[PHOTOS] Voici l’histoire d’un pyromane incorrigible de la Basse-Ville de Québec
Coup d'oeil sur cet article
Entre 1929 et 1967, un dénommé Adélard Gingras a semé la terreur dans la Basse-Ville de Québec en allumant plusieurs incendies et en déclenchant de fausses alarmes. Ce pyromane incorrigible sur qui retombent, à tort ou à raison, les pires soupçons sera condamné à plusieurs reprises à de lourdes peines d’incarcération.
1) L’incendie de la nuit du 29 au 30 juillet 1944
Tout semblait calme au 80 1⁄2, rue de l’Aqueduc, à Québec, lorsque Maurice Boucher, 38 ans, plombier, fit la tournée de sa bâtisse à 1 h 30 du matin dans la nuit du 29 au 30 juillet 1944. Eugène Bélanger y occupait le deuxième étage et la moitié du bas qui était un hangar. Il y avait établi une manufacture de jouets, et de petites maisons en carton y étaient fabriquées.

Une heure plus tard, Paul-Émile Lachance, 19 ans, un employé à la Dominion Arsenal, Roland Lamonde, 23 ans, journalier, et Gaston Thivierge discutent tardivement en ce samedi soir au coin de la rue Napoléon et de la rue de l’Aqueduc, près du restaurant de Ti-Mile (Émile) Verret. Soudain, Lachance voit de la fumée devant la fenêtre qui donne sur la rue de l’Aqueduc, quasiment en face de lui, et reconnaît l’homme qui sort de la cour. Il le connaît bien. C’est Adélard Gingras, un journalier qui demeure au 210, rue Marie-de-l’Incarnation. Lachance le connaît depuis l’enfance. Roland Lamonde témoigne quant à lui qu’il avait rencontré Gingras quelques heures plus tôt à l’hôtel Saint-Roch, dans le grill, en train de boire du fort en compagnie de ses deux frères: Maurice, dit Gros-Nez, et l’autre appelé Poltron.

Aussitôt que Gingras est aperçu, les trois comparses essaient de l’appréhender, mais sans succès. Ils alertent la caserne des pompiers no 8, située à proximité, au coin de la rue de l’Aqueduc et de l’avenue des Oblats. Le capitaine Louis-Philippe Bourret et ses pompiers arrivent à 2 h 35 du matin et y restent une heure. Les dégâts sont importants. Les policiers arrêtent Gingras, lequel subit son procès quelques mois plus tard.
Le 6 novembre 1945, il est condamné à cinq ans de pénitencier. Lorsqu’il le condamne, le juge note que durant tout le procès, le lourd dossier judiciaire de Gingras n’a jamais été mentionné. «Malheureusement pour vous, le dossier judiciaire indique que vous êtes un danger pour le public», écrira le juge. «Je vous condamne à cinq ans de pénitencier, et là, vous serez sous la surveillance des autorités, et les médecins pourront vous examiner et prendre les mesures requises au cas où ils jugeraient que vous êtes un maniaque.» La cause est portée en appel, en vain.
2) Un jeune délinquant
Né le 30 mai 1909 dans la paroisse de Saint-Sauveur, Joseph-Adélard-Grégoire Gingras est le fils du corroyeur Apollinaire Gingras et d’Albertine Kirouac. Son enfance est difficile. Albertine Kirouac décède le 21 octobre 1918 en pleine épidémie de grippe espagnole. Il a à peine 9 ans. Son père se remarie l’année suivante. À l’âge de 14 ans, Adélard Gingras est condamné à six mois de prison pour le vol de quatre bouteilles de lotion et d'autres produits de pharmacie valant quatre dollars.
3) Les incendies des théâtres Impérial et Princesse
Gingras est fasciné par le feu et les pompiers. À 20 ans, le dimanche 23 juin 1929, il met le feu au cinéma Théâtre Impérial, rue Saint-Joseph. Lorsque l’alarme est sonnée, une excitation, voisine de la panique, s’empare des 400 spectateurs. Heureusement, le feu est rapidement éteint et il n’y a pas de victimes. Gingras est aussi accusé d’avoir mis le feu au Théâtre Princesse situé à deux pas de l’Impérial.
Depuis décembre, plusieurs débuts d’incendie avaient été observés dans ces deux établissements. Les soupçons s’arrêtent sur Gingras lorsque les autorités sont informées que le jeune homme avait été vu au moment de l’incendie, s’éloignant en courant du Théâtre Impérial. Il est alors arrêté. En juillet 1929, il est condamné à quatre ans de pénitencier pour l’incendie du Théâtre Impérial. Faute de preuves, il semble avoir été innocenté de la seconde accusation.
4) Un délinquant incorrigible
Libéré sur parole le 4 avril 1931, il est condamné pour vol le 6 janvier 1932. Il purge six mois pour ce crime et le restant de sa peine initiale. Le 24 février 1934, il est libéré.
En octobre 1935, il avait été soupçonné d’avoir allumé cinq incendies dans le quartier Saint-Sauveur, mais malgré de fortes présomptions, aucune condamnation n’est rendue.
Incorrigible, le 4 septembre 1936, Gingras est de nouveau condamné à six mois de prison pour avoir sonné de fausses alarmes. Il avait été capturé par le constable Patrick Kirouac dans le quartier Saint-Sauveur, après que ce dernier l’a suivi pendant des heures, de Limoilou à l’endroit où il sonna la fausse alarme. Le constable Kirouac soupçonnait Gingras depuis plusieurs semaines, mais il n’avait jamais pu le pincer sur le fait malgré une filature active. «Le soir de l’arrestation, le constable Kirouac avait filé le prévenu pendant toute la soirée. Gingras se rendit à Limoilou, mais le constable Kirouac le suivait en automobile, et c’est après bien des allées et venues que l’homme se décida à sonner la fausse alarme, qui fut sa dernière», écrit un journaliste.
Le 9 juillet 1939, un incendie cause la mort de Joseph Pelletier, 60 ans. Adélard Gingras avait passé l’après-midi avec le défunt. Faute de preuves, le coroner conclut à une mort accidentelle.
Le 24 janvier 1944, Gingras est condamné pour ivresse.
5) Le tragique incendie de la nuit de Noël 1943
Durant la nuit de Noël 1943, un incendie se déclare au 272, rue Kirouac. Paul-Henri Gingras, 22 ans, frère d’Adélard, qui demeurait avec sa mère, décède. Il était seul au moment de l’incendie. Évidemment, les antécédents d’Adélard Gingras le rendent suspect. Le coroner conclut que l’origine de l’incendie est douteuse. Le verdict est laissé ouvert pour permettre à la police de continuer ses recherches. Aucune accusation ne sera portée contre Gingras.
6) Un dernier incendie durant la nuit du 30 mai au 1er juin 1967
«Un “pyromane incorrigible” écope de huit années de bagne», titre le journal L’Action le 14 juin 1968. La veille, Adélard Gingras, présenté alors comme un journalier errant de 59 ans, est condamné à une peine de huit années de bagne pour avoir allumé un incendie dans la maison de chambre où il logeait, au 671, rue Saint-François Est. Gingras occupait une chambre et, sur le même plancher, M. et Mme Labrie occupaient également une chambre. L’incendie s’était déclaré dans une garde-robe pour laquelle les Labrie avaient une clé, et cette garde-robe était munie d’une fenêtre donnant sur la chambre de Gingras.
Dans la soirée du 31 mai au 1er juin 1967, Gingras se rendit chez les Labrie et aurait déclaré que «s’ils rient ce soir, ils riront pas demain matin». L’ensemble de la preuve fait comprendre que l’incendie «ne pouvait avoir pris naissance par suite de défectuosités électriques ni après l’ouverture de la porte donnant sur le corridor». Poursuivant l'analyse des faits étalés devant lui, le juge Potvin signale que l'expertise menée à la suite de l’incendie a révélé que la chaise à l’intérieur de la chambre de Gingras était imbibée de gazoline à briquet et qu’elle était placée près de la fenêtre de la garde-robe. On trouvait aussi à cette occasion différentes ficelles dans la chambre de Gingras, dont une sur le cadre de la fenêtre, elle aussi imbibée de gazoline. Pour sa part, Me Roch Lefrançois, procureur de la Couronne, conclut que le «pyromaniaque constituait un danger pour toute la société». Pour appuyer ses propos, Me Lefrançois fait valoir la longue feuille de route du pyromane. Il résume la situation: «Gingras vit seul et toujours dans des maisons de chambre, il constitue donc un danger constant pour la sécurité des gens.»
Le juge rappelle que Gingras pouvait s’estimer heureux de ne pas avoir causé la mort de plusieurs personnes. «Vous êtes de cette race d’individus qui trouvent une certaine jouissance à mettre le feu... On ne peut vous garder dans la société», termine-t-il.
7) Décès
Adélard Gingras décède le 7 juillet 1972 à Montréal, probablement au pénitencier Saint-Vincent-de-Paul. Gingras a été incarcéré à plusieurs reprises. Ce pourrait n’être que la pointe de l’iceberg. Il a probablement allumé plusieurs autres incendies restés inconnus ou sans preuve. Gingras aurait eu besoin de soins médicaux ou psychiatriques. Il ne semble pas avoir obtenu d’aide malgré l’appel du juge en 1945.
Un texte de Rénald Lessard, archiviste-coordonnateur, Bibliothèque et Archives nationales du Québec
- Vous pouvez consulter la page Facebook de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) en cliquant ici, et son site web en vous rendant ici.
- Vous pouvez également lire nos textes produits par la Société historique de Québec en cliquant ici.
- En 2020, BAnQ souligne le 100e anniversaire des Archives nationales du Québec. Le microsite du centenaire peut être consulté ici.