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Préposée en CHSLD, un travail difficile

Pour pourvoir les 10 000 postes annoncés par le premier ministre, il faudra améliorer les conditions de travail

Delphine Bergeron
Le travail de préposée aux bénéficiaires est gratifiant, mais épuisant. Il fait chaud. Je profite des pauses pour reprendre mon souffle. Photo courtoisie


Ancienne journaliste et illustratrice judiciaire, Delphine Bergeron travaille depuis quelques années comme intervenante en santé mentale. Elle a accepté de travailler dans un CHSLD de la région de Montréal à la mi-avril pour prêter main-forte pendant la crise du coronavirus. Chaque semaine, elle nous fait part de son expérience.


Ainsi donc, le premier ministre François Legault veut trouver 10 000 volontaires pour devenir préposés aux bénéficiaires ? Moi qui travaille temporairement comme préposée dans un CHSLD pendant la pandémie, je peux vous dire une chose : c’est tout sauf facile.

J’ai chaud. Ma peau est dégueulasse. Sous l’équipement de protection individuelle, je suis inconfortable.

Je sue, des boutons apparaissent où je n’en ai jamais eu.

Il y a deux périodes de travail plus intensives pendant mon quart de soir : le souper puis le coucher.

Après chaque « rush », je dois prendre un moment de pause pour reprendre mon souffle et me rafraîchir.

Je prends tranquillement des habitudes, comme la confection de mon « COVID cocktail », un mélange de glace et de jus de canneberge avec lequel je m’hydrate à chaque pause.

Je dois laver mes cheveux chaque jour en rentrant chez moi. Je me change dans mon entrée, laisse mes effets sur place et vais directement dans la douche.

Le coronavirus ne survit que quelques heures sur les vêtements ; je pourrai ramasser la pile de linge le lendemain.

La fatigue mentale et physique s’installe, cachée par l’adrénaline.

Je vis une légère descente dépressive. 

Je bois de l’alcool tous les soirs.

Les bouteilles de vin blanc se succèdent. Je peux heureusement compter sur le soutien de mes amis pour ventiler, et j’arrive à contrôler ma consommation.

Delphine Bergeron
Photo courtoisie

Du beau monde

Malgré les instructions de distanciation sociale resserrées, je fais du covoiturage avec mes collègues.

Mon CHSLD est loin d’un métro et les usagers du transport en commun peuvent mettre facilement 1 h 30 à se rendre sur place ou revenir chez eux.

Ce moment en voiture avec eux me permet de mieux comprendre leur vie.

À part mes consœurs qui viennent du même établissement que moi pour prêter main-forte, les employés du CHSLD proviennent majoritairement des minorités visibles.

Ça me fait bizarre d’écrire « minorité visible », parce qu’en tant que Montréalaise, j’ai grandi dans la multiethnicité de la métropole.

Ils sont Afro-Américains, Africains, Caribéens, Latinos, Européens, Slaves, Indiens, Asiatiques... parsemés de Caucasiens comme moi, de culture francophone ou anglophone.

Renforts

À cette belle palette canadienne s’ajoutent les volontaires provenant de différents corps de métier.

Par exemple, aujourd’hui, une psychologue et une psychiatre se sont greffées à l’équipe. Un médecin d’un autre établissement donnait aussi de son temps sur l’étage.

Ces professionnels arrivent avec leur éthique de psy et de doc. J’en fais partie, débarquée là avec mon jugement éthique d’éducatrice spécialisée.

Nous devons apprendre à nous coordonner avec les soignants sur place, leur routine et leurs façons de faire.

J’ai trouvé qu’ils étaient brusques, au début. Quand j’ai compris le rythme qu’il fallait avoir pour accomplir la charge de travail, j’ai moi-même tourné les coins ronds sur certaines tâches.

On ne va pas régler la question complexe des conditions de vie en CHSLD en y travaillant quelques semaines.

L’équipe traitante roule depuis 25 ans en voyant ses moyens fondre. Chacun fait de son mieux.

Je ne suis aucunement restreinte dans l’utilisation du matériel, que ce soit le nombre de débarbouillettes ou de culottes d’incontinence utilisées.

Mais je sais que ce genre de gestion existe dans le réseau de la santé.

La crise actuelle n’est que le reflet de la place des aînés dans notre société, ainsi que de toute personne devant habiter en CHSLD.

En parlant d’aînés, j’ai commencé à appeler ma grand-tante Lucienne, qui a 93 ans et tient encore maison.

On discute de notre vie de confinement. Des voisins qui s’occupent d’elle lui ont appris à commander son épicerie au téléphone. En prenant soin de vos personnes âgées, j’ai eu envie de reconnecter avec les miennes.

L’appel de Legault

Vais-je répondre à l’appel de M. Legault et devenir préposée aux bénéficiaires à long terme ?

Donnez-moi un horaire de cinq jours, une paye et les avantages sociaux d’une éducatrice, aucune restriction matérielle ainsi que la garantie que nous serons quatre préposés par section (plutôt que deux ou trois, comme ça arrive souvent) et je réfléchirai sérieusement à changer d’emploi.





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