Les Indociles
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En dehors de ces formes de soumission que l’on choisit de son plein gré dans la vaste quête qu’est celle du plaisir, et dont il ne sera aucunement question aujourd’hui, lorsqu’on parle de docilité, on fait d’ordinaire essentiellement référence à un animal ou à quelqu’un de fondamentalement soumis.
Remarquons bien: lorsque nous croisons un homme docile, on se dit qu’il y a là quelque chose de dénaturé. Qu’il n’a pas de colonne, qu’il est castré et qu’on le plaint. Lorsque c’est une femme docile et effacée qui croise notre chemin, on se dit que ça ne doit pas être rose dans sa vie ou à la maison, que c’est révoltant et qu’on a juste envie de lui brasser la cage ou de la sortir de là au plus vite. Enfin, lorsque c’est un enfant docile qu’on a sous les yeux, un enfant qui ne fait opposition à rien, pas même pour le seul plaisir de tenir tête, nous ne trouvons pas ça normal. Nous reconnaissons instinctivement que quelque chose de précieux — l’esprit lui-même — est en train de suffoquer en silence et c’est ce qui nous pousse à nous demander si nous ne devrions pas vite contacter la DPJ. Mais, au-delà de ça, je crois que ce qui nous interpelle et nous dérange, jusque dans notre propre animalité, c’est que nous savons intimement que l’instinct de résistance en eux a été brisé et que si ces gens sont si dociles, c’est parce qu’ils ont d’abord été domptés.
Être docile, c’est écouter au doigt et à l’œil, c’est répondre «oui, maître». C’est faire le beau et donner la patte sur demande en échange d’une gâterie goûteuse, mais insignifiante. C’est se priver soi-même de ses propres instincts et de ses réactions intuitives. C’est abandonner son droit de dire, de questionner et de rétorquer. C’est délibérément abdiquer son devoir d’être fier et digne en ce bas monde. C’est tenir son rang et tirer à vue si on nous l’ordonne. Être docile, c’est avoir peur, c’est craindre les coups et les représailles, et c’est surtout être persuadé qu’il n’y a rien d’autre en dehors de cet état d’esprit aliénant.
Alors, en ce beau samedi ensoleillé, il me semble que la dernière chose qu’il faille demander, exiger ou espérer des Québécois, c’est bien la docilité. Nous collaborons, ce qui est une chose très différente.
Collaborer n’est pas un synonyme de docilité, tout comme docilité n’est pas un synonyme de discipline. Collaborer, c’est choisir d’emboîter le pas parce qu’on reconnaît le bien-fondé de la direction proposée. C’est y mettre du sien, prêter main-forte pour que ça se passe bien. Collaborer, c’est dire oui, et joindre toute l’ardeur de nos gestes à nos paroles. C’est protéger de son bras, resserrer le coude, tendre la main et filer un coup de pouce. Et la psyché du Québec est telle que nous le ferons volontiers, tant qu’on nous donnera de bonnes raisons de le faire, tant qu’on maintiendra notre confiance à flot et qu’on n’insultera pas notre intelligence en nous parlant de docilité, quand bien même ce serait par maladresse ou par méconnaissance de toute la charge agressante qui vient avec le choix de ce terme.
Les Québécois ne sont pas dociles, ils sont patients, et très mal avisé serait celui ou celle qui aurait la haute bêtise de confondre les deux, car nous ne sommes ni des chiens ni du bétail. L’histoire a déjà fait la preuve qu’on ne peut pas nous dompter, et ce n’est pas faute d’avoir essayé. Nous sommes des Indociles et, personnellement, c’est quelque chose qui m’emplit d’une innommable fierté et que je trouve furieusement séduisant, de surcroît.
En terminant, si je puis me permettre un humble conseil, le choix des mots, en de pareilles circonstances, et plus largement, quelles qu’elles soient, est capital. Le soin que nous devons impérativement y porter doit être chirurgical, au même titre que l’on ne peut envoyer nonchalamment un sol à la place d’un mi, sous prétexte que ce sont toutes deux des notes de musique. Tous les mots ne sont pas interchangeables ou de portée égale et un rien, dans un tel contexte, peut gravement changer la donne et l’ambiance.
Et il me semble simplement que c’est une chose à ne pas prendre à la légère lorsque l’on souhaite que ça aille bien.