Bière avec pas de pot, on capote!
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La semaine dernière, j’ai écrit un article pour dire que la SQDC s’apprêtait enfin à recevoir des boissons au cannabis. Au même moment, à la brasserie le Saint- Bock, à Montréal, Martin Guimond avalait sa gorgée de travers.
C’est que, voyez-vous, pendant que la SQDC peut vendre des boissons pas alcoolisées à saveur de citron contenant du cannabis, Martin se bat, lui, pour pouvoir vendre des bières alcoolisées à saveur de cannabis, mais sans cannabis. Vous suivez?
Martin Guimond est le propriétaire de la brasserie artisanale Saint-Bock. Quelques mois avant la légalisation du cannabis en octobre 2018, il a lancé une gamme de bière à saveur de cannabis.
Il s’agissait d’une bière alcoolisée faite avec des extraits de weed mais qui ne contenait pas de THC ou CBD ou n’importe quels autres cannabinoïdes.
Comment est-ce possible? C’est la magie de la chimie.
Je ne veux pas être celle qui brise des illusions, mais ça arrive que quelque chose qui a un goût de quelque chose ne contienne pas ce quelque chose.
Exemple : je suis pas mal certaine qu’il n’y a pas de raisins dans le Crush aux raisins. Mais ça, c’est peut-être juste ma mauvaise foi.
Or, quand les bières du Saint-Bock sont sorties, le ministère de la Santé n’a pas aimé les étiquettes sur les bouteilles. Vous vous rappelez, il y a presque deux ans, le ministère a découvert qu’il y avait des T-shirts avec des feuilles de weed et a soudainement craint que ça embrigade nos jeunes.
Eh bien, les bières du Saint-Bock ont été mises à l’index parce qu’il y avait des feuilles de pot sur l’étiquette et la mention «sans cannabinoïde». Il y avait aussi la description de la saveur. Par exemple : «Pilsner bohémienne au cannabis Girl scout cookie», une variété de cannabis bien connue. Le nom de la pale ale Pineapple Express, est aussi une référence à une variété de pot.
Et, voyez-vous, la loi interdit de faire de la promotion d’un produit en affichant un nom, une image, un logo, ou un slogan qui est associé directement au cannabis... comme une feuille de pot ou le mot cannabis ou cannabinoïde.
Baliverne!, s’est dit Martin (en version non censurée, ça sonnait plus comme : TU ME FUCKING NIAISES?!). Il avait quand même consulté des avocats en amont pour s’assurer que son produit était légal.
Mais comme il risquait une amende salée, jusqu’à 62 500$, tout de même, il n’a pas voulu prendre de chance et a donc fait faire d’autres étiquettes «version prohibition» sans feuille de weed. Et à la place de la mention « sans cannabinoïde », il était écrit « sans XXX ». La «Pineapple Express» est devenue «L'Express.»
« On a demandé au ministère si nos nouvelles étiquettes étaient ok et ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas me le confirmer », s’indigne M. Guimond. En gros, la décision de mettre l'étiquette sur les bières lui revenait et ce serait aux inspecteurs du ministère de statuer au moment de l'inspection.
Je ne connais pas beaucoup de commerçants qui ont 62 500$ à perdre juste pour voir. L’homme d’affaires s’est donc lancé dans une poursuite en Cour supérieure, car il juge que les articles de la loi portent atteinte à sa liberté d’expression. Il considère que cette « censure est excessive et injustifiable. »
Près d’un an et demi et 30 000$ plus tard, les procédures sont loin d’être terminées.
« On m’a dit que ça pouvait prendre encore deux ans », affirme-t-il.
Entre-temps, ils ont continué à servir leurs bières en fut, donc sans étiquette, sous d’autres noms.
Par exemple, «L'Éveil» est devenue la «Raisin maléfique» mais il s'agit toujours de la même pilsner bohémienne.
Et la pale-ale à l’herbe de bison «Pinneapple Express» est devenue la «Bison électrique».
Certains antispecistes s’inquièteront peut-être de voir sur l’étiquette un bison touché par un éclair. Mais pour chaque bison foudroyé, c’est un jeune de plus qui dira non à la drogue.
Je blague, bien sûr. (De toute façon, on sait bien que les jeunes disent enfin non à la drogue depuis que le gouvernement a interdit aux moins de 21 ans d'aller à la SQDC.)
Mais revenons à la bière. La loi interdisait au Saint-Bock d’écrire la saveur de la bière sur les étiquettes, mais les serveurs pouvaient en informer oralement le consommateur.
« Mais c’est un non-sens, parce que l’Office de la protection du consommateur nous oblige à dire c’est quoi les saveurs dans un produit, explique le brasseur. Tsé si t’aimes pas le coconut et que c’est pas écrit sur ta bière qu’elle goûte le coconut, tu seras pas content quand tu vas prendre ta première gorgée.»
Ça tombe sous le sens. C’est la raison pour laquelle il est assez optimiste quant au résultat de sa contestation judiciaire. « On pense avoir de bonnes chances de gagner. Nous, on ne fait pas la promotion du cannabis, on fait la promotion du "pas de cannabis" », insiste-t-il
«Pas de cannabis». Trois mots qui lui ont coûté 30 000$ jusqu'à présent.
D’ici deux ans, la procédure lui aura peut-être coûté pas mal plus cher qu'une amende. Et sa bière est pratiquement écoulée. Il n’en reste plus.
Alors Martin, pourquoi tu continues à te battre?
« Parce que j’aimerais ça pouvoir en rebrasser un jour, les gens les aimaient énormément...»
Bien vrai. Elle était vraiment bonne ta bière avec pas de cannabis. Pas mal meilleure que le thé vert à la pêche avec CBD de la SQDC...