Le Club Vinland: un Québec entre légende et truelle
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Il existe de ces œuvres qui savent à la fois instruire la tête, dépoussiérer la mémoire et ravir le cœur. S’inscrivant dans la lignée de ces films à la sensibilité toute particulière dont le Québec a le secret, Le Club Vinland du cinéaste Benoît Pilon, qui arrivera demain sur nos écrans, vient faire honneur au genre.
Initialement né de l’idée de Normand Bergeron, qui l’a ensuite coscénarisé avec Marc Robitaille et Benoît Pilon, Le Club Vinland pose l’action au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, dans un Québec sous hégémonie religieuse. À l’heure la plus sombre de la Grande Noirceur, que l’on ignorait précéder l’aube de la Révolution tranquille, un jeune orphelin de père se voit confié par sa mère aux frères d’un collège pour garçons de Charlevoix. C’est là qu’il fera la rencontre du frère Jean, un enseignant dévoué, dont la passion marquée et peu orthodoxe pour l’archéologie et l’histoire de la mythique saga des Vikings en Amérique viendra changer le cours de sa jeune vie, ainsi que celle de ses camarades...
Sur ce superbe «chantier» cinématographique, où l’existence des divers protagonistes évolue quelque part entre la légende et la truelle, l’histoire du Club Vinland contient, à mon sens, davantage que le seul scénario d’un bon film. À l’heure où notre mémoire collective est plus que jamais mise à mal, ce dernier vient nous rappeler comme nous venons de loin, ainsi que tout le chemin que nous avons parcouru en quelques décennies à peine. Comme, il n’y a pas si longtemps, nos aïeux étaient encore maintenus dans la seule et miséreuse condition ouvrière et agricole par la main de fer de la toute-puissance combinée du clergé et de l’État. Il nous ramène également, avec beaucoup de délicatesse, à la force et à la résilience de nos mères, qu’a su rendre toute la justesse du jeu d’Émilie Bibeau. Enfin, le Club Vinland attire notre attention sur le fait que la prime genèse de certains des plus importants changements sociaux qui allaient se précipiter durant les années 60 doit être, avec le recul, portée au crédit de ces gens d’exception qui, au cœur même de l’austère système, ont pris sur eux l’avancement des prochains, bien avant l’heure.
Mais à vrai dire, je crois que si cette histoire touche tant, c’est parce qu’elle se contemple par les yeux de son réalisateur. Et dans le regard de Benoît Pilon, il y a d’abord une véritable tendresse et un respect sincère pour toute la complexité de la nature humaine. Par l’œil de sa lentille, on ne trouve aucune caricature, aucun raccourci, et on lui reconnaîtra, par ailleurs, un remarquable instinct pour choisir ses acteurs, ainsi qu’un esthétisme de l’image qui a l’art de sublimer jusqu’aux simplicités les plus banales. En outre, il y a de toute évidence chez lui un authentique amour des jeunes qui n’est pas sans rappeler celui d’André Melançon et de Roger Cantin.
Faisant, d’une certaine manière, écho à l’approche de Léa Pool dans La Passion d’Augustine, Le Club Vinland nous propose aujourd’hui un portrait nuancé et sensible sur qui étaient ces hommes derrière le mur de leur soutane, au-delà des seuls scandales que nous leur connaissons. De fait, je ne vous gâcherai pas le plaisir de découvrir de vos yeux combien François Papineau, Rémy Girard, Fabien Cloutier, Guy Thauvette, Xavier Huard, ainsi que l’infiniment crédible Sébastien Ricard sont, tour à tour, bouleversants, révoltants, magnifiques et foncièrement touchants.
S’il me fallait piger à même le vocabulaire clérical pour résumer mon appréciation, je dirais que ce film est une profession non pas de foi, mais de mémoire, que porte une lumineuse myriade de jeunes comédiens, dont le talent, notamment celui d’Arnaud Vachon, a la magie de nous ramener par le cœur à la jeunesse de nos grands-pères. Benoît Pilon y entérine sa place parmi les créateurs justes et bienveillants en nous offrant de nous raconter une part intime de ce chapitre si déterminant et généralement oublié de notre histoire, par le biais des beautés et des sentiments les plus vrais. C’est là toute la fraîcheur de l’œuvre utile et ce qui, moi, me persuade que Le Club Vinland ira assurément s’inscrire parmi les bijoux chéris de notre cinématographie québécoise.