Vague de dénonciations: des professionnels s’inquiètent pour les proches des agresseurs
Les conjointes et conjoints, les collègues, les frères et sœurs, les amis et les enfants des prédateurs souffrent discrètement ces jours-ci. Ils sont, selon des spécialistes, les victimes collatérales de la vague de dénonciations.
Depuis quelques semaines, des victimes dénoncent sur les réseaux sociaux des actes de harcèlement ou d'agressions sexuelles, souvent en nommant publiquement leurs agresseurs. La honte submerge les proches de ces derniers, tandis que la parole des victimes se libère. Ces personnes se retrouvent dans l’angle mort du second souffle du mouvement, amorcé en 2017 avec #MoiAussi.
«Les conjoints et les enfants sont entre l’arbre et l’écorce», a résumé la sexologue Natacha Godbout, qui enseigne au Département de sexologie de l’UQAM.
«Ils se demandent s’ils doivent abandonner la personne ou s’en aller. Personne ne veut être complice d’une agression ou avoir l’air d’encourager un agresseur. C’est très difficile de garder une relation dans ce contexte-là. En même temps, il y a un vécu partagé, une histoire qui n’est pas en phase avec celle racontée sur les réseaux sociaux», a-t-elle ajouté.
La culpabilité tourmente également les proches de ceux qui ont été nommés sur des comptes Instagram comme @victims_voices_montreal. Cette page, qui était suivie par 77 000 internautes lundi, avait publié plusieurs dizaines de témoignages anonymes nommant des agresseurs. Elle a subitement retiré toutes ses publications.
Une impression de responsabilité peut être ressentie par l’entourage des agresseurs, a confirmé le psychologue Stéphane Bujold.
«Il y a un élément de stupéfaction comme pour les victimes qui sont tentées de refaire le fil des événements pour voir leur responsabilité ou qu’est-ce qu’elles auraient pu faire de mal.»
«Les proches vont se demander "qu’est-ce qui fait que je ne l’ai pas vu?", "pourquoi est-ce que je n’ai pas accordé d’importance à certains événements?" et là, on est dans une recherche de sens qui comprend beaucoup de culpabilité et de peur. »
À cet égard, Natacha Godbout tenait à rassurer celles et ceux qui seraient tentés de porter le blâme sur eux-mêmes parce qu’ils ont été témoins de rien, parce qu’ils n’ont rien su déceler.
«On ne peut pas savoir. C’est difficile. Il faut garder l’œil ouvert, rester vigilant, être attentif aux signes... En même temps, il ne faut pas mettre ce fardeau-là sur les épaules des proches qui vont souvent se faire des reproches.»
Certains choisiront de rayer les agresseurs de leur vie, de rompre tout contact et d’autres resteront auprès d’eux. Il n’existe pas de bonne réponse à ce dilemme, croit la sexologue. «Peu importe leur décision, les proches vont se sentir incompris.»
«C’est terrible à dire, mais si [l’agresseur] est abandonné par tout le monde au moment où il était le plus vulnérable, est-ce que cette personne-là va être capable de réapprendre à être en société de façon saine?» s'est-elle aussi questionnée.
Des paroles en l’air?
Quant aux thérapies promises par les agresseurs qui ont publié leurs excuses ou leur mea culpa après avoir été pointés du doigt, Stéphane Bujold ne cache pas son scepticisme.
«L’aveu de culpabilité public, c’est bien pour les victimes. C’est une bonne chose, mais c’est facile d’écrire un court texte sur les réseaux sociaux en disant "je m’en vais en thérapie" et ainsi de suite...»
«Dans mon métier, ce que je sais, c’est qu’il y a des gens qui promettent de changer et qui, finalement, ne font rien, qui n’y mettent pas les efforts», a-t-il renchéri.
Si vous avez besoin de parler à quelqu'un, vous pouvez trouver un centre d'écoute à www.lignedecoute.ca ou contacter Écoute Entraide, au 1 855 365-4463 (sans frais).