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Ce dont nous avons tous besoin

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En février dernier, au moment où la crise entre la nation Wet’suwet’en et le gouvernement fédéral battait son plein, je vous avais proposé un texte intitulé Comme un soupçon d’une ancienne diplomatie. Je vous y parlais des évènements entourant la Grande Paix de Montréal de 1701, mais également et surtout, du rituel de la plus haute importance qui avait permis d’accoucher de ce véritable miracle de diplomatie qu’était la ratification de ce traité historique entre nos ancêtres et les trente-neuf nations autochtones venus des confins de l’Iroquoisie et des Pays-d’en-Haut.

Mais, avant d’aller plus loin, si je vous en reparle aujourd’hui, c’est parce que face à l’horreur de ce qui s’est récemment passé chez nos voisins, et tout autant face à la déferlante qui s’abat depuis sur le Québec, sous la cacophonie aliénante des accusations et des objections, je n’ai eu de cesse de me demander: au-delà des cris et des insultes, qu’est-ce que cela nous montre? 

Si nous faisons momentanément fi des excités et des idéologues enragés, pour prêter l’oreille aux gens, à vous et moi, à nous tous, qui sommes touchés par ces évènements et qui y prenons part pour autant de raisons qu’il y a de vécus et d’expériences personnelles, qu’est-ce que cette crise révèle, au Québec ?

Qu’il y a, de toute évidence, un même besoin qui crie son nom de toutes ses forces, de part et d’autre de la ligne de tir. 

Maintenant, quel est-il, ce besoin? À mon avis, c’est celui qui stipule que chacun d’entre nous exige désormais la pleine reconnaissance de qui il est, de ses héritages, de sa langue, de ses croyances et de ses traditions. Celui qui n’entend plus marchander sur le respect de sa vie et de ses droits fondamentaux. C’est le virulent besoin d’être considéré et de vivre sans plus jamais subir les entraves dites traditionnelles propres aux hasards des berceaux. 

Ensuite, je me suis demandé: quelle est donc l’intention derrière la grande volonté de répondre à ce besoin?

À bien y penser, je crois que c’est d’abord celle de ne plus être en état de méfiance et de confrontation perpétuel au nom de sa protection et de sa survivance, car cet état épuise et avilit l’âme aux pires sentiments. C’est celle qui relève du désir de cesser de se ressentir, à tort ou à raison, comme la victime des structures et des conventions. C’est la volonté de se savoir vraiment chez soi quelque part, que personne ne puisse plus jamais venir remettre ça en question et de n’avoir plus qu’à s’y laisser fleurir au grand bonheur de cette société fantasmée et espérée depuis la nuit des temps, où chaque individu aurait les mêmes chances qu’un autre d’y vivre en paix et en sécurité. 

C’est ce que vous voulez. C’est ce que nous voulons aussi. Vous êtes fatigués de vous battre, de vous faire dire les pires horreurs et de vous sentir abusés. Nous le sommes aussi. Vous ne lâcherez pas le morceau, au nom de tout ce que vous êtes, de vos enfants et de ceux qui sont venus avant vous. Nous non plus. 

Alors, qu’est-ce qu’on fait?

Je propose que nous partions d’un même point de départ: c’est vrai, nos histoires ne se comparent pas. Bien que je n’aurai jamais l’irrespect d’avancer une telle chose, j’aurai cependant l’audace de proposer le parallèle suivant: si ce ne sont effectivement pas les mêmes armes qui ont été utilisées, sur les siècles, pour nous blesser, nous dominer et nous asservir, ce sont néanmoins les mêmes organes vitaux qui, chez nous tous, ont été atteints, puisque ce sont à nos dignités, nos cultures et nos identités que l’on s’est attaqué de mille manières différentes.

C’est ici que ma réflexion me ramène à la Grande Paix de Montréal et à cette fameuse Cérémonie des Condoléances qui, pour rappel, consistait à admettre la réciprocité mutuelle de tous dans la souffrance. Plus simplement, à reconnaître que son adversaire ait pu souffrir autant que soi et que vos souffrances, même si d’expressions différentes, se valent, car son expérience n’a ri race, ni couleur, ni religion et est universelle. 

Si ce rituel est si important, c’est parce qu’il a d’abord la magie de rendre son humanité à celui qui n’était, jusque-là, qu’un ennemi. Ensuite, parce qu’il pose tout le monde sur un même pied d’égalité dans les négociations et parce que c’est, enfin et surtout, la seule façon de jeter les bases d’un échange juste et équitable, hors des seuls paramètres des appels à la vengeance.

Si l’idée d’une paix entre nous semble pour l’instant bien naïve et utopique, la sagesse des Premières Nations me rappelle que ce qui précède toujours la paix est un grand dialogue et que, pour aboutir, ce dernier ne peut pas se faire à coups de bâton sur la tête et de claques au visage, mais selon les rigoureux principes du civisme, de l’écoute, de la compassion et du respect de l’individu, de sa dignité et de son histoire. L’élément primordial, ici, est de ne jamais perdre de vue que ces égards et ces principes doivent impérativement être mutuels et réciproques, sinon, ça ne peut pas marcher. 

La femme de lettres franco-sénégalaise Fatou Diome a cette très belle formule pour décrire la tâche immense qu’il nous revient d’accomplir aujourd’hui. Elle parle de «pacifier les mémoires». Au Québec, il ne s’agit pas seulement de les pacifier entre les Blancs et les Noirs, mais chez tout le monde et tous ensemble, car des griefs, des outrages, des injustices et des tragédies, il y en derrière les yeux et dans l’ADN de toute âme qui vive en terre québécoise et aucun n’est moins grave ou ne mérite d’être nié ou nonchalamment balayé de la main.

Si j’ai voulu ramener à votre attention l’existence de ce rituel, dont la philosophie me séduit au plus haut point, c’est parce que, concrètement, il propose à tous les partis de tracer une ligne au-delà de laquelle, si nous n’oublions rien, nous choisissons délibérément et sans réserve de devenir partenaires et de construire ensemble. 

Chers amis, à moins de prendre un plaisir sadique à provoquer et à alimenter entre nous des affrontements sans fin, qui finiraient par anéantir le potentiel collectif sans bornes qu’il y a entre nous, soyons plus intelligents que ceux et celles qui cherchent à nous faire tomber dans le gouffre de la violence et de la guerre ouverte, et refusons le dérapage. Car, et je terminerai là-dessus, être maîtres chez nous, l’être tous ensemble, ça commence d’abord par ne plus accepter de jouer le jeu sordide du véritable colonizer.

À bon entendeur.

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