Cinq ex-nageuses intentent un recours collectif contre Natation artistique Canada
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Un véritable coup de tonnerre a secoué le milieu sportif canadien, mardi, alors que cinq nageuses ont intenté une action collective contre Natation artistique Canada (NAC) et réclament 250 000 $ en dommages punitifs.
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Les plaignantes demandent 12 500 $ par athlète par année de service en dommages moraux et les frais pour pertes encourues.
Natation artistique Canada nage en eaux troubles depuis plusieurs années. Des nageuses ont déploré l’environnement malsain dans lequel elles évoluent sans toutefois que les dirigeants apportent des changements significatifs.
Cette fois-ci, les cinq nageuses, accompagnées par la médaillée d’or olympique Sylvie Fréchette dans leur sortie publique, misent sur des ressources pour mener à terme leur bataille. Entre autres,
deux firmes d’avocats de Montréal et de Toronto les accompagnent pro bono (à titre gracieux) dans leurs démarches ainsi qu’un important bureau de relations publiques.
Abus, harcèlement
Les plaintes portent sur des abus psychologiques, de la négligence, du harcèlement sexuel et des propos racistes de la part des entraîneurs et du personnel d’encadrement.
L’action collective touche toutes les nageuses qui ont porté les couleurs de l’équipe nationale du 1er janvier 2010 au 8 mars 2021.
« La présence de plusieurs filles, de Sylvie et de partenaires donne plus de poids à notre cause, a expliqué Chloé Isaac, qui a porté les couleurs de l’équipe nationale de 2008 à 2014 et pris part aux Jeux olympiques de Londres en 2012. Au fil des ans, on a réalisé que nos plaintes et démarches individuelles ne portaient pas leurs fruits et qu’il n’y avait pas de changements. Nos plaintes n’étaient pas prises au sérieux. »
- Écoutez l'entrevue de Benoit Dutrizac avec la nageuse Gabrielle Boisvert sur QUB Radio:
Une championne émotive
Sylvie Fréchette regrettait de ne pas avoir dénoncé plus tôt l’environnement et la culture de NAC.
« Je suis tellement désolée de ne pas avoir réagi plus tôt, a-t-elle exprimé, très émotive. J’étais là souvent et j’ai vu des choses, mais c’est tellement inculqué en nous que c’est comme ça que ça marche. J’ai décidé de le faire parce qu’assez, c’est assez. C’est une journée difficile, mais une belle journée parce que c’est le temps que ça se passe. Je suis tellement fière de vous. Le changement va passer par cinq athlètes courageuses.
« Principalement en fin de semaine dernière, j’ai lu beaucoup de témoignages et de documents afin de me préparer pour cette journée et j’étais habitée par beaucoup de colère, de rage et de peine, mais je n’étais pas surprise, a poursuivi Fréchette. J’ai revu un peu mon histoire dans les témoignages, notamment ceux portant sur le poids des filles. Plus les temps changent, plus c’est pareil. »
Témoignages
Après la sortie de Fréchette, Erin Willson, Chloé Isaac, Gabriella Brisson, Gabrielle Boisvert et Sion Ormond ont partagé les traitements et les propos qu’elles ont subis au fil des ans et déploré l’inaction des dirigeants de NAC qui étaient au parfum des récriminations des nageuses.
« Quand je suis arrivée avec l’équipe nationale, j’ai rapidement vu que ce n’était plus la même game que j’avais connue dans mon club, a déclaré Boisvert, qui a porté les couleurs de l’équipe nationale
de 2015 à 2018 avant de se retirer après avoir été victime d’une commotion cérébrale mal soignée dont elle a gardé des séquelles. Comme recrue, l’entraîneur ne te regardait pas parce qu’il jugeait que ça ne valait pas la peine. Tu n’étais qu’un numéro.
« On te faisait sentir comme si tu étais la pire nageuse et le pire humain de la Terre, a ajouté Boisvert. Les propos sont tellement répétés que tu y crois toi aussi et que tu penses que tu es avec l’équipe nationale par défaut. Tu remets en doute tes blessures et tes signaux de douleur parce que l’entraîneur-chef ne te croit pas. »
Obsession du poids
Le poids des nageuses était devenu une obsession pour les entraîneuses, qui se sont succédé au fil des ans. L’apparence aussi.
« Tes seins sont trop gros pour une nageuse synchronisée, aurait lancé Julie Sauvé à l’intention d’Erin Willson. Dans ce même extrait de la demande d’action collective, on peut y lire que Sauvé portait des commentaires humiliants à l’égard de Willson devant ses coéquipières et qu’elle a aussi reproché à Isaac ses jambes trop larges. »
La pesée était au programme le lundi. Les nageuses mangeaient très peu le dimanche, sautaient le déjeuner du lundi et se tapaient un entraînement de plusieurs heures avant de pouvoir prendre une bouchée.
« Mes capacités dans l’eau importaient peu, a déploré Isaac. Le chiffre sur la balance était la priorité. J’ai développé des troubles alimentaires, de l’anorexie et de la boulimie. Après huit heures d’entraînement, j’allais courir sur le tapis roulant dans l’espoir d’atteindre le poids qui m’était imposé et peut-être finalement d’avoir un répit.
« Je n’arrivais pas à supporter toute cette pression et on m’a prescrit des antidépresseurs dans l’espoir d’alléger mon anxiété. »
Des athlètes humiliées
« Natation artistique Canada sait ce qui se passe et ne fait rien »
– Gabrielle Boisvert
« Je suis tellement désolée de ne pas avoir réagi plus tôt »
– Sylvie Fréchette
« J’attendais le moment de dire la vérité depuis plusieurs années »
– Chloé Isaac
« Julie [Sauvé] était très, très axée sur le poids »
– Sylvie Fréchette
« On s’est senties complètement abandonnées »
– Chloé Isaac
« Comme [j’étais une] recrue, le coach jugeait que ça ne valait pas la peine de me regarder »
– Gabrielle Boisvert
« Il ne faut pas pointer du doigt vers Julie Sauvé et des individus, mais on doit changer la culture de notre sport, qui est malade »
– Sylvie Fréchette
DES INSULTES DE COACHS
« Si tu n’es pas guérie à cent pour cent dans cinq jours, tu es dehors ! »
« Tes seins sont trop gros pour une nageuse artistique. »
« Ferme ton survêtement avant que je sois excité. »
« Tu es mieux d’apprendre à cuisiner parce que tu ne resteras pas belle pour toujours. Il faudra trouver un moyen de garder ton mari à la maison. »