Réussite éducative: un rendez-vous manqué
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Le 11 mars dernier, le ministre de l’Éducation annonçait une période de consultation auprès de différents acteurs du réseau scolaire. Ainsi, son «rendez-vous pour la réussite éducative» atteindra son point culminant lors de la tenue d’un forum les 31 mars et 1er avril.
Selon le document officiel, cet événement permettra aux intervenants d’identifier et de recommander les mesures prioritaires d’un plan de relance éducative pour répondre aux défis liés au contexte pandémique.
Si certains apprécient l’initiative, y voyant une volonté d’améliorer la situation en dégageant des consensus, d’autres ont cru qu’il s’agissait d’un poisson d’avril tant cette idée était soudaine. Ils la réduisaient à une simple stratégie de marketing afin de revamper l’image d’un ministre qui a la réputation de faire cavalier seul.
Disons seulement que de donner moins de trois semaines à ses «partenaires» pour se préparer adéquatement sur des enjeux aussi cruciaux révèle une spontanéité qui laisse songeur sur l’objectif réel de la démarche.
Des conclusions prévisibles
Cette impression que tout cet exercice ne constitue qu’une mascarade savamment organisée est d’autant plus renforcée que le budget présenté jeudi nous donne déjà une bonne idée des conclusions qui seront retenues. De fait, des sommes importantes ont été annoncées pour contrecarrer les effets de la pandémie sur les jeunes. On indique vouloir miser entre autres sur le tutorat, l’aide aux devoirs et les classes spécialisées.
Selon une majorité de travaux de recherche, le tutorat peut donner des résultats positifs, mais à certaines conditions bien identifiées. Pour le moment, il est clair que ce qui a été mis en place à la sauvette en février ne réunit pas ces conditions. L’aide aux devoirs et les classes spécialisées, quant à elles, soulèvent bien des débats quant à leur efficacité.
Qui, parmi les invités du ministre Roberge, osera discuter de la pertinence de certaines mesures déjà appuyées par le budget? Et à quoi bon le faire? Un forum sur l’éducation après le dépôt du budget, ça ne pèse pas lourd.
On répondra que c’est mieux que rien mais, en éducation, «mieux que rien», c’est souvent trois fois rien.
Un huis clos inadmissible
Mercredi, La Presse nous apprenait que ce rendez-vous — où l’on retrouvera uniquement des participants invités expressément par le ministre Roberge — se ferait à huis clos. À notre connaissance, jamais un exercice aussi important en éducation ne s’est fait de façon similaire. Pour un gouvernement qui a déjà dit avoir fait le pari de la transparence, on nage en pleine contradiction.
Le ministre explique ce huis clos en invoquant un malaise chez certains participants: «Ils nous ont dit qu’ils se sentiraient davantage en confiance, libres de faire valoir leurs idées, de déposer leurs propositions si c’était une consultation qui se faisait entre seulement les personnes invitées.»
C’est plutôt à la lecture de cette déclaration que nous ressentons un malaise. Ce que nous savons, c’est que l’éducation est un sujet public, et la réussite scolaire des jeunes Québécois nous concerne tous. Si des groupes sont incapables d’assumer leurs idées, s’ils ne veulent pas que «les autres» écoutent ce qu’ils ont à proposer, s’ils ne veulent pas partager leur vision de ce qu’on devrait faire collectivement pour la réussite, ils devraient peut-être rester simplement à la maison.
Le huis clos est contraire au bien commun; il démontre que pour le ministre, l’éducation est une affaire de groupes d’intérêt choisis par lui, qui établissent en cachette des priorités ou qui se soumettent à celles du ministre, croyant ainsi entrer dans ses bonnes grâces. Cela ouvre la porte à des procès d’intention et donne à toute l’opération une opacité incompatible avec la démocratie.
Il est admis que la justice ne doit pas être rendue clandestinement, afin d'éviter des soupçons sur sa partialité. Il en est de même pour ce rendez-vous, où ce qui se passera en secret donnera l’impression que les dés étaient déjà pipés quant aux conclusions qui en ressortiront.
Un plan de relance éducative n’a rien d’une exception qui justifie l’imposition d’un huis clos. Bien au contraire. Afin d’aider efficacement nos enfants et nos adolescents, le discours se doit d’être public.
Pour qui suit l’éducation depuis des années, ce simulacre de «sommet» donne bien plus l’impression d’une opération médiatique destinée à mousser l’image d’un ministre que d’une véritable opération visant à assurer la réussite des élèves. Certains rêvent d’un réseau scolaire et d’écoles autonomes. Pourtant, notre système d'éducation semble plus que jamais sous la gouverne d'un ministre.
Et pourquoi pas un vrai sommet apolitique?
Nos jeunes méritent mieux, beaucoup mieux qu’un événement qui ressemble à un exercice de relations publiques.
Avec la collaboration de:
- Stéphane Allaire, professeur en pratiques éducatives, Université du Québec à Chicoutimi
- Mathieu Bernière, enseignant au secondaire
- Sylvain Bérubé, enseignant au secondaire
- Claude Lessard, professeur émérite, Université de Montréal
- Luc Papineau, enseignant au secondaire
- Marc St-Pierre, ex-directeur général adjoint de la commission scolaire de la Rivière-du-Nord