Plus de chômeurs, pas plus de travailleurs
Portneuf manque toujours de main-d’œuvre
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Des entreprises de Portneuf qui jonglent depuis des années avec un manque de main-d’œuvre n’ont pas vu leur situation s’améliorer malgré la forte hausse du nombre de chômeurs, ce que certains associent aux aides gouvernementales.
En raison des mesures de confinement, le taux de chômage dans la Capitale-Nationale est actuellement de 9,8%. En 2019, il s’était maintenu à une moyenne de 3,5%.
« Les programmes gouvernementaux sont très généreux, il n’y a pas d’incitatifs à retourner au travail rapidement surtout que l’impôt actuel est différé. Le programme est une bonne chose, mais il a un effet un peu pervers. Nos employés ont été très collaboratifs, mais pour l’acquisition de main-d’œuvre, c’est autre chose », avance Nicolas Girard, directeur des ressources humaines chez Structures Ultratec, fabricant de structures en bois.
La Prestation canadienne d’urgence (PCU) permet à de nombreux travailleurs touchés par la crise de recevoir jusqu’à 75% de leur salaire. Un programme similaire (PCUE) s’adresse aux étudiants.
Structures Ultratec possède une usine à Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier qui emploie 65 personnes.
« On affiche, on affiche et ça ne court pas à nos portes. C’est très similaire aux années précédentes. Il nous faudrait 10 employés de plus pour tenir la cadence. On ne prend même pas encore d’expansion là-dessus. La job qu’on ne peut pas faire s’en va ailleurs. Et parfois c’est ailleurs qu’au Québec », plaide M. Girard.
Salaire mensuel
Valérie Randone, directrice pour Québec de l’agence de placement MaxSys Personnel, est tout aussi catégorique.
« Il y a des gens qui ont peur de retourner au travail. Mais il y a aussi les prestations d’urgence qui sont très alléchantes. Et la clientèle étudiante n’est pas certaine de vouloir travailler cet été parce qu’elle a des ressources disponibles. Les programmes gouvernementaux ont de très gros impacts. »
« Nous affichons maintenant le salaire mensuel plutôt que le salaire horaire pour que les gens puissent comparer avec la PCU, poursuit Mme Randone. Les gens veulent savoir ce qu’ils gagnent à retourner sur le marché du travail. On me demande aussi: “Si je risque ma santé pour retourner au travail, qu’est-ce que tu m’offres de plus?” »
L’agence pourrait trouver de l’emploi à 200 personnes dans la région de Québec, dont une trentaine dans Portneuf, « dès la semaine prochaine », explique Mme Randone. « On ne fait plus beaucoup de prospection pour chercher de nouveaux clients parce que c’est devenu tellement difficile de trouver de la main-d’œuvre. »
Pas de réponse
« Malgré la situation, les CV entrent au compte-gouttes. Ça nous inquiète. On cherche une quinzaine de travailleurs depuis un mois », lance Mathieu Bergeron, directeur des opérations chez Polycor. L’entreprise possède notamment une usine à Rivière-à-Pierre qui produit des bordures de rues en granit.
« On s’est demandé si les programmes gouvernementaux freinaient l’embauche. On ne peut pas mettre la faute à 100% là-dessus. Certaines personnes ont peut-être de l’inquiétude face au coronavirus ou encore il y a eu moins de pertes d’emplois localement. On se pose des questions », ajoute-t-il.
Freneco, aussi un fabricant de structures de bois qui emploie 130 personnes à Portneuf, est parvenu à embaucher 13 personnes au cours des trois dernières semaines. Il cherche encore une vingtaine de personnes.
« Parmi les employés que nous embauchons actuellement, certains ont vu leur poste coupé en raison d’une réorganisation », explique Gabrielle Comtois, conseillère aux ressources humaines de l’entreprise.
« Peut-être que des personnes assurées de retrouver leur emploi actuellement ne cherchent pas de travail, je ne sais pas si la PCU nous nuit actuellement », ajoute le président de Freneco, Jean Frenette.
À recadrer
Le député conservateur de Portneuf—Jacques-Cartier, Joël Godin, presse le gouvernement de modifier ses aides aux employés.
« Le programme au départ était rempli de bonnes intentions. Le gouvernement devait réagir et il a bien réagi. Mais maintenant on s’aperçoit que les dommages sont majeurs. Le gouvernement a réajusté ses programmes dans le passé et là, c’est urgent. Quand j’ai entendu le premier ministre du Québec [jeudi] dire qu’il a de la compétition par la PCU et la PCUE lorsqu’il annonce la réouverture des camps de vacances, on a un problème », peste M. Godin.
« Le problème est surtout chez les étudiants et les travailleurs au salaire minimum. Mathématiquement parlant, ils ont des avantages à rester chez eux. Des étudiants demandent à ne pas travailler plus de 15 heures semaines [pour ne pas perdre la PCU]. Un travailleur temps plein au salaire minimum va gagner moins. Ce qui est en place incite la passivité », insiste-t-il.
« Si il y avait eu un problème d’emploi pour les étudiants, on aurait pu trouver un programme plus tard. Mais on a donné un programme en amont. D’un autre côté, le programme d’Emplois Été Canada est en retard d’un mois. Les emplois sont libérés au compte-gouttes. Dans ma circonscription, je n’ai que 57 emplois confirmés sur 140 préautorisés. Il y a une incohérence si on veut relancer l’économie et impliquer les étudiants », dénonce le député.
Des primes problématiques
Sélection du Pâtissier, à Portneuf, craint davantage l’effet des primes actuellement accordées à certains travailleurs, que celui de la PCU.
« Nous allons le savoir [l’effet de la PCU] lorsque nous allons rappeler tous nos employés. Il y avait des hésitations de certains de ceux que nous avons contactés pour dire que le travail allait recommencer. Les programmes d’aide les pressaient moins à revenir. C’est correct de les aider, mais quand le travail reprend, ils ne doivent pas manquer leur tour. Mais pour le moment, ça n’a pas empêché personne de revenir », raconte Réjean Proulx, vice-président administration du fabricant de desserts.
Mais ce qui lui fait le plus craindre pour les embauches futures, c’est la tendance accrue à donner des primes, comme pour certains travailleurs de la restauration et des épiceries.
Un précédent
« Déjà [la hausse] du salaire minimum nous donnait une pression. On voit dans les services essentiels des primes de 3 à 4$ de l’heure. C’est correct. Mais on ne pourra quasiment plus leur enlever cela. Ils n’y retourneront plus. Le phénomène des primes va nous donner de la pression », craint M. Proulx.
« Dans le domaine de la boulangerie-pâtisserie, les salaires ne sont pas les plus élevés, ça n’attire pas beaucoup. Nous avons réactivé nos offres d’emploi et ça ne court pas les rues. La première question qu’un candidat nous pose c’est: comment ça donne? » précise M. Proulx.
Sélection du Pâtissier employait 110 personnes avant la crise, mais il en aurait eu besoin de 15 de plus. L’entreprise compte des hôtels et des restaurants parmi ses clients et est grandement touchée par la situation actuelle.
« Avec tout ce que le gouvernement donne comme primes, l’entreprise privée se voit dans l’obligation d’offrir elle aussi des primes. Ce ne sont pas toutes les entreprises qui sont en mesure de le faire », assure Valérie Randone de l’agence de placement MaxSys Personnel.
De meilleures conditions pour attirer les travailleurs
Pour combattre la pénurie de main-d’œuvre chronique, des entreprises de Portneuf multiplient les incitatifs.
« Nous avons changé notre échelle salariale. Quelqu’un qui entre chez nous, sans diplôme, va gagner entre 17 et 20,50$ de l’heure. On ne peut plus se contenter de suivre l’inflation. On doit payer davantage », avance Jean Frenette, de Freneco.
Son entreprise offre aussi un régime volontaire d’épargne retraite, paie 50% de l’assurance collective et courtise les personnes de plus de 55 ans.
Après avoir songé à mettre une navette en place, Freneco parvient pour le moment à attirer des travailleurs qui n’ont pas de voiture en organisant du covoiturage entre les employés.
« Nous songeons aussi à mettre une navette en place, lance Mathieu Bergeron de Polycor. Nous offrons de bons salaires, de 19 à 22$ de l’heure, et la formation est donnée sur place. Nous avons mis un terme au quart de nuit et nous donnons 1000$ net d’impôts aux employés qui nous recommanderaient un travailleur qui resterait au moins trois mois. »
« Nous sommes dans les journaux locaux, sur les sites d’emploi, sur notre site web, sur Facebook, la Municipalité fait des démarches, nous sommes sur les napperons dans les casse-croûtes, on a fait des annonces radio, on ne sait plus quoi faire », regrette M. Bergeron.
Travailleurs étrangers
Polycor attendait 18 travailleurs du Guatemala, mais la fermeture de l’ambassade canadienne au Mexique, qui gérait le dossier, a mis un terme à cette possibilité.
L’entreprise avait accueilli six Guatémaltèques en 2019. « L’expérience a été extraordinaire, on a adoré », dit M. Bergeron.
Même chose chez Freneco, qui attendait 13 travailleurs du Mexique. « On a commencé l’expérience l’an dernier et ça a été un bon succès. Nous avons acheté une maison, un véhicule, des vélos. Nous avions des interprètes. Nous voulions qu’ils reviennent », explique Jean Frenette.
« Ils travaillaient 60-70 heures par semaine. Cela équivaut à 21 ou 22 travailleurs d’ici pour une semaine normale. Même si on ne retrouvait que 85% à 90% de notre chiffre d’affaires [d’avant le confinement], je les reprendrais. Ils nous permettaient aussi d’ouvrir un quart de soir. Après un certain temps, les travailleurs d’ici veulent être de jour, ce qui se comprend », analyse M. Frenette.
Un projet refait surface
Freneco, Structures Ultratec, Polycor, Sélection du Pâtissier et deux autres entreprises de la région de Portneuf ont mis sur pied un projet de coopérative de travailleurs étrangers en 2018 qui a d’abord été bloqué. Une cinquantaine de ces travailleurs auraient pu se promener d’une entreprise à l’autre selon les besoins.
« Le ministère du Travail s’opposait sur le fait qu’une entreprise ne peut avoir plus de 10% de travailleurs étrangers. La coopérative était considérée à 100% d’étrangers. J’ai relancé le projet avec la nouvelle ministre [Filomena Tassi] et je pense qu’il y avait une ouverture. Mais je pense que la pénurie de main-d’œuvre est moins présente maintenant », conclut le député de Portneuf—Jacques-Cartier, Joël Godin.
TAUX DE CHÔMAGE (Capitale Nationale)
- 2019 : 3,5 %
- Mai 2020 : 9,8 %
PRESTATION CANADIENNE D’URGENCE (PCU)*
- Soutien temporaire du revenu
- 500 $ par semaine
- Pour un maximum de 16 semaines
- Conditions : Avoir cessé de travailler en raison de la COVID-19 et ne pas avoir quitté volontairement son emploi
PCUE
- Offre 1250 $ aux étudiants par période de 4 semaines
- Pour ceux qui ont gagné 1000 $ ou moins par période de 4 semaines
*Source : Gouvernement du Canada