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Quel bulletin pour les élèves du primaire et le secondaire?

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Le 13 mars dernier, le premier ministre du Québec, François Legault, annonçait la fermeture, d’abord pour deux semaines, puis, jusqu’au 1er mai, des garderies, écoles, cégeps et universités en raison de la propagation de la COVID-19 qui sévit à l’échelle internationale. Le 22 mars, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, annonçait à son tour que les examens ministériels étaient annulés.

Alors qu’il n’est pas saugrenu d’envisager que nos établissements scolaires n’ouvrent plus leurs portes pour la présente année scolaire, la question de la remise des notes finales brûle les lèvres de plusieurs enseignants, parents et élèves. Les modalités qui détermineront le résultat final en inquiètent certains. D’ailleurs, le Ministère réfléchit déjà aux différentes alternatives et sollicite l’avis d’experts en éducation à ce sujet. En présence d’un scénario impliquant la fermeture de l’école traditionnelle que nous connaissons pour le reste de l’année scolaire en cours, nous nous questionnons sur les modalités possibles et souhaitables pour rendre compte des acquis scolaires des élèves.

À ce titre, la décision que prendra le ministre de l’Éducation sera d’une grande importance: elle marquera le pas sur la conception de l’évaluation prônée par notre gouvernement et sur la valeur accordée à l’exercice du jugement professionnel de nos enseignants. L’on verra alors si cette décision est en adéquation avec la reconnaissance de l’expertise des enseignants et de l’évaluation en tant que tâche relevant uniquement de ces derniers. Éléments ayant d’ailleurs motivé le modèle de gouvernance présenté dans le projet de loi 40.

De la maternelle jusqu’au niveau universitaire, le mandat premier du bulletin est de rendre compte des acquis d’un élève/étudiant pour permettre son cheminement (passage au niveau suivant). À l’heure actuelle, au primaire et au secondaire, le processus d’attribution des résultats finaux repose sur la sommation des notes obtenues aux différentes étapes réparties dans l’année scolaire. Dans le contexte de crise actuel, cette sommation de notes ne reflète probablement pas le portrait final que chaque enseignant veut partager pour chacun de ses élèves. En effet, l’enseignant devra, certes, tenir compte des réalisations passées des élèves, mais aussi, de la perte d’un espace temporel qui aurait permis de rendre compte de l’atteinte de certains critères de compétences selon des attentes de fin d’année scolaire. Période qui aurait également permis à l’enseignant d’accompagner de façon plus serrée les élèves en difficulté. Mais il y a plus! Les résultats attribués aux élèves à chacune des étapes sont généralement colorés par la conception de l’apprentissage et de l’évaluation des enseignants. Ainsi, fort souvent, le parent apprendra à décoder le rationnel qui guide le jugement évaluatif de l’enseignant dans une approche par compétences. Il apprendra aussi à relativiser les résultats aux premières étapes, lorsque l’enseignant lui indiquera évaluer en fonction des attentes de fin d’année. Il se familiarisera ainsi à la manière de rendre compte du développement de compétences de chaque enseignant : certains préconisant d’appliquer les critères d’évaluation avec un niveau d’exigence semblable à celui qu’ils appliqueraient en fin d’année, d’autres adaptant plutôt leur niveau d’exigence au fil du temps. Cela met en évidence l’importance de bien réfléchir aux implications liées à une évaluation reposant sur la sommation des notes aux premières étapes dans le contexte actuel.

La responsabilité de l’attribution d’un résultat, que ce soit une cote ou une note, relève de l’enseignant, sauf dans le cas où il y a administration d’épreuves ministérielles ; celles prévues en juin n’auront d’ailleurs pas lieu. Comme le précisent Lafortune et Allal, le résultat attribué est le fruit d’une prise de décision qui devrait prendre en compte différentes considérations issues de l’expertise de l’enseignant (expérience et formation). Ce processus de prise de décision exige rigueur, cohérence et transparence. Considérant les six mois passés avec les élèves, on peut penser que tout enseignant peut juger globalement du niveau d’atteinte des critères d’évaluation par ses élèves en envisageant diverses situations vécues avec eux. Le jugement de chaque enseignant saura faire abstraction des concepts qui n’ont pas été enseignés. Chacun saura aussi garder à l’esprit que ses attentes en termes de niveau de développement des compétences ne peuvent être celles normalement attendues à la fin d’une année scolaire.

À la lumière de tout cela, dans un contexte où l’on reconnait l’expertise de l’enseignant, il serait souhaitable que l’enseignant puisse avoir l'autonomie pour décider du résultat final de l'élève, et ce, peu importe la modalité utilisée pour déterminer la note attribuée à chacune des étapes précédentes. Appuyé par les traces des apprentissages des élèves, les observations réalisées, les évaluations formelles et informelles, l'enseignant pourrait avoir l'occasion d'exercer son jugement professionnel.

Proposition d’une démarche menant au bilan des acquis et à assurer le succès de tous

L’expression du jugement évaluatif de l’enseignant consisterait à porter un regard transversal sur différentes situations-phares vécues en classe, et ce, pour chaque compétence. L’enseignant pourra considérer dans l’exercice de son jugement des évaluations informelles (p.ex. observations faites en classe de l’élève en tenant potentiellement compte d’une variété de formules pédagogiques appliquées en classe). Le travail demandé à l’enseignant est alors de juger du niveau d’atteinte des compétences en reprenant les critères du cadre d’évaluation des apprentissages pour chacune des compétences attendues. Il serait alors possible d’utiliser les grilles d’évaluation descriptives ministérielles propres à chaque discipline et nous suggérons qu’une évaluation de nature qualitative prime (A-B-C-D). Nous suggérons que pour la présente année scolaire, soit produit un bulletin final dont le résultat final n’accorderait pas une pondération à chaque étape. Le résultat final rendra compte du niveau d’atteinte de chaque compétence (A-B-C-D).

Évidemment, encourager l’enseignant à exercer son jugement c’est d’abord et avant lui permettre l’accès à ses ressources. Plusieurs enseignants aimeraient bien pouvoir consulter les copies de leurs élèves, le dossier d’apprentissage de chacun pour ainsi avoir la chance d’exercer une analyse transversale des productions. Pour cela, il faudrait leur permettre l’accès aux écoles. En 4e secondaire et en 5e secondaire, comme les résultats aux épreuves ministérielles sont comptabilisés dans le relevé officiel des notes de l’élève, relevé qui permettra à son tour

d’ouvrir les portes vers différents programmes de formation du collégial et qui coloreront aussi la cote R calculée au collégial, nous suggérons alors qu’une conversion des cotes en note soit réalisée.

Dans l’optique où notre système scolaire puisse réaliser les interventions qui assureront la réussite de tous les élèves, deux mécanismes devront être mis en place :

  • pour chaque établissement, un travail de concertation entre les différentes équipes de transition de niveau pour le primaire et ces équipes de transition seront constituées d’enseignants d’une même discipline au secondaire, et ce, afin de cibler les concepts-clés nécessaires à la poursuite au niveau suivant et qui n’ont pas été abordés. Il faudra ensuite planifier des interventions spécifiques à chaque discipline et à chaque niveau ;
  • pour les élèves qui éprouvent des difficultés, différentes actions devraient être réalisées. D’abord, le recourt à l’enseignement à distance permettrait d’offrir un enseignement personnalisé pour ces élèves afin de leur permettre de cheminer vers le niveau suivant ou à tout le moins de poursuivre les apprentissages dans la mesure où il y a engagement de la part de l’élève et de sa famille. Chaque centre de service devrait être en mesure de réfléchir à des modalités d’accompagnement en ligne. L’enseignant pourra alors porter son jugement sur les acquis de l’élève en tenant compte des progressions réalisées dans le cadre de cet enseignement personnalisé. Ensuite, il faudra également s’assurer de documenter la nature des difficultés des élèves afin que des interventions spécifiques soient proposées dès l’année scolaire suivante. Le diagnostic établi pourra alors intégrer le plan d’intervention de l’élève.

Conclusion

Enfin, le contexte du COVID-19 ne fait que renforcer l’importance d’assurer une meilleure concertation entre les enseignants quant à l’exercice du jugement évaluatif. L’évaluation en vue de la reconnaissance des compétences vise à informer l'élève, les parents, les enseignants et d'autres acteurs sur les niveaux de compétence atteints par l'élève, sur son résultat disciplinaire et sur sa réussite dans les disciplines où il y a eu enseignement et sur les unités obtenues en vue de l'obtention d'un diplôme d'études (MELS, 2006). La propagation du COVID-19 et ses conséquences en éducation sont l’occasion d’identifier les forces et les faiblesses de notre système. Le bulletin est la trace écrite que conservera chaque élève sur la valeur accordée à son parcours scolaire. Les résultats qui seront communiqués ne peuvent être pris à la légère. Il serait bien que, dans l’éventualité où les écoles traditionnelles telles que nous les connaissons n’ouvrent pas leurs portes, l’émission du résultat final ne soit pas un exercice mécanique réalisé par un ordinateur, mais bien la finalité du jugement exercé en premier lieu par l’enseignant.

– Mélanie Tremblay et Anne-Michèle Delobbe
Professeures à l’UQAR-campus Lévis

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