Un PM de gauche
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Ceux qui avaient encore des doutes savent désormais que le premier ministre Legault est un homme de gauche.
Il a fait preuve d'une compassion naturelle durant la mise en œuvre des ressources sanitaires contre la pandémie.
Et si on avait déjà une bonne idée de ses convictions, cette semaine, en rappelant une énième fois qu’il manquait de personnel dans le réseau de la santé, il s’est dépeint tel qu’il est véritablement: accommodant à l'excès face à l'État.
S’il emploie souvent une métaphore guerrière pour décrire la lutte que mène le Québec contre le coronavirus, c’est surtout pour ajouter un brin de pathos à son propos. Parce qu’il refuse de donner les ordres que nécessiterait la situation dramatique dans laquelle se trouvent les personnes âgées, surtout à Montréal.
La Belle Province est peut-être en guerre, mais il n’est pas question, du moins pas encore, d’ordonner la conscription, peu importe si les déserteurs sont plus nombreux d’une semaine à l’autre.
Mardi, après le décompte des malades et des morts, M. Legault a encore une fois prié les employés du réseau de la santé de reprendre le boulot pour lequel ils sont payés. Rien ne justifie leur absence, apparemment.
Qu'on se l'avoue ou pas, ça devient choquant, cette amabilité suppliante.
«Je lance un appel, encore aujourd'hui, d'abord aux employés qui ont fini leur quarantaine, parce qu'il y en a à peu près le tiers, là, dans les 11 200 qui, techniquement, pourraient revenir. Donc, je lance un appel à ces personnes. On est comme dans une guerre puis on a vraiment, plus que jamais, besoin de vous autres».
Il a demandé en renfort l’armée canadienne et répète les appels au secours depuis des semaines. Devrait-il se résoudre à punir financièrement les absences injustifiées? Non, évidemment.
Pour des raisons qui m'échappent, les questions portant sur sa tolérance envers les employés de l’État sont rarissimes. Mais quelqu’un a osé, mardi, en poser une: Tommy Chouinard, de La Presse.
«Vous utilisez beaucoup l'image de la guerre. Pourquoi vous n'utilisez pas la conscription? En vertu de l'état d'urgence sanitaire, vous avez le pouvoir de réaffecter le personnel de l'État où vous le voulez, à vos conditions.»
Réponse du chef du gouvernement: «Bien, idéalement, ce qu'on veut toujours, c'est d'avoir des gens qui ont le goût d'aller travailler auprès de personnes aînées vulnérables, malades.»
Il préfère donc motiver en payant, ajouter des primes tant que faire se peut, avec l’assentiment des syndicats. En espérant que cela suffise...
On reconnaît le père de famille moderne, poli jusqu'à la contrition, qui dit à l’ado du sofa: «Ça serait le fun que t'étudies. J'augmente ta paye, si tu veux...»
Et le petit roi penché sur son iPhone se grouille en tendant la main ou empoche son salaire habituel sans bouger son cul...
Devant les employés de l'État, Legault est dans une situation similaire. Rien n’est obligatoire actuellement, pas même le télétravail. Rien, sauf l’obligation du gouvernement de payer tout le monde.
Pendant que les entreprises, les commerces et les restaurants voguent vers la faillite et que les licenciés se comptent par dizaines de milliers, les administrations publiques restent étrangement intouchables.
Villes, ministères, organismes publics ou parapublics, en santé, en éducation ou ailleurs, les salaires sont versés, les primes ajoutées et la progression d'échelon maintenue.
À Québec, malgré un déficit prévu de 200 millions, les employés permanents sont à l'abri et les hausses salariales statutaires sont accordées comme prévu. Peu importe la chute de ses revenus, la capitale soustrait ses employés les plus coûteux à la dure réalité de la vie.
Et prétendre geler les taxes par compassion, c'est faire une grossière illusion.
Mais personne n'est dupe. L'homme et la femme de la rue, le chômeur ou la chômeuse circonstanciels, ils devinent bien que le coronavirus ne fait pas que des morts et des malheureux...
Ils savent déjà que, quand tout sera fini, l’État et ses créatures chercheront à faire payer le prix de leurs inattaquables privilèges par ceux qui n'en ont pas.
Ainsi va la vie, à gauche...