Manawan: la communauté oubliée de Joyce Echaquan
Les habitants du village de Manawan déplorent être isolés et privés de systèmes de santé et d’éducation décents
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Morte à 37 ans après avoir publié une vidéo qui a bouleversé tout le Québec, Joyce Echaquan vient d’une communauté qui manque de tout. Le Journal s’est rendu à Manawan, le seul village attikamek de Lanaudière, pour témoigner de la résilience de ses habitants face aux défis qu’ils doivent affronter.
MANAWAN | Joyce Echaquan, cette femme attikamek, morte dans des circonstances troublantes à l’hôpital de Joliette en septembre, vient d’une communauté oubliée. Accès difficile, demeures insalubres, ressources limitées en santé, décrochage scolaire, racisme... le village de Manawan se relève lentement de la mort d’une des leurs et n’accepte plus d’être ignoré.
« Oubliée, mise à l’égard, ignorée... », le chef Paul-Émile Ottawa en a assez d’attendre après les différents paliers de gouvernement pour faire évoluer sa communauté.
À la fin octobre, Le Journal est allé passer quelques jours dans ce village situé à quatre heures de route au nord de Montréal.
Dans le cadre de ce reportage, nous avons pu nous entretenir avec des habitants de Manawan qui ont connu Joyce.
Insultée à l’hôpital
Cette mère de sept enfants, hospitalisée à Joliette, avait publié une vidéo bouleversante sur Facebook dans les heures précédant sa mort, où on pouvait entendre une infirmière l’insulter.
Entrevue avec Magalie Lapointe, journaliste au Journal de Montréal : Joyce Echaquan, 37 ans, est décédée le lundi 28 septembre 2020 dans des conditions douteuses à l'hôpital de Joliette, dans Lanaudière.
Nous avons également parlé à des élus locaux et des intervenants en santé et en éducation, notamment. Selon plusieurs d’entre eux, la promiscuité demeure le principal enjeu de la communauté attikamek.
« Si on enraye la pénurie du logement, la qualité de vie serait considérablement améliorée. Au niveau de la santé, il y aurait un impact positif. Au niveau de l’éducation, les jeunes seraient beaucoup mieux suivis avec leurs parents, plus structurés », énumère le vice-chef de Manawan, Sipi Flamand.
Maintenant ou jamais
Manawan est située dans la région de Lanaudière, à 86 kilomètres au nord de Saint-Michel-des-Saints.
Mais la route pour s’y rendre, non asphaltée et sinueuse, donne l’impression d’une communauté beaucoup plus éloignée.
Les membres souhaitent voir du bitume sur la chaussée, bien sûr, mais aussi des maisons se bâtir, des élèves assis sur les bancs d’école et des services en santé mentale.
Le conseil de bande et la communauté estiment avoir été assez patients envers les dirigeants. Trop patients.
Encore ébranlés par la tragédie qui a enlevé la vie de Joyce, ils veulent maintenant être écoutés et compris.
« Si les travaux majeurs de construction [école, route, maisons] ne sont pas commencés en 2021, je ne me représente plus. Je m’en vais. J’aurai tout essayé », lance sans hésiter le chef Paul-Émile Ottawa.
Pour Thérèse Quitish, une aînée très respectée dans ce village où elle est née, voir les jeunes sombrer dans l’alcool et la drogue lui donne le vertige.
Beaucoup de souffrance
« C’est ma communauté, j’y tiens à ma communauté, je veux aider les gens d’ici. Je vois beaucoup de souffrance », souffle-t-elle.
Habituée à travailler avec les détenues autochtones du pénitencier pour femmes de Joliette, Mme Quitish a présenté six projets au Conseil de bande, dont un qui vise à renseigner les aînés sur les enjeux sociaux vécus par leurs petits et arrière-petits-enfants.
Alice Echaquan croit quant à elle que si sa cousine Joyce avait été en mesure de dire aux infirmières si elle souffrait ou non, elle aurait sûrement mentionné ceci :
« Je veux plus de services pour mon mari, mes enfants, je veux qu’ils soient vus et je veux qu’on se préoccupe de ma nation et de ses besoins, car il y a tellement de secrets familiaux que nous n’osons pas aborder et nous sommes prisonniers de ce gouvernement. Nous sommes seuls dans nos communautés et on souffre. »
Voici la route sans fin vers Manawan
Des Attikameks doivent conduire sur une route de gravier raboteuse de 86 kilomètres avant de pouvoir acheter du lait maternisé au rabais ou simplement se réchauffer avec un café dans un Tim Hortons.
« Elle [la communauté] est au bout d’un chemin qui ne mène nulle part. C’est un cul-de-sac. Pas juste en termes d’emplacement physique, mais aussi en termes de développement », assure Éric Labbé, un ancien résident de Manawan.
À partir de Saint-Michel-des-Saints, le chemin de Manawan est une interminable route forestière privée très utilisée pour le transport de bois.
Après avoir parcouru 86 kilomètres, on atteint la communauté : une auberge, un poste de police, un centre de santé, une radio communautaire, une épicerie, deux écoles, une église, un petit restaurant et un peu plus de 300 maisons.
Pick-up recommandés
« Je suis obligée de m’acheter un véhicule en fonction de l’état de la route. Si elle était asphaltée et entretenue comme toutes les routes du Québec, on ne serait pas obligés d’avoir des camions qui nous coûtent les yeux de la tête et qu’on scrappe au bout d’un an, un an et demi », raconte Arna Moar.
Cette mère de trois enfants déplore « le kilométrage à faire pour acheter un paquet de couches ou du lait maternisé, parce que la sorte que notre enfant prend n’est pas disponible ici ».
Selon le vice-chef de la communauté, Sipi Flamand, l’inaccessibilité du chemin de Manawan est le principal facteur de la précarité de sa communauté.
« Les gens veulent que cette route-là soit beaucoup plus sécuritaire et accessible vers les centres urbains. Ça créerait aussi du développement économique pour la communauté en matière de tourisme et en matière d’autres types de développements aussi », croit-il.
Trop patients
Quant à la conseillère du Conseil de bande, Claudia Newashish, elle estime qu’encore une fois, la patience des Attikameks a joué contre eux dans le dossier de l’asphaltage de la route.
« Le gouvernement avait dit qu’il paverait 12 kilomètres. Le ministère des Transports avait indiqué que les courbes les plus dangereuses allaient être pavées en premier. Il y a eu une étude pour ça. Ça va se faire quand ? Dans dix ans ? Dans vingt ans ? On est trop patients à Manawan », ajoute-t-elle.
15 ans d’attente
Le chef Paul-Émile Ottawa, lui, a simplement perdu espoir de voir un jour le chemin de Manawan asphalté.
Le ministère des Transports l’a informé qu’un asphaltage complet pourrait être soumis au Programme des infrastructures et que ça pouvait prendre jusqu’à 15 ans avant d’aboutir à une entente.
Selon lui, Manawan et le ministère des Transports sont en discussion pour que la route puisse recevoir une première couche de gravier qui servirait de fondement pour un éventuel asphaltage.
► Selon les données de la Société d’assurance automobile du Québec, il y a eu 18 accidents significatifs qui ont fait au moins six blessés sur le chemin de Manawan dans les cinq dernières années.