigés vers la Barbade et ceux provenant de cet endroit de culte fiscal.
Et madame Lebouthillier qui est venue nous dire, en 2019, qu’«Ottawa admet son impuissance à saisir de l’argent caché à l’étranger». Plus facile de partir aux trousses des mendiants, des assistés sociaux, des chômeurs et des jeunes écologistes désobéissants, n’est-ce pas?
Il faut bien s’amuser, dans la vie
En 2016, nos entreprises canadiennes, plus créatrices d’inégalités et de pauvreté que de richesse collective, ont investi 17 G$ au Mexique, 13 G$ en Chine, 12 G$ en Allemagne et 4 G$ au Japon, contre – attachez votre tuque! – 68 G$ à la Barbade, 60 G$ au Luxembourg, 48 G$ aux îles Caïmans, 20 G$ aux Bahamas, etc. Commencez-vous à saisir toute l’ampleur de cette mascarade funeste? Soixante milliards de dollars transférés en 2016 par nos corporate bums au Luxembourg, puis 90 G$ en 2018 et aussi 40 G$ aux îles Caïmans (Le Journal de Montréal, 19 mai 2017 et 24 avril 2019).
L’UE et l’OCDE qui mettent leur grain de sel
Et il n’y a pas seulement les élus du Canada qui se moquent de vous, il y a aussi ceux de l’Union européenne (UE): «La Suisse n’est plus un paradis fiscal, selon l’UE».
L’UE vient de réduire à neuf, en 2019, le nombre de pays sur sa liste noire de paradis fiscaux, alors que, dans les faits, il y en a une bonne cinquantaine. Avis aux bonzes de l’Union européenne: arrêtez donc de parler de «pays» pour décrire ces paradis fiscaux souvent de moins de 100 000 habitants. Ce sont plutôt des domaines et des refuges privés dirigés par et pour les puissants qui mènent et qui font promulguer leurs «lois» partout dans le monde. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) est encore plus cynique que l’UE et que le Canada en clamant ceci: «Paradis fiscaux. Trinité-et-Tobago, seul pays sur la liste noire de l’OCDE».
La preuve de la joke ignoble des paradis fiscaux
La Chine et l’Inde sont des pays de plus d’un milliard d’habitants et l’Indonésie, le Brésil, les États-Unis, le Pakistan, la Russie comptent chacun plus de 100 millions de personnes. Jusque-là, ça va?
Maintenant, regardons la population totale de certains paradis fiscaux mentionnés dans le travail d’enquête du Journal de Montréal publié le 19 mai 2017: «île Niue, 1300 habitants; Montserrat, 5000; Nauru, 11 000; îles Cook, 17 000; îles Vierges britanniques, 31 000; îles Turks et Caicos, 35 000; îles Caïmans, 62 000; îles Samoa américaines, 56 000; Bermudes, 65 000; Barbade, 28 500, etc. Vous appelez ça de véritables pays souverains? Voyons donc! En moins d’une journée et avec un minimum de volonté politique, les États-Unis et les autres pays occidentaux seraient en mesure d’éliminer pour toujours ces pseudo-pays qualifiés de paradis fiscaux. Juste en interdisant à ces réfugiés fiscaux le droit d’utiliser leur monnaie (dollar et euro); en interdisant à leurs banques, compagnies et individus de faire affaire avec eux et en décrétant un embargo économique qui ferait que les pays occidentaux ne commerceraient plus avec eux. Et voilà, ça serait terminé et il n'y en aurait plus, de paradis fiscaux.